CHAPITRE 13 : TOTOR

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En cette belle journée d’automne, je lézarde au soleil, étendue dans ma chaise longue, bien calée dans le confortable moelleux des coussins épais et souples. La lourde et opulente senteur de l’humus régale mes narines. Je lis paresseusement, je médite, j’admire la nature généreuse qui s’engourdit lentement, jetant ses dernières forces dans un flamboyant feu d’artifice qui pare les frondaisons d’ambre et de grenat.

Mes trois hommes jouent au golf, me laissant profiter de ma solitude chérie. Je me délecte de la magnificence des noisetiers odorants qui offrent l’or de leurs feuillages à la lumière changeante de l’été indien. Depuis plus de vingt ans que je vis ici, jamais je n’ai pu goûter à une seule de leurs noisettes, non pas qu’ils soient stériles, ce sont de bons arbres qui donnent de bons fruits, mais une ribambelle d’écureuils se sert sans vergogne avant même que j’aie le temps de dire ouf ! J’adore le spectacle que m’offrent ces petits rouquins panachés en cette saison bénie. Ils s’affairent de branche en branche, examinant minutieusement chaque coin et recoin. La frénésie engendrée par cette profusion de nourriture anesthésie en eux la peur de l’homme, ils abandonnent leur prudence habituelle pour m’offrir le plaisir de les contempler. Je reconnais le vieux baroudeur expérimenté dont le pelage tire sur le noir, je découvre le jeune débutant au ventre blanc qui s’attarde imprudemment sur le plancher des vaches, ignorant qu’il pourrait être une proie facile pour mon chat qui fort heureusement fait de beaux rêves sur le canapé du salon.

Que l’automne est doux quand il se prend pour l’été. Le ciel resplendit d’une pureté sans taches, se gorge du pépiement des passereaux et se gonfle du jacassement des pies qui ont toujours quelque chose à raconter. Je jubile de gratitude au milieu de tant de bénédictions, soudain mon œil est attiré par un éclat d’argent qui cisaille l’azur. Trois secondes plus tard, un gigantesque œuf opalin, irisé de reflets bleuâtres lévite au-dessus de ma pelouse ! Aucun son, aucun souffle n’a trahit l’atterrissage éclair de cet étrange objet métallique d’environ un mètre de haut. Je suis stupéfaite, mais bizarrement je n’ai pas peur. Je n’ai pas le temps de reprendre mes esprits que déjà l’œuf se fait coque en s’ouvrant par le sommet. Appeler à l’aide ou prendre une photo, je n’arrive pas à me décider ? Le smartphone que je cherche à tâtons dans les coussins sans pouvoir détacher mon regard de cette scène surréaliste me glisse entre les doigts. Une poignante impression de déjà-vu mobilise mes sens. Deux grandes oreilles noires et rondes dépassent à présent de l’œuf décapité, puis apparaît une sympathique tête sphérique en fourrure au visage souriant, aux yeux rieurs, avec pour nez une bille d’ébène !

— Mais c’est Mickey ! C’est une blague ! (Voilà la seule chose que je trouve à dire.)
— Non, c’est Totor, me lance gaiement la souris venue de l’espace.

Au même instant, un rayon laser mauve me frappe au milieu du front. Mon corps est parcouru par une vague de bien-être qui déferle de la tête aux pieds, la mémoire me revient.

Mon ami Totor vient me saluer de temps en temps depuis l’enfance et le revoir est toujours pour moi un immense bonheur car je l’aime beaucoup. Venu d’une lointaine galaxie pour étudier nos us et coutumes, il s’est attaché à la petite fille que j’étais, attendri par mes taches de rousseur et mon extrême timidité vaincue cependant par l’envie effrontée de serrer très fort dans mes bras cette énorme peluche vivante. Dès notre première rencontre, il eut la délicatesse de prendre une apparence familière et amusante pour mieux coller à mes goûts enfantins, certain qu’un Mickey tout doux et bien dodu saurait m’apprivoiser. Comme mon intrépide explorateur du multivers – encore insoupçonné ou à peine ébauché par notre horizon cosmologique actuel – cache sous ses airs débonnaires une vaste érudition, il n’ignorait pas qu’en m’apprivoisant, il serait pour moi unique au monde, je serais pour lui unique au monde et que nous aurions besoin l’un de l’autre. Le renard de Saint-Ex disait vrai : « Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. »

