CHAPITRE 6 : Coup de foudre à Fléron et autres bizarreries
J’ai vu le jour dans une famille de tradition catholique non pratiquante. Papa, élevé chez les Jésuites à Liège, pensait qu’il avait tant assisté à la messe dans sa jeunesse que cela couvrait aisément le restant de ses jours. Mes parents étaient croyants, mais nous élevaient très librement, contrairement au frère et à la sœur de papa, bien plus pratiquants et respectueux du dogme de l’Église. Par exemple, mes frères plus âgés que moi, de dix ans pour Michel et de sept pour Marc, pouvaient amener leurs petites amies à la maison, ce qui était moderne pour l’époque. Nous vivions à Bruxelles, tout près du centre du monde, à savoir l’entreprise familiale que mon grand-père, Jean Hocké, avait bâtie de ses mains en remplaçant le cheval par le camion à une époque où tout restait à construire, y compris le réseau routier. Il apprenait à conduire ses engins d’une ère nouvelle à chaque client désireux de se moderniser. Il ouvrit un petit garage à Bruxelles, rue Gaucheret, puis mon père, son beau-fils qui avait tout comme lui le commerce dans le sang, le rejoignit pour développer leur business ensemble. Grâce au talent de ces deux-là, les affaires prospérèrent de façon spectaculaire. Enfin son fils Robert qui était plus jeune vint les rejoindre quelques années plus tard.
Devant la famille réunie, émue et fière de son mignon rejeton, mon frère aîné Michel (premier petit-fils encore mal assuré sur ses gambettes de garçonnet) eut l’honneur de poser la pierre fondatrice de l’usine à Ternat au milieu des champs qui devinrent grâce à mon grand-père visionnaire un zoning industriel très prisé à l’entrée de Bruxelles. La firme grandit tant et si bien que l’on inaugura plusieurs succursales en province. Voilà pour la naissance de la saga familiale, mais à présent laissez-moi vous dire un mot de ma pierre fondatrice, de ma naissance.
Un beau jour, ma mamounette adorée encore toute jeune fille, flanquée de sa meilleure amie Arlette qui étudiait comme elle le stylisme à l’Institut Bishoffsheim à Bruxelles – toutes deux excellaient dans l’art difficile du dessin de mode – décida d’accompagner son père, qui était d’ailleurs le parrain d’Arlette, chez un concessionnaire de camions à Liège. C’était un homme affable avec lequel les gens du métier aimaient faire affaire. Et là, deux séduisants garçons, Marcel et Julien, les fils du sémillant Fernand accueillirent les petites Bruxelloises sur le mode : « On va leur faire voir à ces demoiselles de la capitale de quel bois on se chauffe ici », et de les emmener tout de go en promenade au pas de charge sur d’étroits chemins champêtres. Les fringantes jeunes filles qui avaient bien vite compris leur petit manège ne se démontèrent pas et après avoir échangé un clin d’œil complice, elles leur emboîtèrent le pas en entamant une joyeuse conversation. C’est ainsi que sur les charmants sentiers de Fléron parsemés de coquelicots, par un beau dimanche de printemps à la campagne, la foudre frappa Monique et Marcel. Les amoureux pressentirent sur-le-champ dans les champs que leur idylle bucolique traverserait toutes les saisons de la vie puisque le bonheur est dans le pré.
Pendant ce temps, les patriarches se serraient la main dans la cuisine pour sceller leur amitié, ils seraient dorénavant partenaires en affaires. Alors ils trinquèrent au péket au-dessus de la toile cirée, ignorant que des liens plus profonds se tissaient secrètement non loin de là et qu’ainsi quelques années plus tard, après deux beaux garçons, ils deviendraient les heureux grands-pères d’une petite fille tant espérée, moi !
