CHAPITRE 10 : Viol à bas bruit et hygiène de vie

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La petite chose toute jeune, toute frêle, nue et terrorisée posée sur la table d’examen tremblait de tous ses membres. Dans un silence glacial, l’homme en blouse blanche lui souriait en agrippant ses cuisses de ses grandes mains froides. Il la fit glisser vers lui jusqu’au bord de la table, appuya sur ses épaules pour qu’elle se couche, plaça ses pieds dans les étriers et la viola. La petite chose ressentit une douleur fulgurante, sortie de nulle part qui lui fit exploser le crâne. Impossible de crier. Tout semblait irréel sauf cette cuisante déflagration.

Soumise à l’autorité médicale et à la pression familiale, la petite chose terrifiée, naïve et innocente se laissa manipuler comme une poupée de chiffon ou plutôt comme un insignifiant mannequin de bois désarticulé, sans volonté propre.

Aucun son ne pouvait sortir de sa gorge. Elle voulait appeler sa tante qui se trouvait de l’autre côté de la porte, mais la pensée qu’elle était idiote et que tout ceci était peut-être « normal » la bloqua net. Son cerveau ne fonctionnait plus correctement. Drapées des pudeurs ingénues de l’enfance, ignorant encore qu’elle était victime d’une agression, elle agonisait, spectatrice pantelante du scandale, incapable de comprendre, incapable de réagir.

Oh, le médecin très décontracté avait fait mine d’être à l’écoute des préoccupations de sa tante qui s’inquiétait du retard de puberté de la petite chose à presque dix-sept ans. Elle l’avait traînée sans explications – la cordialité n’étant pas son fort – aux consultations gynécologiques de la Clinique Édith Cavell.

Le mandarin qui s’était occupé bien inefficacement de la maman malade de la petite chose se présentait sous les traits chaleureux d’un gentil monsieur d’une soixantaine d’années. Sans s’adresser à la timide petite chose, il se montra rassurant envers la tante, lui expliquant qu’il allait procéder à un « examen de routine » dans la salle d’à côté. Un examen gynécologique immotivé et non consenti sur une jeune fille vierge, qui croirait à cela de nos jours ? J’ai pourtant idée que certains continuent à commettre ce viol institutionnel.

À porte close, le brave type se fit impitoyable prédateur. Il lui imposa de se dévêtir complètement, puis lui posa des questions banales en la tripotant partout. Le contact de cette pieuvre libidineuse dégoûtait la pauvre qui ne pensait qu’à fuir. Elle vacillait, ne sachant articuler aucune réponse cohérente. Il voyait bien que la petite chose pétrifiée ne pourrait supporter ses assauts prétendus professionnels, mais un pervers, fût-il médecin, a-t-il des scrupules ?

N’importe quel être humain doué d’empathie aurait tout stoppé, en fait, n’importe quel médecin réellement professionnel ou un tant soit peu perspicace aurait compris que la mutilation de sa féminité naissante infligée par l’arrachement de sa maman avait retardé la puberté de la jeune fille et au lieu de pratiquer un examen d’un violence inouïe, humiliant et totalement inutile, il aurait parlé avec elle et fixé un autre rendez-vous quelques mois plus tard. Il se serait contenté d’une analyse de sang dans un premier temps pour écarter l’hypothèse d’une maladie grave et dans un « élan d’humanité » qui selon moi, s’avère être le minimum syndical, il l’aurait même rassurée.

Mais le vicieux, lui ça l’excitait, cette jeune fille nue à la peau diaphane constellée de taches de rousseur, à la tendre blondeur vénitienne, à la maigreur laiteuse et aux doux yeux bleus traversés d’une lueur de panique. Nul besoin de contenir sa lubricité criminelle, nul besoin de déboutonner sa braguette, il n’expliqua rien des gestes intrusifs qu’il comptait lui imposer, il ne les justifia guère – il aurait d’ailleurs été incapable d’en établir le bien-fondé. Il ne recueillit pas son consentement, il récusa son humanité. La petite chose n’eut pas droit à la parole. À l’époque des faits, il n’y avait ni ordi ni smartphone, l’accès à l’éducation sexuelle était beaucoup plus verrouillé qu’aujourd’hui. En état de sidération, elle subit ce qui commença vaguement comme un acte médical pour vriller en supplice. Elle distingua à travers ses larmes le visage d’abord impassible, puis radieux de celui qui penché sur elle lui volait sciemment sa confiance, sa dignité, son innocence et sa virginité.

Après cela, tout est devenu flou, je suis sortie de son cabinet comme un robot, ma tante a payé la « consultation », elle l’a payé, nom d’un chien ! Elle a payé cette raclure, elle a payé cette raclure qui venait de me…

J’imagine qu’il a dû user de son droit de cuissage sur plusieurs jeunes filles dans sa longue carrière et qu’il a dû profiter de son pouvoir pour abuser de nombreuses patientes en toute impunité car à l’époque la parole des femmes était loin d’être libérée. J’ai du mal à croire qu’il se soit contenté d’une seule fois ! Je me souviens de l’extraordinaire aplomb qu’il affichait comme si sa conduite était banale, il aurait pu vous planter un poignard dans le cœur en prétendant vous faire une inoffensive piqûre de vitamines. Quelques heures plus tard, au téléphone, il ne perdit pas son sang-froid lorsque ma tante le questionna car c’est moi qui saignais !

