Chapitre 3

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Comme chaque matin, une domestique – aujourd’hui c’est Yvette – me dépose devant le lycée trois minutes avant le début des cours. Je sors de la voiture plus vite qu’un boulet de canon et me précipite vers mon amie qui m’attend devant la grille.

— T’as une sale gueule. Me dit-elle en faisant la moue en guise de bonjour.

— Tu peux pas faire comme tout le monde et me dire, genre : « Bonjour ! Oh diantre, tu as mauvaise mine ! »

— « Diantre » ? Sérieusement ?

Elle éclate de rire et ce son a le don de me détendre et de me faire oublier ma vie en dehors du lycée. Une fois remise de ses émotions, nous nous empressons de rejoindre la salle de cours.

— Bon ! Parlons peu, mais parlons bien ! Ton anniv’ ? T’as pu en discuter avec elle ?

Mon sourire meurt aussitôt et mon humeur dégringole.

— Laisse tomber.

— Quoi ? Non ! Trop pas ! Elle va pas garder le contrôle sur toi toute ta vie !

Je l’aime fort, mais les souvenirs de la veille sont encore trop frais. Même si mon visage est exempt de toute marque, les petites croûtes de sang dans mes paumes et sur mes genoux me rappellent que je ne suis pas au contrôle de ma vie. Je m’arrête brusquement dans le couloir, à dix mètres de l’entrée de la salle de chimie.

— Stop ! Arrête avec ça ! Dis-je froidement.

— Mais t…

— Non ! Il n’y a pas de « mais » ! Tu peux faire tous les discours que tu veux, ce n’est pas toi qui dois l’affronter, ni même vivre avec elle ! Considère-moi comme une lâche si tu veux, mais arrête de me dicter ce que je dois faire ! Il y a déjà une personne qui s’acharne à le faire, c’est plus que suffisant.

Je n’attends pas sa réponse. Tremblante de rage – contre ma mère, contre Cécile et contre moi-même d’avoir osé la comparer à elle – je rentre dans la salle et m’installe au fond. Peu après moi, Cécile rentre et, à ma surprise, s’installe à côté de moi. Elle sort ses fournitures, parmi celles-ci : la trousse que je lui ai offerte. Elle l’a recousue. Malgré moi, cette vision fait monter les larmes à mes yeux.

— Pardon. Murmure-t-elle d’une voix chétive.

— Pardon. Lui murmuré-je en retour.

Timidement, elle approche sa main de la mienne et accroche son petit doigt au mien. Nos regards se croisent, son sourire sincère me réchauffe le cœur et je sens une larme me trahir. Je l’essuie aussitôt, Cécile a la courtoisie de regarder ailleurs.

Lorsque le cours commence, je suis apaisée, prête à profiter de la journée.

La matinée passe à la vitesse de la lumière, à midi je rejoins Cécile et d’autres camarades de classe pour manger. Le brouhaha au self est impressionnant, comme d’habitude. J’adore ça. J’adore ce bruit : un savant mélange de conversations, de rires, d’exclamations, le tout enrobé d’odeurs de poissons et de légumes.

— Pff… encore du lieu noir… maugréé Anna.

— Mieux : du lieu noir surgelé visiblement trop cuit ! Rajoute Laurine avec cynisme.

— Sans oublier les légumes saveur carton ! reprend Anna.

— Le tout sur son lit de sauce tomate acide ! conclut Cécile avec un ton précieux.

Je me mords la joue pour ne pas éclater de rire au regard noir que nous lance le cuistot en tendant les assiettes. Je couine un léger « merci » avant de détaler vers une table libre.

Le repas va bon train, malgré les gémissements de Laurine : Paul a rompu avec elle ce matin en cours de chimie, pas cool. Nos soupçons vont vers Sarah, cette garce n’arrête pas de minauder auprès de lui depuis plusieurs jours.

— En même temps on peut difficilement rivaliser avec ses obus… se lamente Laurine en regardant son propre buste.

— Elle doit au moins faire du 90D ou E ! renchérit Anna en mimant une forte poitrine avec ses mains.

— On dirait que tu l’as pas mal observée… taquiné-je en levant un sourcil moqueur.

— Bof, c’est pas comme si elle les cachait non plus ! argumente-t-elle, les joues roses.

Rania qui est restée plutôt silencieuse jusque-là, lève son regard vers moi.

— Et sinon, on fait quoi pour ton anniv’ ?

Je soupire. Mon sourire retombe. Je savais que le sujet allait revenir, après tout on est vendredi et mon anniversaire est demain. J’aperçois légèrement Cécile à ma droite qui fait signe à Rania de se taire, mais cette dernière est entêtée.

— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Sérieux, on ne va pas encore passer à côté de son anniversaire !