Alors, magnanime, avant chaque séparation, il me donne le choix de l’oublier ou non jusqu’à notre prochaine rencontre. Il me fait le coup des Men in Black qui « flashouillent » les témoins gênants afin de s’effacer de ma mémoire pour que je ne souffre pas du manque, mais surtout pour me permettre de vivre normalement, sans ressentir le besoin de crier sur tous les toits que j’ai rencontré un extraterrestre tendre et farfelu. Peu envieuse du statut d’idiote du village, j’ai en toute logique toujours choisi l’amnésie, du moins jusqu’ici. Il m’a vue évoluer au cours des différentes étapes de ma vie, me demandant mon avis sur tout, me questionnant sur les moindres détails qui frappaient son imagination, étudiant tous les aspects de la nature humaine et de la société. Satisfaire sa curiosité se révéla aisé car il n’est pas désagréable de parler de soi à une grosse peluche naturellement empathique et pourvue par surcroît d’un sens de l’humour décalé. Lorsque je lui fis remarquer qu’il m’écoutait avec avidité comme si j’étais le Grand Maître Yoda en personne (je trouvais l’allusion à Star Wars pertinente pour un argonaute interstellaire), il s’esclaffa : « Tu es ma déesse de la sagesse, dès lors " ça Minerve " jamais ! »

Aujourd’hui, Totor désire faire le point sur ma foi, mes croyances pour mieux comprendre ce qui m’attire dans la vie mystique en général ; tout un programme. Dites donc, vous l’aviez vu venir : il est tombé pile-poil sur ma marotte, c’est étonnant, n’est-ce pas ?

Et pourtant dès le début de notre amitié, Totor avait pris la mesure de la force de la foi naïve de mon enfance, maintes fois mise en doute en grandissant, souvent négligée, parfois perdue, puis il avait été le témoin de sa reconquête cheminant de tentatives pour la simplifier en tentatives pour la fortifier. Il m’a fallu oublier ce que je savais d’instinct pour mieux le réapprendre en pleine conscience. J’explique à mon ami duveté, toute ouïe (comme quoi ses oreilles surdimensionnées se révèlent fort utiles), que le temps est venu pour moi dans la dernière partie de ma vie d’apprendre à lâcher prise. Qui de nous n’essaie pas de tout contrôler, d’être fort, indépendant, de plaire, de forcer le destin, de pousser, de tirer, de retenir le meilleur et d’éviter le pire en chaque circonstance, de constamment veiller au grain ? Qui de nous ne doit pas chaque jour trancher un doute, prendre des décisions d’importance variable, mais non dénuées de conséquences, batailler contre ses peccadilles ? Qui de nous n’est pas contraint d’affronter des épreuves exigeantes, de gagner sa croûte en travaillant d’arrache-pied, de s’accommoder des contingences du monde, de courir après le temps, d’en gagner pour mieux le perdre sur le quai d’une gare les jours de grève ?

Pendant le confinement du printemps 2020, les plus chanceux prirent conscience de la course folle qu’était devenue leur vie. Désireux de tirer profit du face à face forcé avec eux-mêmes, ils se sont juré qu’au sortir de cette crise inédite, ils sauraient profiter des bons moments, relativiser les urgences non urgentes, changer leurs comportements pour construire une société plus humaine, vivre plus simplement et rendre ses droits à la nature. La modernité du passé nous a sauté aux yeux. Nous verrons bien quelles tendances se dégageront de nos bonnes résolutions sur le long terme, sachant que les emmerdes se sont déconfinées en même temps que nous et qu’il est plus aisé de passer de la théorie à la pratique quand on a la chance inouïe de vivre confortablement plutôt que de devoir survivre au jour le jour. Concilier vie active et moments de recul salvateur pour prendre le temps de la réflexion relève d’un travail d’équilibriste pas évident à orchestrer.

Pour ma part, je suis crevée ! Je dois – voyez comme le choix du vocabulaire me trahit –, je modifie donc : je désire perdre le contrôle que j’ai gagné de haute lutte pour pouvoir me jeter dans les bras de Jésus avec confiance comme si j’avais deux ans et demi, comme un enfant se jette en courant dans les bras de son père qu’il aime à la folie et dont il est aimé à la folie. Ah ! Jésus aime les enfants, ça tombe bien, j’espère qu’il s’y connaît en baby-sitting et en psychologie infantile car je ne compte pas le lâcher ! Quand je m’y mets, je suis un insupportable bébé qui Le tire sans cesse par la manche et fait des tas de caprices dans le genre « je retiens ma respiration jusqu’à ce que tu cèdes ». Le pauvre se trimballe une authentique casse-pieds !

