Chapitre 4

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Je me réveille péniblement. Aujourd’hui, c’est le grand jour, je suis majeure. J’aimerais consulter mon portable, je suis quasiment sûre que Cécile m’a écrit et peut-être même d’autres personnes. Mais quand je suis ici, je n’ai pas le droit d’avoir mon téléphone ; comme tout le reste, il n’est qu’un accessoire de surveillance pour Solange quand je ne suis pas sous sa supervision directe.

Mon attention se porte sur le bracelet de Cécile. Il est magnifique. Lorsque le regard de Solange est tombé dessus hier soir, elle l’a traité de pacotille vulgaire, mais je suis presque sûre d’avoir vu de la jalousie dans ses yeux, et ça ! Ça, c’est un sacré cadeau !

À onze heures, je me décide à me lever, c’est l’une des rares libertés que m’accorde ma génitrice, celle de faire la grasse matinée. Je ne suis pas particulièrement lève-tard, mais pourquoi me lèverais-je tôt ? Rien ici ne me donne envie de profiter de la journée.

La journée se déroule avec une lenteur exécrable. Le soir se présente enfin avec son coucher de soleil pourpre. Assise à mon bureau, une domestique m’arrache à ma contemplation.

— Votre mère vous attend pour le repas.

Je ne peux m’empêcher de tiquer à chaque fois que ce qualificatif lui est donné. Je m’efforce moi-même de l’appeler « maman » le moins souvent possible, cela m’écorche les lèvres à chaque fois.

— J’arrive.

La domestique se retire. Je me redresse et passe rapidement à la salle de bain. J’ai une mine de déterrée, mais difficile de faire mieux en étant enfermée ici. Je vérifie que ma tenue est décente et me compose un visage indifférent. Je suis prête.

Comme depuis plusieurs années, j’ai perdu tout espoir d’avoir une fête surprise avec mes camarades de classe ou d’avoir ne serait-ce qu’une déco un peu festive. Cette année ne fait pas exception et je ne suis pas surprise : la salle à manger est aussi austère que d’habitude. Deux couverts ont été dressés sur la table, l’un en bout de table et l’autre à sa droite.

Solange est au téléphone un peu plus loin dans le salon, aussi je me mets derrière la chaise se trouvant sur le côté et je l’attends. J’ai eu l’audace une fois de m’installer sans l’attendre, j’ai tout simplement été privée d’anniversaire et de repas ce jour-là.

Après dix longues minutes, ma génitrice daigne enfin me faire l’honneur de sa présence. Lorsque je la vois franchir la porte de la salle à manger, je tombe des nues : elle est rayonnante de bonne humeur. Son sourire à mon égard paraît naturel, elle semble réellement contente de me voir. Je repense à notre échange chaleureux en revenant des cours jeudi ; je suis perplexe. Comment suis-je censée interpréter cela ? Compte-t-elle me mettre à la porte ? Est-ce cela qui la réjouit tant ?

— Ah ! Te voilà ! Ma chère fille !

What the actual fuck ?! Elle a fumé ou quoi ?! Je reste coite face à cette étrange démonstration de… de quoi au juste ? Je ne sais pas et ça m’inquiète. Solange ne relève pas mon trouble ou alors elle s’en fiche complètement, car elle poursuit toujours avec une intonation chantante.

— Aujourd’hui est un grand jour ! Celui de ta majorité ! Installe-toi, Lucile !

Elle me montre la place d’honneur en bout de table. Je la dévisage et elle me sourit pour m’encourager à m’installer. D’un pas hésitant, je prends place. La situation me déstabilise.

— Yasmine ! Amenez la bouteille, deux flûtes et les hors-d’œuvre !

Heureusement que je suis assise, sinon je serais tombée à la renverse ! Elle m’offre l’occasion de boire avec elle ? Elle a fait préparer des hors d’œuvres ? Pour moi ? Pour mon anniversaire ? J’essaie de me rappeler de quand date sa dernière soirée mondaine où elle aurait pu offrir ce type de dégustation, mais cela remonte au moins au mois dernier ; elle me déteste, mais pas au point de me donner ce genre de restes. Je repense aussitôt aux propos que je lui ai tenus. Finalement, ce n’est pas impossible que ce soit ces restes-là.