Elle goba cette invraisemblable réponse du grand ponte : « C’est tout à fait normal de saigner après un examen. »

Ben voyons ! Mais ma tante avait intégré le fait qu’après tout cet homme savait de quoi il parlait, il savait mieux qu’une faible femme. Elle ne chercha pas plus loin et ne remarqua rien, pourtant de mon côté, j’étais tétanisée, l’intellect bloqué. Ce nouveau choc émotionnel fit écho au traumatisme de la perte de maman en renforçant ma nature farouche et solitaire. J’étais seule et j’ai appris à aimer ma solitude. J’ai avancé en enfouissant ce malheureux épisode dans les strates les plus secrètes de mon être, je m’en accommode encore et toujours, mais il se venge en dévorant en douce mon énergie, en m’envoyant quand ça lui chante des douleurs diffuses et en me poussant à vivre le plus souvent possible en retrait de la société. Que serais-je devenue sans mon mari ?

Sous son air coincé, ma candide tante cachait une dimension loufoque et de la suite dans les idées. Bien décidée à mettre fin à mon record du monde de puberté tardive, elle insista l’été suivant pour m’initier à l’équitation, profitant de notre séjour à la côte belge, à Coxyde où nous possédions une agréable maison de vacances en bord de mer, baptisée « Juanita » en l’honneur de mon grand-père Jean qui l’avait offerte quelques années plus tôt à ma regrettée maman et à son frère – puisque je vous dis que nos deux familles partageaient tout !

Au temps béni de mon enfance insouciante, nous y passions des Noëls idylliques. La tribu entière se rassemblait autour d’un succulent repas préparé avec amour par ma maman et par ma tante qui veillaient au moindre détail pour faire plaisir à chacun. Elles installaient au pied du sapin habillé de lumières, de guirlandes et de boules bigarrées une montagne de cadeaux emballés et enrubannés de couleurs vives, tous plus appétissants les uns que les autres. Les petits paquets éveillaient ma curiosité, les moyens m’intriguaient, mais les gros exaspéraient ma convoitise. Je devais me faire violence pour ne pas me jeter dessus emportée par une voracité débridée, j’attendais fébrilement le feu vert de mes parents pour commencer la distribution, j’apportais de mes petites mains tremblantes les précieux présents à mes frères, à mes cousins, à mes parents, à mon oncle ou à ma tante selon les instructions que je recevais de maman incollable sur l’heureux destinataire de chaque colis. J’étais honorée et fière de me montrer digne de ce privilège dû à mon jeune âge et à l’indulgence des adultes à l’égard de la petite protégée du clan. Les yeux brillaient, les rires fusaient, on s’enivrait de tendres embrassades et moi, le cœur battant, j’espérais à chaque pioche entendre la douce voix maternelle me susurrer avec amour les mots magiques : « Ah ! celui-là, il est pour toi, mon chérubin. »

Je me souviens les avoir entendus maintes fois, ces mots magiques. Comme mes parents étaient bons, comme ils me manquent, comme je voudrais les serrer dans mes bras.

L’envie de revoir Juanita m’a prise l’année passée, Philippe m’a emmenée à la mer pour quelques heures de nostalgie assumée, elle était là, elle m’attendait, toute blanche avec ses arcades en façade et son jardinet enceint d’un muret qui monte la garde pour rire. Elle m’a saluée, je lui ai fait un signe de la main, de loin, j’aurai voulu lui sauter dans les bras, elle aurait voulu m’embrasser, mais cela ne se fait pas, elle appartient désormais à d’autres et semblait heureuse, je n’ai pas voulu déranger. J’ai pris quelques photos, je les ai envoyées à mon frère pour le faire pleurer un peu au souvenir de la belle saison où nous étions choyés.

Son nom en fer forgé avait été ôté, je devine ce que vous pensez, Juanita, quelle drôle d’idée ! Un vent d’Espagne avait soufflé, Manolita, notre fidèle gouvernante n’était jamais à court d’idées. Elle avait quitté ses Asturies natales avec sa fillette de quatre ans sous le bras pour lui offrir une vie meilleure. Sandra et moi sommes devenues inséparables, nous nous égosillions souvent sur notre ritournelle favorite devant mon papa, bon public toujours prêt à nous applaudir : « Nous sommes deux sœurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux, mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do… »

Nous avions le rythme dans la peau et une chorégraphie parfaitement rôdée. Nous ne sommes jamais quittées, c’est elle, ma Sandrini, ma petite « 4829 » (quat’ huit deux neuf = Catherine Deneuve), qui est venue bien des années plus tard rejoindre notre équipe de lutins de Noël au magasin.

Lorsque j’évoque Juanita, une foule de souvenirs agréables affluent à mon esprit, mais je préfère ne plus y penser avant de me laisser engloutir par une mélancolie si accablante qu’elle en deviendrait odieuse ; il est temps de revenir à ma tante obsessionnelle et à mes exploits équestres. Quel est le rapport, me direz-vous ? Pour le savoir, écoutez ça : de retour au manège après un long galop cheveux au vent sur une plage de rêve, je rejoignis ma tante Anette dans la voiture où, dévouée, elle m’attendait. Avant de démarrer, prise par l’envie soudaine de se libérer d’une bouffée de vantardise qui lui brûlait le gosier, elle me dévoila son « astucieuse stratégie secrète » sur le ton fier d’une conquérante tout en pointant son index en direction de mon ventre (qui n’avait rien demandé) : « Tu sais, je voulais que tu fasses du cheval parce que j’espérais qu’en secouant tout ça, tu aurais tes règles. » Elle accompagna la fin de sa phrase d’un mime grotesque, tournicotant son doigt si vite qu’elle aurait pu faire monter des blancs d’œufs en neige. Que dire ? Quelle optimiste ma tata ! Je dirais même Hakuna matata ; pour ma tata revêche, pas de problèmes, que des solutions idiotes !