La force et la vérité que je perçois dans les paroles du Christ, je les savais déjà il y a quarante ans, avant de les mettre sous cloche (non comme les fromages odorants dont on raffole, mais plutôt comme les jeunes pousses que l’on protège afin d’en hâter le mûrissement), trop occupée à me désembourber des mares parfois fangeuses, plus rarement limpides que la destinée nous oblige tous à traverser. Évidemment, on marche, on vole presque sur les eaux cristallines, mais on patauge lamentablement dans les marécages, la vie est mal faite ! Dans le fond, au creux des années que j’ai longtemps qualifiées de perdues au point de vue des avancées spirituelles (où c’était moi la cloche), avant de réaliser que je me trompais car un temps de latence plus ou moins long selon les cas est nécessaire à l’émergence de l’essentiel, tout comme dans mes années lucides, je ne désirais rien accomplir d’autre qu’une vie d’amour avec Philippe. Ni les anicroches ni les contrariétés n’eurent raison de la pérennité de notre amour conjugal qui s’épanouit en s’ouvrant à l’amour tout court.

Dis comme cela, notre petit numéro bien rodé de duettistes acrobates de la vie sentimentale semble simpliste et prétentieux, il n’en est rien, nous avons conscience que ce coup de chance faramineux devrait nous rendre humbles et nous remplir de gratitude, nous nous y employons.

Là-dessus Totor, hyper sérieux, me lance : « En effet pour d’autres moins veinards, le mariage est un fabuleux mirage dans le désert : stupéfiante oasis aux palais mirobolants, fontaines mirifiques, luxuriantes palmeraies où paissent les troupeaux, puis soudain tout disparaît, ne reste plus… qu’un chameau ! »

Nous éclatons de rire, nous trinquons à la santé des camélidés, au Coca Zero car boire ou conduire un œuf spatial, il faut choisir. Comme mon tordant Totor m’assure que je mérite d’être heureuse et qu’il est content pour moi, je lui confie qu’il est facile d’aimer un homme comme Philippe qui a le don de rendre la vie légère et drôle tout en me donnant un profond sentiment de sécurité dont j’ai grand besoin et qui par-dessus le marché trouve de la perfection dans chacune de mes imperfections, ce qui est irrésistible. Il m’apaise et m’équilibre ; quand il me prend dans ses bras, plus rien n’existe que la tendre force de son étreinte.

La longévité de notre couple mérite-t-elle des applaudissements ? Il faut croire que oui car cela nous est arrivé alors que nous étions assis par hasard au premier rang du spectacle de Kody. Le sympathique humoriste belge voulant probablement lancer quelques vannes bien senties sur le mariage et le divorce nous repère, s’avance vers nous, nous demande si nous sommes mariés. Je connais mon mari, je vois dans son œil qu’il se dit : « Là, mon coco, pas de chance pour toi, courage pour trouver une blague sur la durée de notre couple ! » Ça ne rate pas, le pauvre Kody, pas très intuitif ce soir-là, nous demande depuis combien de temps nous sommes ensemble. Philippe, amusé, lui répond d’un large sourire plein d’aplomb : « Cela fait trente-huit ans », sous-entendu, débrouille-toi avec ça, mon gars. Tonnerre d’applaudissements, les mariages qui tiennent cartonnent auprès du public ! Ne pouvant esquiver les ovations, nous nous levons, nous nous retournons pour faire face à la salle en esquissant un coucou gêné avant de nous rasseoir avec la désagréable impression d’avoir pris cent ans dans les dents !

Kody qui ne s’attendait visiblement pas à cela se tint coi le temps de remonter sur scène. Désarçonné, il enchaîna de bonne grâce : « Bon, je ne tombe pas souvent sur ce cas-là… » avant de rebondir en nous pointant du doigt : « Accrochez-vous encore un peu, vous êtes presque sortis de l’auberge, les trente-neuf premières années sont les plus pénibles ! » Bien joué !