Mon grand-père Fernand n’a pas vécu cette joie ici-bas. Mais je suis bien certaine qu’il l’a vécue au ciel. Je crois fermement qu’avant notre naissance, nous choisissons nos conditions de vie sur cette terre. Les épreuves que nous affrontons nous rendent plus humains, plus tolérants et nous ouvrent la voie de l’Amour. Apprendre à aimer est le but de nos vies, et il y a du boulot pour ceux qui désirent s’améliorer. Pardon si, comme le disait avec charme et humilité Marguerite Yourcenar, j’ai l’air de ramasser des vérités premières au coin des rues. Cela ne m’empêche pas de me demander quel genre d’idiote choisirait de souffrir ? J’ai bien une petite idée, c’est Bibi (avec une majuscule, pardi ! car c’est également mon surnom !).
Ma puissante conviction que notre vie tend à améliorer la qualité de notre âme ou à en détruire le tissu pour ceux qui se fourvoient et persistent intentionnellement dans l’erreur n’a pas surgi tel un deus ex machina d’une pensée magique. Non, elle s’est forgée au fil de mon existence en alternant périodes de réflexion intense et longues plages d’oubli pendant lesquelles ma vie professionnelle et ma vie familiale mobilisaient toute mon énergie. À d’autres moments plus calmes ou à la faveur de sérieuses remises en question, j’ai évolué spirituellement grâce à mon ange gardien si patient et discret. Il m’a ramenée à la prière et à la Sainte Vierge qui elle-même m’a fait redécouvrir l’amour de ma vie, mon Jésus. Ne vous enfuyez pas, mes amis. Je ne suis ni grenouille de bénitier ni bigote comme me surnomme, tendrement goguenard, mon frère Marc. Simplement, mes quelques expériences intimes « surnaturelles » ainsi que ma folle passion pour le mystère de la vie, de la mort et de l’après-vie m’ont conduite à une rage de savoir et de comprendre. Lorsque l’on se montre ouvert et que l’on s’abstient de juger, les langues se délient comme par magie. Il m’est personnellement arrivé à plusieurs reprises d’être la confidente privilégiée de personnes ayant vécu des expériences qu’elles ne partagent pas habituellement par crainte des moqueries. Je les comprends parfaitement, on se sent parfois ridicule en cherchant les mots qui nous trahissent toujours dans ces circonstances malaisées. Cet abandon me touche car j’y vois une marque de confiance spontanée venant parfois de personnes que je viens de rencontrer, j’y vois un échange profondément humain que je recueille avec le plus grand respect. J’ai débusqué dans les confidences de mon entourage, l’air de ne pas y toucher, le moindre récit de phénomènes inexpliqués.
Ainsi, Bettina m’a confié avoir vu sa défunte marraine lui apparaître en pleine nuit pour lui demander de veiller sur le fils qu’elle laissait derrière elle. Lorsque mon amie tentait d’allumer la lampe de chevet, sa marraine lui demandait d’y renoncer sous peine de devoir disparaître.
Ira quant à elle, m’a raconté que très malade lors de vacances en Espagne, elle s’est vue tournoyer et même danser quelques instants avec des anges à côté de son pauvre corps fiévreux qui était allongé sur le lit de sa chambre d’hôtel. Un médecin penché sur elle tentait de la soigner. Heureusement Ira se rétablit, d’ailleurs elle riait à l’évocation de ce souvenir peu banal.
Ce genre d’histoires m’intriguaient et nourrissaient mon envie d’en savoir plus. En visionnant sur le net des témoignages du même type ainsi que des témoignages de rescapés de l’au-delà, je fus frappée par la sincérité des gens dont la vie était bouleversée d’une manière positive ; un changement de valeur s’opérait toujours car ils prenaient conscience d’une dimension insoupçonnée de leur existence.