Je ne connais pas le nom de cet homme, à l’évidence plus erectus que sapiens – s’il convient de traduire sapiens par intelligent, sage, sensé, erectus n’appelle aucun commentaire –, je ne connais pas le nom du scélérat qui m’a agressée au lieu de me soigner et je n’ai aucune envie de le connaître, de toute façon, il est trop tard, ce turpide Cro-Magnon est sûrement mort depuis le temps, quarante ans ! quarante ans sont passés à enfouir ma peine et à refouler ma colère. Comme c’est souvent le cas pour les victimes, il est impossible de parler. Parler publiquement, c’est exposer sa fragilité aux yeux de tous et il faut paradoxalement être forte pour se permettre d’être fragile. Les réactions ne sont pas toujours tendres, il y encore pas mal de Cro-Magnons en liberté dans la nature ou devrais-je dire dans la jungle ? Mais celles et ceux qui ont le courage de dénoncer les criminels sauvent des vies.

J’ai longuement hésité à coucher sur le papier mes épanchements clandestins, j’ai pensé à mon époux qui est le seul à partager ma souffrance, mais j’ai surtout pensé à mes fils. Ce sont de jeunes hommes sensibles et perspicaces qui ont déjà compris les arcanes de l’âme humaine et les rouages du siècle, alors je me suis dit qu’ils sont aptes à encaisser. Le temps amortit la douleur que les épreuves nous infligent, ne soyez pas tristes, mes enfants, mais portez vos indignations partout où vous irez, elles changeront le monde.

J’ai pensé à mon frère, à mes nièces, à mes proches, à mes amies dont je sais que certaines ont vécu des traumatismes beaucoup plus graves encore. J’ai pensé à vous qui lisez mes confidences, j’ai décidé de vous faire confiance, de balayer mes réticences. Je libère à mon tour la parole en suivant l’exemple de toutes les femmes valeureuses qui osent désormais changer la donne pour tenter de mettre un terme à ces infamies et qui sont soutenues dans leur combat par des hommes merveilleux. Si vous le pouvez, faites-le aussi.

Ne pensez pas à moi comme à une pitoyable victime déshumanisée, mais comme à une battante qui s’est redressée, cela me fera plaisir. Car oui, je me suis relevée de cet outrage tant bien que mal, comme un boxeur sonné dans un premier temps, avant de revêtir mon armure qui s’est malheureusement vite fendue ou plus exactement qui s’est vite élargie, mais a tenu bon quoi qu’il arrive. Si rien n’a transparu dans mon attitude habituelle, mon corps, lui, s’est arrondi. Chaque remarque désobligeante sur mon apparence physique réveillait le monstre tapi dans ma blessure. Quand vous êtes jeune et ronde, certaines personnes ne se gênent pas pour vous faire des remarques déplacées. Dans mon cas, il s’agissait toujours de femmes (dont ma chère tante, encore elle !) qui pouvaient manger tout ce qu’elles voulaient sans jamais grossir. Elles s’arrogeaient un droit de regard sur ma silhouette et se piquaient d’être férues d’élégance tout en en manquant cruellement.

Les hommes étaient beaucoup plus gracieux, mais parfois superficiels, ce qui avait le don de m’agacer profondément. Je les voyais s’agglutiner autour de moi lorsque, à force de privations, j’affinais ma taille. Je repérais de loin ceux pour qui les femmes passaient si vite de « sexy » à « sex » puis à « ex » qu’il ne leur restait bientôt plus que le « x » pour… peu m’importait, en toutes circonstances, je m’accrochais et je m’accroche encore à mon Philippe qui se moque bien de ce genre de détails. Il est fou d’amour pour moi, je suis folle d’amour pour lui, ses bras sont le plus doux des refuges, le seuil du jardin d’Éden.

Mon triste rendez-vous chez ce « docteur » sourdement infatué de sa propre perversion a non seulement renforcé ma nature sauvage et mon tempérament introverti qui me demandent une énergie folle pour me permettre de donner l’illusion de « fonctionner » correctement en société, mais en outre il m’a laissé de fâcheuses séquelles : impossible pour moi de me rendre chez le médecin, même s’il s’agit de la plus adorable femme qui puisse exister, sans avoir à affronter une crise d’angoisse plus ou moins aigüe. Je n’y peux rien, mon cerveau reptilien prend l’ascendant sur mon cortex cérébral, mon cœur s’emballe, tout s’embrouille et j’ai l’impression que je vais mourir dans les minutes qui suivent. Jusqu’ici, aucun médecin n’a compris mon malaise ni même cherché à le comprendre pour la simple raison qu’aucun médecin n’a compris qu’il s’agissait d’un malaise bien que j’ai eu droit à des remarques du genre : « Un cœur qui bat aussi vite, ça je ne l’avais encore jamais eu ! »

Et moi, toute rouge et l’haleine courte, je reste muette, perdue dans un soliloque intérieur pour tenter de me raisonner.