Il s’avère que je suis moyenne en tout, je n’ai guère de talent si ce n’est celui d’apprécier le talent des autres, je me débrouille avec ce que j’ai et j’ai peu, je ne brille point sauf dans un domaine bien particulier pour lequel je suis extrêmement douée, tellement douée que cela ne m’a servi qu’une seule fois : reconnaître l’homme de ma vie. Le bonheur est venu habiter chez moi et je l’ai reconnu. Me targuer d’avoir su transformer mon premier amour en « amour toujours » serait de mauvais aloi, je m’abstiendrai donc de me vanter de ce luxe advenu sans effort, mais c’est si bon. Tout s’est joué en un seul coup, mais c’est celui du siècle. Ses traits d’humour cinglants brisent le cercle vicieux de mes angoisses qui génèrent de nouvelles angoisses, s’auto-alimentant à l’infini. Il dédramatise les situations tendues qui me conduisent à ruminer mes névroses jusqu’à l’indécence, trouvant quelque satisfaction perverse à dorloter complaisamment mon malheur d’écorchée vive. Il semblerait que la foi censée m’apaiser me rende en fait plus sensible à la détresse de mes contemporains, me jetant paradoxalement dans les affres du désespoir avant de me réconforter. Chaque jour la panoplie complète des calamités qui frappent les infortunés habitants de notre planète me percute de plein fouet, me coupe le souffle, me fait battre les tempes, me tord les boyaux, bref, me devient insupportable. Loin de la drama queen qui se vautre dans l’excès extravagant de sa propre mise en scène, mon mal-être est imperceptible pour autrui, vécu dans la honte, connu uniquement de mon époux. Je ne sais que trop bien comment finissent les écorchés vifs : suicidés dans le caniveau !

D’instinct, pour ne pas nourrir la bestiole tapie dans la ténèbre de ma psyché, j’ai de tout temps et en toutes circonstances soigneusement évité les situations scabreuses et les produits addictifs, y compris ceux fournis avec la bénédiction d’Hippocrate dévoyé en hypocrite par l’emprise vénale des lobbys pharmaceutiques qui distribuent leurs antidépresseurs comme des bonbons. Même le jour de mes noces, je n’ai pas daigné tremper mes lèvres dans la coupe de champagne qu’un aimable serveur me tendait, d’ailleurs aucun convive ne m’a pressée de le faire, mes amis connaissent mon aversion pour l’alcool. Demandez autour de moi, on vous dira immanquablement que je mène une vie barbante, bon j’exagère un peu au bénéfice de la démonstration, disons pondérée.

« Si tu savais à quoi je pensais quand tu passais près de moi » chantait Catherine Bardin avant d’ajouter : « J’ai pas besoin de t’faire un dessin », mon dessin à moi n’aurait rien de coquin, il serait bien sombre, d’où mon immense soif de lumière. Personne jusqu’ici ne pouvait soupçonner ce qui se passe dans mon petit crâne, d’autant moins que mon large sourire et mon rire facile (tout à fait sincères car je suis toujours heureuse de rencontrer mes semblables) brouillent considérablement les pistes. De toute façon, je ne vois guère l’intérêt d’enqui- quiner mon entourage avec mes états d’âmes qui oscillent entre envolées amoureuses pour le Christ et amertumes rageuses envers ceux qui gâchent la fête. Les gens ont suffisamment de tracas, ils n’ont guère besoin des miens, mais bon, c’est quand même tentant… alors, si je me risque à les partager ici, c’est parce que je me demande souvent combien parmi vous sont comme moi, je me demande souvent si vous êtes heureux, je me demande comment vous faites pour vous dépatouiller avec vos émotions, avec les défis à relever dans votre vie ?

J’ai le privilège d’être très heureuse dans ma vie privée, mais comment l’être vraiment quand on a des yeux pour voir ! Je suis tout le temps crevée et maintenant vous savez pourquoi ! La nuit m’apporte parfois le repos, rarement l’oubli, mes cauchemars me rattrapent. Pourquoi ?

Êtes-vous de ceux qui voient l’existence comme une énigme ? Êtes-vous de ceux qui en cherchent désespérément le sens ? Êtes-vous de ceux pour qui être ne va pas de soi ? Êtes-vous de ceux que les pourquoi torturent ? Éprouvez-vous en permanence la difficulté d’être ? Êtes-vous crevés ? Maintenant, je sais pourquoi !