— Tu es bien silencieuse.

Son regard est sournois. Je décide de jouer cartes sur table.

— Je… Je suis juste surprise que tu veuilles faire quoi que ce soit pour mon anniversaire après ce que je t’ai dit l’autre soir.

Une ombre traverse son regard. Son œil bleu est aussi chaleureux qu’un iceberg et son œil brun aussi lumineux qu’un puits sans fond. Elle se pince les lèvres avant de me répondre d’une voix qui a perdu en chaleur.

— C’est vrai que tu n’as pas été tendre avec moi. Mais, je te pardonne.

Le sourire qu’elle m’offre est tout sauf sincère, néanmoins j’acquiesce.

— C’est gentil.

— Je sais. Écoute ma fille, je sais que cela n’a pas toujours été facile entre toi et moi. Mais aujourd’hui est un grand jour, c’est un renouveau.

Yasmine arrive avec grand plateau couvert de plein de petites choses à manger : des toasts de foie gras ou de mousses, des canapés au saumon, au guacamole, etc. J’en ai l’eau à la bouche.

— J’avais dit la bouteille en premier ! assène Solange d’un ton sec et froid.

— Pardon, madame, je vais la chercher de ce pas !

J’ai autant de compassion pour les domestiques de ma génitrice qu’ils en ont pour moi : aucune. Ils m’ont tous cafardé au moins une fois sur un petit écart que j’aurais pu faire.

Alors que je m’attends au mieux à une bouteille de mousseux bon marché, la domestique revient avec une bouteille de champagne Ruinart. Je sens mes yeux se transformer en soucoupe. Solange éclate de rire.

— Ne sois pas si surprise, voyons ! Je viens de te le dire, c’est un grand jour. Tu es à présent majeure, une nouvelle vie va commencer pour toi !

Yasmine pose un verre devant moi. Agacée, Solange lui fait signe de se retirer.

— Ce ne sont pas les bons verres ! Laissez-moi faire, allez plutôt vérifier la cuisson du prochain plat !

Yasmine quitte la pièce, suivi de ma génitrice qui a récupéré les verres. Elle revient deux minutes plus tard avec des coupes à champagne ornées de fines dorures.

— On fait les choses correctement ce soir.

Je lui réponds un sourire timide. La vérité est que je suis complètement paumée face à cette situation ! Avec un sourire rayonnant, elle nous verse chacune une belle coupe d’or liquide. Je n’ai jamais eu l’occasion de boire la moindre goutte d’alcool et me voilà sur le point de démarrer avec du champagne ! Je suis à la fois décontenancée et intriguée ! Solange lève son verre en me regardant, je l’imite.

— À tes dix-huit ans, ma fille ! Et à tout ce qui t’attend !

Nous trinquons et je porte le verre à mes lèvres. C’est délicieux ! Pas étonnant qu’elle en boive des litres lors de ses soirées !

— Qu’en penses-tu ? me demande-t-elle curieuse.

— C’est surprenant, j’aime bien !

La voyant de nouveau siroter son verre, je me permets d’en faire de même. Je savoure le divin breuvage. La seule chose qui me dérange un peu, c’est ce petit goût d’amande amère.

Lorsque je pose ma coupe, elle est quasiment vide. Ma tête commence déjà à tourner et je sens mon cœur battre de plus en plus vite.

— Est-ce que ça va ?

— Oui, je n’ai pas beaucoup mangé ce midi.

— Je vois. Sers-toi ! me dit-elle en montrant le plateau.

J’avance la main, mais la tête me tourne furieusement, j’ai une violente nausée qui me saisit. Solange me dévisage avec un grand sourire tout en sirotant un nouveau verre de champagne.

— Eh bien, tu ne tiens pas l’alcool !

Je ramène mon bras vers moi avant même de m’être emparée de quoi que ce soit sur le plateau. J’ai horriblement mal à la tête, mon cœur bat à une vitesse folle et j’ai de plus en plus de mal à respirer.

— Je crois que…

Je ne parviens pas à articuler quoi que ce soit de plus. Mon champ de vision s’obscurcit, je perds conscience dans la douleur.

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