Après avoir aggravé mon mal-être par quelque réflexion idiote, ils ne me posent aucune question, ils ne se posent aucune question, ça s’arrête là, en fait, ils s’en moquent et reprennent rapidement leur pratique routinière. Dans le fond, tant mieux car je mettrais mes symptômes sur le compte du stress pour ne pas avoir à me justifier. Loin de moi l’idée de jeter l’opprobre sur toute une profession à cause d’un criminel, je sais les sacrifices qu’il faut consentir, les quantités de connaissances qu’il faut ingurgiter, les qualités de cœur indispensables dont il faut faire preuve pour devenir médecin, peu en sont capables. Par malheur et par bonheur, on a tous compris à présent que derrière la blouse blanche se cachent souvent les vrais héros.

Je consulte extrêmement rarement, je suis la reine de l’automédication pour les bobos bénins, mais cela me pose des dilemmes anxiogènes pour les problèmes plus graves. Je vous dis que je suis la reine de l’automédication, pour être exacte et au risque de me ridiculiser encore un peu plus, je devrais dire que je suis la reine de la bouillote ! Je suis bougrement prudente, j’y réfléchis à deux fois avant d’avaler un médicament ; dès les premiers éternuements ou gratouillis dans la gorge, je dégaine ma bouillote et mon tube de vitamine C car la vitamine C comment m’aider (et elle le fait très bien !). Je n’embrasse plus personne, je me lave les mains souvent, ces simples précautions empêchent la maladie de se transmettre et de se développer, le rhume dure beaucoup moins longtemps – deux à trois jours maximum si on s’y attaque dès le tout début – et les désagréments sont nettement moins intenses. Puis, tout à coup, un nouveau virus a surgi dans nos vies faisant du moindre éternuement ou du banal nez qui coule une menace potentielle pour soi-même et pour ses voisins horrifiés par vos reniflements et plus encore par une quinte de toux intempestive. Lorsque les premières informations inquiétantes en provenance de Chine sont arrivées sur le net bien avant que les médias traditionnels ne s’en soucient, je me suis préparée à la pandémie de Covid-19 avec l’espoir ténu que ma bouillote puisse rester dans l’armoire. J’hallucinais complètement devant le spectacle inédit d’une province entière contaminée ainsi que des mégalopoles de plusieurs dizaines de millions d’habitants transformées en villes fantômes. Plus rien ne fonctionnait là-bas sauf la censure ! Du jamais vu : l’économie à l’arrêt, plus aucun moyen de transport, les hôpitaux bondés transformés en mouroirs, les médecins et le personnel soignant héroïques se battant contre la mort jusqu’à tomber, les courageux lanceurs d’alerte portés disparus, jamais revus, les journalistes étrangers expulsés du pays, la population traquée dans ses moindres mouvements, surveillée par une police prompte à éclater en furieuses imprécations au premier faux pas et épaulée par les comités de quartier toujours prêts à vous dénoncer ainsi que par des centaines de millions de caméras et par des applications et par des drones pour être finalement mise en stricte quarantaine. Je regardais tout cela avec une grande tristesse ! Dans cette situation dramatique et délirante, une seule chose m’a fait sourire, non en fait deux aspects positifs se sont dégagés du bourbier (mais à quel prix) : primo, la pollution atmosphérique c’est-à-dire l’épaisse couche de crasse brunâtre qui flotte d’ordinaire au-dessus des villes s’est résorbée (je l’ai vue de mes propres yeux en atterrissant à Beijing et c’était effarant) et secundo, la fameuse reconnaissance faciale si chère à l’empire du Milieu a pris du plomb dans l’aile à cause du port du masque obligatoire ! Plutôt cocasse !

À cause du cafouillage du début de crise où les autorités rabrouèrent la docteure Ai Fen (dont on se demande ce qu’elle est devenue depuis qu’elle a disparu !) et réprimandèrent pour diffusion de rumeurs sur internet le regretté Docteur Li Wenliang au lieu d’écouter leurs avertissements au sujet de l’irruption d’une maladie inconnue, et malgré les mesures de confinement sans précédent adoptées par le gouvernement chinois pour entraver sa propagation, cette saleté de virus touchait le monde entier deux mois plus tard. Pendant que la Chine commençait doucement à sortir de l’épidémie, profitant du chaos ambiant pour lancer une campagne de désinformation de grande envergure rondement menée, je regardais impuissante la courageuse Italie plonger à son tour dans le pire des cauchemars. La France, la Belgique, toute l’Europe et à sa suite les États-Unis, le Brésil et L’Inde furent submergées, sans parler des pays qui ont encore plus de difficultés à organiser une lutte de cette ampleur. Bien entendu, la comptabilité macabre scandée chaque jour dans les journaux télévisés dépassait de très loin les chiffres ridicules que les dirigeants chinois avaient bien voulu déclarer.

Voyant qu’il serait impossible d’y échapper, j’ai écouté avec grand intérêt le professeur Didier Raoult, spécialiste de renommée mondiale dans le domaine des infections qui, lui, soignait les gens au lieu de les laisser tomber et de les laisser dans l’angoisse, seuls chez eux sans traitement, en attendant de savoir s’il fallait appeler un ambulance ou pas, comme cela était malheureusement préconisé à l’époque ! Du jamais vu !