Je souffre au-delà du raisonnable de ne pas pouvoir soulever ne fût-ce qu’un coin du voile. L’insoluble équation du « Qu’est-ce que je fais là ? » me turlupine intarissablement. Aux grandes questions existentielles que le génie humain se pose de toute éternité viennent se greffer mes inquiétudes personnelles, plus anecdotiques si on prend du recul, c’est là le hic ! Nous traversons tous des épreuves pénibles, pas besoin d’en rajouter, mais… la déchirante tristesse qui s’est emparée de moi lors du traumatisme de mon enfance m’a clairement laissé ce genre de séquelles. Pour vous donner un exemple concret, lors d’un sympathique dîner entre amis, tout le monde s’amuse et se détend, on se raconte les derniers potins, on rit pour des bêtises, on balaie du doigt les photos des dernières vacances autour d’une bonne table bien arrosée (pour les autres) quand subitement je me surprends à penser : « Au secours, on va tous mourir dans d’atroces souffrances. » Donc il y a ça, puis se pose la question cruciale : « Mais quand donc passera ce satané réparateur de lave-vaisselle ? » J’étouffe alors sans délai les divagations saugrenues de mon pauvre cerveau avant qu’elles ne prennent trop d’ampleur et que ça finisse par se remarquer.

Sur ce, je fais mine d’ignorer Totor qui marmonne entre ses dents : « Ben, tu devrais p’t-être boire un coup après tout ! »

Je tente de construire un îlot de tranquillité dans le flot agité des pensées parasites de mon esprit vagabond, je parviens tout au plus à bricoler un radeau de sauvetage qui, s’il est emporté par le courant, flotte néanmoins.

Je veux bien croire que ce serait reposant d’être une brêle selon Brel, alors je vous dis en chantant que je voudrais : « Être une heure, une heure seulement, Être une heure, une heure quelquefois, Être une heure, rien qu’une heure durant, Belle, belle, belle et conne à la fois ! »

« T’inquiète, t’es belle et t’es co… euh, t’es connue pour être belle et intelligente à la fois ! » s’esclaffe mon ersatz d’E.T. en peluche. Une souris qui glousse, on aura tout vu !

J’ai été quelquefois belle (trop rarement à mon goût), mais il est certain que j’ai été trop souvent conne, à présent je m’en avise. Je ne crois pas que l’on soit l’un ou l’autre, bête ou intelligent, de manière définitive j’entends, exception faite des insupportables complotistes sur Facebook ou Twitter qui ne partagent que des imbécilités ahurissantes pour gonfler leur ego. Ceux-là semblent irrécupérables car ils se donnent l’illusion d’être des justiciers éveillés dans un monde peuplé de moutons de Panurge – on dirait que l’effet miroir fonctionne aussi pour cet important cheptel ovin qui paît goulûment dans les alpages de la crédulité. Disons plus simplement que ce sont eux les moutons, et encore, doublés d’ânes ! J’aime beaucoup les animaux, mais il y a des limites quand on connaît leur idéologie étriquée de racistes conspirationnistes qui marchent sur la tête où plus une once d’esprit critique ne survit, noyé sans doute avec le reste du troupeau – hommage bien involontaire de leur part à Rabelais à travers son personnage Panurge qui, depuis un bateau jeta à la mer le mouton qu’il venait d’acheter au marchand qui l’avait insulté. Pourquoi diable acheter un mouton à quelqu’un qui vient de le traiter de « face de cocu » ? Pour assouvir sa vengeance, pardi ! Il savait que le reste troupeau sauterait dans les flots à la suite du premier !

C’est par ce même mécanisme que de nos jours, les suiveurs décomplexés affirment en bêlant que la Terre est plate – tout comme leur encéphalogramme – et que Trump s’est vengé de l’humiliation infligée par le président Obama lors d’un discours gentiment moqueur à son endroit, en faisant gober n’importe quoi à sa base de fanatiques, quitte à mettre de l’huile sur le feu quand des émeutes qui pourraient tourner en guerre civile éclatent aux quatre coins du pays. Mais quand même, qu’elles étaient hilarantes les mises en boîtes d’Obama, il a cassé la baraque – facile, mais je ne pouvais pas ne pas le faire, ce petit jeu de mots tout pourri ! – en montrant à la presse hilare un photomontage pas piqué des hannetons de la Maison Blanche relookée à la sauce Trump : colonnes dorées, néons mauves et bimbos en bikini riquiqui sur la pelouse, voilà ce qu’il adviendrait de l’auguste demeure en cas de victoire du milliardaire orange, chantre du bon goût. Si tout le monde a bien ri de cette Maison Blanche de pacotille, plus personne n’eut envie de rire de la présidence en toc du bravache de carton-pâte.