— Le fait est que j’y cogite depuis ce matin. J’ai discuté avec elle hier soir et elle a été plutôt claire : je passe mon anniversaire avec elle…

Les filles ont toutes les épaules qui s’affaissent en signe de dépit, Cécile a les lèvres pincées et Rania roule des yeux d’exaspération.

— Mais elle m’a aussi dit que je serai libre de faire ce que je veux après cette date… Donc…

— Nan, tu déconnes ? s’emporte Laurine

— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ce matin ? s’offusque mon amie à ma droite.

— Elle n’a pas dit ça mot pour mot, mais à force d’y réfléchir…

— Elle a dit quoi exactement ? me coupe Anna.

— Qu’après mes dix-huit ans je ne serai plus son problème.

Un silence pesant s’installe à notre table. Mes camarades en savent peu, mais suffisamment sur ma relation avec Solange. Finalement, Laurine vient briser ce moment de tension.

— Moi, je dis que c’est cool ! Samedi tu restes avec l’autre mégère et dimanche fiesta chez moi !

L’atmosphère se détend aussitôt.

— Pourquoi chez toi ? Chez moi, y a une piscine ! argumente Anna.

— Meuf, t'oublies qu’il fait à peine seize degrés les jours les plus chauds en ce moment ! s’exclame Rania avec raison. Trop froid pour se baigner et trop chaud pour du patin à glace !

— Bon vous allez toutes vous détendre ! S’impose Cécile. Lucile est ma bestie ! Donc si on fait une fiesta, ce sera chez moi ! En plus, Antony a quitté sa dernière grognasse, il est de nouveau sur le marché : ce sera enfin l’occasion de voir les talents de séductrice de madame et de les améliorer au besoin ! Laurine, arrête de ronronner, t’es en deuil de Paul, alors oublie mon frangin !

Je ne peux m’empêcher de rire et de sourire face à tant d’attention. Quant à la suggestion de Cécile sur son frère, j’ai du mal à protester. De deux ans son aîné, il nous a toutes fait baver depuis le collège : il a toujours eu un caractère très doux, gentil et un peu taquin… Le fait qu’il soit grand, avec des muscles qui n’ont cessé de se dessiner au fil des années et qu’il ait un sourire à se damner contribue à le rendre attrayant !

— Et si on laissait la star de ce grand évènement décider ? Suggère Laurine.

Je sens mes joues rougir malgré moi.

— Bah… Je me dis que ça fait longtemps qu’on n’a pas vu Antony…

La fin du repas se passe dans la bonne humeur. L’espoir renaît en moi et j’espère de tout cœur ne pas avoir mal interprété les propos de ma génitrice, cette éventualité me terrifie.

Alors que je pose mon plateau, Cécile me tire vers elle.

— Viens, j’ai quelque chose pour toi !

Je la suis, intriguée, nous quittons la cantine et marchons jusqu’à l’abri à vélos. Arrivée là, elle se tourne vers moi et son regard me stupéfait. Cécile est une très belle fille, la peau couleur chocolat, des cheveux ébène toujours élégamment nattés et des yeux marron clair, presque dorés au soleil. Mais à cet instant, ces yeux brillent avec intensité surnaturelle et semblent réellement être en or.

— Tiens !

Sa voix a une tonalité étrange, comme plus mélodieuse. Elle me tend une petite boîte blanche. Je suis gênée.

— Je… Tu peux me le donner dimanche, non ?

— Oui, je sais. Mais je ne veux pas attendre, je tiens à te l’offrir maintenant. J’aimerais que tu le portes dès ce jour.

Ce n’est pas possible, sa voix est tellement envoûtante. Il me faut toute la volonté du monde pour me détacher de son regard doré et me saisir de la boîte. Je l’ouvre avec précaution et découvre une courte chaîne argentée ornée d’une pierre opalescente en forme de plume.

— C’est magnifique… murmuré-je, ébahie par la beauté du présent.

Mon amie ne perd pas un instant et avec un sourire radieux, elle s’empare du bijou pour me l’attacher au poignet droit. Ses gestes sont si gracieux.

— Merci Cécile.

Ma voix trahit légèrement mon émotion. Là où tout n’est que faste et argent exhibé chez Solange, je sais que la famille de Cécile est beaucoup plus humble. Mon amie travaille les étés pour mettre un peu de côté ou aider ses parents. Ce cadeau a dû lui coûter une petite fortune, mais je n’ose pas le refuser, je sais que cela la blesserait.

— Hum… De rien…

Je relève les yeux vers elle ; ses yeux ont retrouvé une couleur plus douce, plus humaine et elle a l’air légèrement confuse. Je m’apprête à lui demander si ça va, mais la sonnerie m’interrompt et mon amie semble se ressaisir avant de m’entraîner derrière elle pour le cours d’histoire, sa matière préférée.

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