Tout le gratin courait en cachette à Marseille chez celui qui conseillait l’hydroxychloroquine combinée à l’azithromycine comme traitement afin d’éviter que cette maladie infectieuse ne tourne en « orage immunitaire » puis en détresse respiratoire ou autre complication gravissime. Suite aux informations frauduleuses parues dans The Lancet, prestigieuse revue médicale, les autorités décidèrent qu’il n’existait aucun traitement contre la Covid, point final ! Nombreux sont ceux qui en sont restés là malgré la rétractation de l’article et les excuses de l’auteur. Cette « farce » grotesque, affligeante et criminelle organisée notamment par une ancienne actrice porno (si, si !), bien que démasquée, signa la fin de la confiance d’une partie l’opinion publique en un traitement simple et efficace. Pour ma part, j’ai préféré accorder ma confiance à un des scientiques les plus cités au monde, qui a passé sa vie à étudier les virus et qui sait de quoi il parle, plutôt que de me contenter des raccourcis trop souvent servis par les gouvernements et dans les journaux télévisés, encore aurait-il fallu pouvoir mettre la main sur une de ces boîtes de médicaments plus rares encore qu’une phrase intelligente dans la bouche de Trump, c’est dire !

(Mes excuses à ceux qui l’aiment bien car il y en a encore !)

Il se peut que je sois injuste avec celui qui a refusé au début de son mandat de serrer la main de la chancelière Angela Merkel alors qu’en pleine crise du nouveau coronavirus, il serrait la main de tout ce qui bougeait et qui en avait une, si j’ai insinué qu’il n’a pas la lumière à tous les étages ni toutes ses frites dans le même cornet et qu’il est le champion incontesté du « racontage » de bobards, je l’ai fait exprès. Heureusement cette page est enfin tournée, mais évidemment avec ce genre de personnage, cela s’est fait dans la douleur à un point tel qu’un policier du Capitole et quatre de ses ardents défenseurs y ont laissé la vie.

Mis en garde par notre fils Michel qui avait compris dès le début que la situation allait dérailler, Philippe s’était occupé des masques et des gels hydroalcooliques longtemps avant la pénurie, à une époque où ni la Belgique ni la France insouciantes n’avaient conscience du tsunami qui allait nous submerger, bref comme tout le monde, nous avons fait ce que nous avons pu pour protéger nos proches en ces temps troubles, mais ça a bien secoué, surtout dans les maisons de retraites abandonnées par notre société civilisée !

Au début du mois de février 2020, Michel nous avait même prévenu qu’une incroyable ruée sur les produits alimentaires de base ainsi que sur le papier toilette avait lieu à Hong Kong et qu’il ne serait pas étonné de voir dans les semaines suivantes le reste du monde se comporter de façon irrationnelle, il avait largement anticipé les phénomènes de panique et l’impréparation flagrante de l’Europe et de nombreux autres pays. Si seulement nos dirigeants avaient le quart de la jugeote de mon fils ! Michel président !

J’exagère un peu car heureusement notre gouvernement a pensé qu’en se laissant pousser les cheveux, les Belges sauveraient le pays et cela a parfaitement fonctionné : plus personne n’a coupé les cheveux en quatre et tout le monde a été bien obéissant. On a quand même pu compter sur l’incompétence pour nous sauver de la dictature.

Quelques semaines plus tard, je partageai la légitime inquiétude de mon frère Marc pour sa fille Maroussia atteinte de la Covid loin de sa famille, confinée au cœur d’un Paris déserté, d’un Paris irréel, d’un Paris tressaillant au son strident des sirènes d’ambulance, d’un Paris qui n’était plus une fête. Ma courageuse nièce se voulait rassurante, elle continuait à travailler depuis son petit appartement sans même parler de sa santé à son patron, surmontant le stress, la toux et le mal de crâne ; c’est une battante, une survivante rescapée d’une méningite cependant qu’elle n’était encore qu’un bébé de quelques semaines, alors la Covid, vous pensez, elle n’en fit qu’une bouchée ! (Oui, je sais que parler de « la » Covid fait parfois mauvais genre, mais puisque l’Académie française a tranché en faveur du féminin, je m’incline.)

Je ne désire pas m’étendre sur la terrifiante liste des calamités auxquelles la petite réchappa lorsque, à peine sortie du ventre de sa mère, elle fut frappée par cette saloperie de méningite, le reproche lapidaire issu de la bouche de Marc s’adressant à notre frère Michel résume à lui seul l’amertume de l’épreuve encore fraîche : « Toi qui n’es pas venu te pencher sur le berceau de ma fille, serais-tu venu te pencher sur son cercueil ? »

Michel avait une bonne excuse, mais on ne la découvrira que plus tard. IL était dans une de ses mauvaises passes, je vous en ai déjà parlé. Il choisit d’endosser le rôle du frère négligent plutôt que d’avouer son mal-être.