Je voguais de découverte en découverte dans un tourbillon sans fin. Moi-même, j’ai reçu un signe fracassant de ma maman le lendemain du baptême conjoint de mon fils Michel et de ma filleule Nina. Cela s’est passé le 29 septembre 1997, je m’en souviens car c’était le jour de la Saint-Michel. Philippe et moi étions assis à la table de la cuisine et nous discutions du baptême des petits que nous avions célébré dans la chapelle de Stadt à Wavre. C’est une charmante chapelle blanche située à côté du domaine de l’Hosté qui appartenait à mon grand-père. En bon voisin, il avait mis les moyens pour la faire restaurer et pour lui donner le cachet d’une petite cathédrale personnelle, il avait commandé de superbes vitraux fabriqués sur mesure, un pour chacun de ses enfants et petits-enfants. Nous étions tous représentés par nos saints patrons respectifs. Sur mon vitrail, sainte Brigitte transfigurée par les rayons de soleil perçant le verre teinté écrivait ses Révélations tout en soignant les pauvres et les malades dans une débauche de bleu, de vert et de rouge. Un ange aux ailes d’or se penchait sur l’œuvre de sa vie. De joyeuses taches de lumière multicolores égayaient l’atmosphère de la chapelle en frappant délicatement l’assemblée réunie autour de nos précieux bébés. L’odeur des cierges qui brûlaient dans l’espérance mêlée à celle des fleurs fraîches qui ornaient l’autel ajoutait à la sanctification du lieu. L’esprit soufflait sur notre famille tendue vers le bonheur de ses enfants qui babillaient gentiment lorsque l’abbé Robert fit le signe de la croix sur leurs fronts innocents. Soulagé de pouvoir baptiser nos deux bambins dans les gazouillis et non dans les pleurs, l’abbé afficha un aimable rictus de contentement qui fit rire l’assemblée, présageant une ambiance agréable pour le banquet à suivre. Ce fut le cas puisque Philippe et moi avons réussi à masquer notre désarroi !
Nos hôtes prenaient une coupe de champagne sur la terrasse lorsque j’annonçai à une personne proche de mon cœur que, pour lui faire plaisir, j’avais invité un couple d’amis à nous rejoindre pour le dessert. Par cette initiative malencontreuse, j’avais complètement gaffé sans le savoir et je vis la personne aimée blêmir subitement. Prise de panique, elle m’expliqua nerveusement que c’était impossible, qu’elle s’en trouverait en porte à faux vis-à-vis de la personne qui l’accompagnait, qu’il fallait absolument les décommander. Je finis par comprendre qu’il s’agissait d’éviter la rencontre d’un membre de notre famille avec les amis qui devaient nous rejoindre car on ne leur avait pas encore dévoilé son existence. Qui donc était ce mystérieux parent, victime d’une aberrante tartuferie ? Une merveilleuse petite fille trop jeune pour s’en offusquer !
Nous ne nous attendions pas à cela, nous étions complètement désemparés devant cet énorme mensonge par omission. Heureusement, mon époux doté de talents diplomatiques, d’une mansuétude sans faille et d’une voiture en bon état de marche arrangea l’affaire en la raccompagnant chez sa maman avant l’arrivée des autres convives. À mon grand soulagement, ce barnum cessa quelques semaines plus tard, le secret fut levé, tout le monde rencontra tout le monde, mieux encore, tout le monde accepta tout le monde !
Le lendemain du baptême, Philippe et moi attablés dans la cuisine étions profondément remués par la situation inattendue et incompréhensible à nos yeux que nous venions de vivre et qui gâcha la fête lorsque au moment précis où je m’exclamai : « Je me demande ce que Maman en aurait pensé ? », un des spots du plafonnier explosa dans un fracas assourdissant !
J’avais ma réponse : du haut du ciel (en tout cas du plafond !), maman prenait son rôle de grand-mère très à cœur, elle était d’accord avec nous, elle ne supportait pas que l’on traitât sa petite-fille d’une manière cavalière et le faisait savoir.
Je vous assure qu’après ça, Philippe et moi n’en menions pas large, on ne mouftait plus !
Depuis vingt-cinq ans que nous habitons notre maison, c’est la seule fois qu’un tel phénomène s’est produit, aucune autre ampoule n’a explosé, donc la probabilité que cela soit une coïncidence est pratiquement nulle, et puis surtout, il y eut cette perception indescriptible !
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