Concernant la Covid-19, tout le monde n’eut pas la chance de s’en sortir aussi bien que Marou, nous étions touchés par la peine des familles endeuillées sans savoir que nous étions sur le point de connaître un nouveau deuil dans la nôtre. Les circonstances tout à fait exceptionnelles du lockdown nous empêchèrent d’assister à l’enterrement de mon cher cousin Alain qui partit au Ciel à soixante ans pour y rejoindre sa sœur, ma bien-aimée Sabine qui nous avait quittés quelques mois plus tôt. Alain était un géant de plus de deux mètres au cœur tendre qui a lutté de toutes ses forces contre un cancer de l’estomac et ma cousine Sabine, la plus délicieuse des amies, calme, douce et protectrice s’était battue comme une lionne pendant plus de quinze ans contre de multiples cancers. Cela avait commencé par un avis dans sa boîte aux lettres qui l’invitait à un dépistage gratuit du cancer du sein dans une « Mammobile ». Elle se dit : « Après tout, pourquoi pas, allons-y ! » Elle se rendit la fleur au fusil dans un camion bien équipé pour faire sa première mammographie qui révéla une petite tumeur maligne. On la lui ôta, mais la tumorectomie se révéla insuffisante et ma chère cousine dut subir une mastectomie. Après la chimio, elle ne connut qu’une brève période de répit car le malheur ne chôma guère : ce fut au tour de sa maman d’être frappée par le cancer du sein. Sabine fit tout ce qui était en son pouvoir pour la soutenir jusqu’au bout, cependant l’issue fut fatale. Quelques temps plus tard, alors qu’elle roulait prudemment sur l’autoroute, les conducteurs qui arrivaient à sa hauteur klaxonnaient en la regardant d’un air méchant. Elle déviait de sa route, c’est de cette manière qu’elle se rendit compte que quelque chose clochait : trois petites tumeurs lui grignotaient le cerveau. Elle survécut de nombreuses années à force d’acharnement, alliant médecine allopathique et médecines traditionnelles, prières et aide psychologique, surmontant mille moments insurmontables, son Joseph toujours à côté d’elle, toujours à la soutenir, toujours à l’aimer. Un vilain matin, Joseph se sentit las, il mourut peu après d’un cancer du poumon. Sabine continua à lutter sans lui. Elle eut la consolation de voir son fils devenir père et sa fille devenir mère avant de partir sur la pointe des pieds, nous laissant le souvenir de son courage et de sa joie de vivre. Cette femme extraordinaire à l’accent liégeois doux et chantant, à la chevelure rousse flamboyante, frêle et gracieuse, forte et déterminée transcendait l’adversité par sa bonne humeur en riant de ses malheurs dès qu’elle le pouvait. Sa foi profonde lui permit de garder espoir et de prolonger sa vie sans baisser les bras. Elle m’avait confié avoir demandé à sa maman qui se savait mourante de lui envoyer un signe de l’au-delà, ce à quoi ma tante Pépelle avait répondu sans se démonter : « Je ne sais pas si cela sera possible, il faut que le Bon Dieu le permette ! » Elle guetta en vain et en fut attristée, alors quand son heure fut venue, elle ne tarda guère à prendre elle-même les choses en main, elle nous salua de charmante manière : il y a bien des années, elle avait offert une plante à notre cousine Anne qui me raconta les larmes aux yeux qu’elle la vit fleurir au décès de Sabine, puis la plante fleurit une seconde fois huit mois plus tard au décès d’Alain, or la brave plante n’avait jamais donné de fleurs avant cela. Anne qui s’était occupée avec tendresse de notre cousine méritait en effet des fleurs.

En espérant la fin de la crise sanitaire qui prit des proportions à donner le tournis au plus aguerri des derviches tourneurs, qui mit le monde entier à genoux, qui nous arracha le cœur et les larmes, qui nous engloutit à grandes lampées d’horreur, qui essaima sa cohorte de conséquences néfastes et nous laissa pantois avec nos remises en question, je m’accrochai en flippant à ma bouillote comme à une bouée de sauvetage. Elle me fut d’un grand secours pour combattre le stress et les petits microbes du printemps qui semblaient soudain bien inoffensifs à côté du reste. J’utilisai donc ma bonne vieille méthode sur un mode plus léger car, en plus d’abréger les rhumes, la chaleur soulage aussi toutes sortes de douleurs (musculaires, articulaires, torticolis, maux de ventre, de dos…), c’est très efficace.

Écoutez les conseils de Bibi, courez vous acheter une bouillote, elle vous épargnera bien des soucis de santé, mais prenez garde de vous brûler la peau. Serrez bien le bouchon, emmaillotez-la dans une serviette-éponge épaisse et éloignez-la souvent de l’épiderme sinon vous risquez de vous brûler très grièvement sans même le sentir, cela semble incroyable et pourtant c’est arrivé à mon Philippe qui avait laissé la bouillotte longtemps contre son dos. Résultat : une brûlure de cinq centimètres de diamètre malgré une serviette et un t-shirt qui protégeaient sa peau. Il n’a rien senti ! Donc tant que la bouillote est très chaude, laissez le derme se refroidir toutes les minutes, j’insiste vraiment ! Protégez bien votre gorge si vous soignez une angine et votre visage si vous y appliquer la bouillotte pour débouchez les sinus. Il existe maintenant toutes sortes de coussins à chauffer au micro-ondes pour éviter d’avoir à manipuler de l’eau bouillante, mais attention quand même au risque de brûlures par contact !

Bon, votre look glamour habituel prendra un coup de vieux, j’en conviens, mais n’ayez crainte, Guillaume Canet a désormais rendu la chose Rock’n Roll !

Comme vous le voyez, je fais ce que je peux pour m’éviter la torture d’une visite chez le médecin ; depuis quelques années, je tente de rester en bonne santé (sans garantie malheureusement) en me pliant à une routine simple inspirée en partie des conseils du regretté David Servan-Schreiber dans son excellent livre Anticancer.

Au programme, une excellente nouvelle : fini les régimes drastiques avec l’inévitable effet yoyo, je préfère rester ronde, mais stable ! À cet effet, comme les pêcheurs du dimanche, je surveille ma ligne – qui n’est plus droite depuis longtemps, elle est devenue courbe à force d’être brisée ! Je ne fume ni ne bois. Je ne mange pas de viande et essaie de becqueter plus de légumes (en vérité, je craque trop souvent pour un bon plat de pâtes). J’évite au maximum les pesticides et autres joyeusetés toxiques. Je fais également l’impasse sur le lait qui n’est pas selon moi le meilleur ami des femmes qui cherchent à éviter le cancer du sein et je me félicite d’avoir allaité mes enfants très longtemps (à cette époque bénie et révolue, ces adorables bébés voraces ne voulaient pas me lâcher) car on n’a pas inventé mieux que l’allaitement maternel (quand c’est possible évidemment) pour sustenter le nourrisson et protéger la femme du cancer du sein.

Quand on est ronde et que l’on cesse enfin de s’affamer ou de se justifier, il faut apprendre à résister gentiment aux remarques moins gentilles que l’on encaisse parfois. La société en général ainsi que la grande majorité de gens que l’on côtoie au quotidien jugent plus vite que leur ombre, ils sont profondément injustes envers les personnes dont la silhouette est généreuse. Non, elles ne manquent pas de volonté, au contraire elles ont enduré des tortures alimentaires inimaginables pour essayer de rentrer dans une norme factice qui les exclut volontairement. Elles ont toutes une histoire baignée de larmes et faite de privations, de souffrances, de blessures, de rejet, de dévalorisation et de manque d’estime de soi. Il faut être totalement ignorant pour oser leur dire qu’il suffirait d’un « petit régime » et d’un peu de volonté pour que tout s’arrange, autrement dit : elles doivent tout revoir pour être acceptées par quelques sans-gêne qui sont dans l’erreur !

De nos jours, chacun devrait savoir, y compris les médecins, que les régimes ne marchent pas sur le long terme, dans la plupart des cas on regrossit avec quelques kilos en cadeau Bonux, première circonvolution de la spirale infernale à effet yoyo ascendant ! Je suis bien placée pour en parler, j’ai perdu vingt-cinq kilos quand j’étais jeune, après quelques années je les repris ensuite je les ai perdu à nouveau et je les repris, après mes grossesses je les reperdus et repris… On ne peut pas être en guerre toute sa vie contre son corps qui a une tout autre idée que soi de son poids de forme ! Si votre système de régulation interne est programmé à soixante-dix kilos pour vous faire fonctionner de façon optimale, mais que vous vous acharnez à vouloir atteindre un poids soi-disant idéal de soixante kilos, bonne chance pour vous stabiliser sur toute une vie ! Cette évidence échappe à ceux qui critiquent sans savoir et il faut une bonne dose de caractère pour envoyer balader les ricaneurs, un peu d’air frais oxygènera leurs pauvres neurones asphyxiés par les discours prémâchés. Lors de conversations à bâtons rompus, on ne dit pas en permanence aux asthmatiques ou aux diabétiques : « Attention, vous allez vivre moins vieux, vous vous exposez à des risques de cancer ! », mais on le fait pour les gros. La peur n’a jamais guéri le surpoids qui est une maladie chronique, la peur ne fait pas maigrir, au contraire. Arrêtons la culpabilisation – qui est un des symptômes de l’ignorance. (Mes excuses aux asthmatiques et aux diabétiques, rassurez-vous, votre espérance de vie n’est pas compromise, j’ai pioché des exemples de maladies chroniques que l’on peut contrôler.)

Voulez-vous que pour toute épitaphe, on inscrive sur votre tombe : « Toute sa vie, il a voulu maigrir, maintenant, ça y est » ou encore : « Elle rêvait de n’avoir que la peau sur les os, quel accomplissement » ?

Excellente nouvelle pour les jusqu’au-boutistes qui choisiront la crémation, ils seront si légers que le vent pourra les emporter !

S’il y a bien un domaine où je ne fais pas le poids, c’est face à la génétique ! À un moment donné, on se rend compte qu’il faut vivre sa vie et que l’obsession d’un poids inatteignable est nuisible à la santé, qu’il serait plus constructif d’investir son énergie ailleurs, alors le cœur léger, on se dit enfin que les grossophobes peuvent aller se faire cuire un œuf.

Cela ne m’empêche pas de prendre soin de moi ni de bouger, comme à présent j’ai la chance de pouvoir gérer mon temps à ma guise, je dors suffisamment et je m’astreins à pédaler une heure par jour sur mon vélo d’appartement en regardant une série sympa pour arriver plus vite à destination. J’évite les situations stressantes (ce qui n’est pas toujours évident), je fuis la violence abrutissante ainsi que la publicité abêtissante qui envahissent nos écrans, je privilégie la bienveillance quand je le peux et je pratique la cohérence cardiaque soit quelques minutes de respirations lentes et calmes dès que j’en ressens le besoin.

Je chantonne en faisant le ménage, c’est pour cela qu’il pleut souvent en Belgique. J’aime le bruit de la pluie et l’odeur de la terre détrempée, mais lorsque j’ai besoin d’un changement de décor, j’ai un secret : je m’évade dans les grandes plaines du Serengeti si chères à mon cœur où la création du monde se rejoue sous mes yeux éblouis. Il me suffit d’écouter quelques notes du génial John Barry pour que la savane s’étende à perte de vue dans ma tête. Des milliers de gnous, de zèbres et de gazelles migrent dans mon imaginaire, une lionne repue paresse sur la grosse branche d’un arbre à saucisses, d’un air nonchalant elle surveille attentivement ses trois lionceaux qui jouent en contrebas dans les herbes folles, à l’ombre de l’épais feuillage.

Les amples mélodies empreintes de nostalgie des films Frances, Out of Africa, Born Free ou Dances With Wolves brassent en moi de suaves émotions qui bercent mon âme, ennoblissent la réalité et pour quelques instants volés, je suis la vraie baronne Blixen.

Quand la musique s’arrête, je ne suis plus que la baronne Blixen du Brabant wallon qui se mord la lèvre en époussetant un recoin difficile d’accès et non en tirant sur la lionne affamée qui charge son bel amant. Je n’ai aucun regret, de toute manière jamais je ne pourrais tuer un fauve d’une telle beauté, bon peut-être pour éviter à Robert Redford de finir en pâtée pour gros chaton, mais le pauvre a du souci à se faire, je n’ai rien d’une Calamity Jane !

Mais quand même comme il est séduisant ce geste de l’amoureux sur le point de devenir l’amant lorsque du bout des doigts, il frôle la lèvre blessée de Karen avant de lui murmurer avec désir : « En souffrirez-vous ? » et de l’embrasser sans attendre la réponse.

Elle s’abandonne en chuchotant : « Si vous dites quoi que ce soit maintenant, je le croirai. »

Quand la journée est aussi folichonne qu’une cellule de dégrisement bondée, il faut y mettre une touche de gaieté. Si vous n’avez pas John Barry sous la main, Mozart est là, personnellement j’en raffole avec un filet d’huile d’olive et quelques feuilles de basilic frais.

Quitte à passer pour folle (mais vous le saviez déjà), j’encourage mon système immunitaire, mon cœur, mon foie, mes poumons, bref mon corps tout entier à faire du bon boulot en lui parlant comme à un fidèle ami, je prends aussi quelques minutes de temps en temps pour lui demander si tout va bien : dans le silence et le calme, je passe en revue ma petite check-list personnelle et j’écoute ce qu’il a me dire, je laisse la parole à ma petite voix intérieure, je fais de la place à mon intuition.

J’ai besoin de ma dose d’oméga-3, de curcuma (de curcumine optimisée pour être précise) et de jus de grenade fermenté lyophilisé (GranaProsan) que j’avale consciencieusement chaque matin sous forme de gélules pour leurs propriétés anti-inflammatoires et anti-oxydantes. J’ai concocté mon cocktail maison pour venir à bout de douleurs envahissantes aux articulations qui ruinaient tout espoir d’une « vieillesse » agréable, je dois dire qu’à mon grand soulagement, l’efficacité de ma potion fut magique.

Et puis, bien sûr, si la prière occupe une place primordiale dans ma vie, le dialogue intérieur incessant que j’entretiens avec mon tendre ami Jésus est encore plus essentiel à mon équilibre.

À ces mots prononcés, j’entends les flonflons du bal des casse-pieds, ils ne sont guère jojo, me prennent pour une zozo et viennent m’enquiquiner. Certains me jugeront un chouia trop nunuche ou carrément gnangnan, d’autres me trouveront zinzin, je n’y peux rien. Je l’avoue sans chichis, Jésus est mon chouchou, lui parler à gogo est mon dada favori, chaque matin, je Lui fais un petit coucou et chaque soir avant de faire dodo, je lui dis bye bye, j’en suis gaga. Si les ronchons murmurent que j’ai le coco fêlé, que je suis olé olé, j’en reste baba, c’est le pompon pour Bibi qui ne pense pas être le joujou d’un leurre, point de cache-cache avec mes convictions, aucun tour de passe-passe, mais une sincère componction ! Dans le fond, fofolle ou sensée, c’est kif-kif, je ne crains ni les cancans qui font bobo, ni les guili-guili, ni les poutous, je ne suis plus un bébé tout riquiqui qui fait « youpi » s’il est bercé ou crie « ouin ouin » si sa nounou un peu neuneu et entêtée lui confisque son roudoudou sucré. Quand ma vie va clopin-clopant, plus couci que couça, quand entre le zist et le zest, je ne sais sur quel pied danser, quand tout va cahin-caha, je me fie à Jésus, je me sens moins perdue. Qui a dit : « Turlututu chapeau pointu » ?

Voyez comme le bruit de vos facéties est arrivé jusqu’à mes oreilles, je ne m’en agace guère, au contraire, je m’en réjouis.

Malgré la difficulté de vivre, l’affection et l’harmonie que je puise dans mes relations avec mon époux et mes fils me comblent de bonheur et cerise sur le gâteau, les ronrons et les câlins de mon chat font le délice de mes jours. Je ne boude pas l’amour qui règne dans ma maison.

J’espère que vous tirerez quelque inspiration de ce laïus improvisé sur les rituels intangibles qui me permettent de lutter contre cette fichue angoisse existentielle en me procurant quelques périodes de répit, non que je sois un exemple à suivre – j’ai beaucoup trop de défauts et de mauvaises habitudes à corriger –, mais David Servan-Schreiber, lui l’est et je vous invite à le lire si vous désirez prendre soin de vous.

Pour clore définitivement le chapitre douloureux de mon innocence dérobée qui semblait mieux finir qu’il n’avait commencé, sans langue de bois je vous livre le prix de mes confessions : huit jours passés à être malade comme un chien et cela va de soi, sans médecin.

Écœurée par le souvenir de cette agression abjecte qui a réveillé le reptile dans ma tête, mon sang bouillonnant me glace, j’étouffe à travers le temps et l’espace.

When I wake up in the morning, love

And the sunlight hurts my eyes

And something without warning, love

Bears heavy on my mind

Then I look at you

And the world’s alright with me

Just one look at you

And I know it’s gonna be

A lovely day

Mais dès que je t’aperçois, mon amour…

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