Les moutons et les ânes ayant voté pour un canard boiteux, Donald Duck, oh pardon, Donald Trump a bel et bien gagné – avant de perdre ! On peut enfindire : « Bon débarras ! » Cet individu à la personnalité trouble, amputé de l’aptitude au moindre élan compassionnel pour ses concitoyens les plus démunis, ne nous a pas déçus ! Comme on s’y attendait, il ne casse trois pattes à un canard puisque cela suppose de savoir compter jusqu’à trois !

Quittons ceux de Panurge pour revenir aux nôtres ; je pense que nous sommes les deux : bêtes et intelligents, tour à tour, parfois simultanément car le quotient intellectuel ne fait pas tout, le cœur, les mains, la courtoisie et la générosité et bien d’autres qualités y ont leur part.

Aujourd’hui, suis-je sage ou naïve ? Les deux, mon capitaine ! Alternativement, mon capitaine ! Ce qui est certain, c’est que je dis moins de bêtises qui pourraient blesser autrui depuis que j’ai pris conscience qu’une fois de l’autre côté du miroir, je verrai ma vie entière défiler sous le regard de Jésus ou de « la lumière d’Amour » comme on l’appelle souvent au retour d’une NDE ; croyez-moi, lorsqu’on adhère à cette hypothèse, on change totalement de perspective, on se surveille. Je vous confesse que ça me fera mal de revoir certaines de mes vacheries conçues non par méchanceté délibérée, mais par maladresse ou manque d’empathie, ne tournons pas autour du pot, par bêtise quoi ! Alors sagesse ou naïveté selon vous ?

— Ben, si tu me le permets, j’aurais tendance à dire comme toi : les deux, mon capitaine ou alors tu es peut-être naïve de te croire sage ? me décocha Totor.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Tu dis que tu te retiens de dire des méchancetés, mais tu dézingues Trump !

— Aïe, j’avais pas pensé à ça !

— Tu te sens mal maintenant, hein ?

— Un peu, mais avoue qu’il le mérite, c’est l’exception qui confirme la règle.

— T’inquiète, je te fais marcher. Tiens, je vais te remonter le moral, écoute ça :

Donald Trump, Boris Johnson, Viktor Orban, Angela Merkel et une écolière de dix ans sont à bord d’un avion sur le point de se cracher. Ils sont cinq, mais il n’y a que quatre parachutes.

Sans attendre, Trump dit : « J’en ai besoin, je suis l’homme le plus intelligent du monde. » Il prend un parachute et saute.

Boris Johnson prend le second parachute en se justifiant : « Je suis l’homme le plus important du Royaume-Uni, j’ai survécu à la Covid-19, c’est pas pour mourir maintenant. » Sa tirade à peine terminée, il saute sans hésiter.

Viktor Orban s’empare du troisième parachute et saute en hurlant : « Je suis la Hongrie à moi tout seul, je fais ce que je veux ! »

Angela Merkel se tourne vers la fillette pour la rassurer : « Vous pouvez avoir le dernier parachute mon enfant, j’ai vécu ma vie et la vôtre ne fait que commencer. » Un large sourire aux lèvres, la petite lui répond : « Ne vous inquiétez pas Madame, nous sommes sauvées, il reste deux parachutes, figurez-vous que l’homme le plus intelligent du monde vient de sauter avec mon sac à dos. »

Je suis encore plus stupéfaite que Totor d’avoir atterri (sans parachute) sur cette planète ! Si je devais trouver une image pour vous décrire mon ressenti, je dirais qu’il ressemble à un émoji frappé de sidération, yeux ébahis sous des sourcils étonnés, bouche bée, en somme trois grands trous noirs sur un rond jaune. Je ne suis que poussière qui pense trop !

« Ah ! les trous noirs sont troublants ! Je les connais bien, s’emballe mon explorateur de l’espace aux grandes oreilles, comme l’expliquait le génial cosmologiste Stephen Hawking, de sa célèbre voix synthétique au timbre robotique : " Les trous noirs se forment dans les chaussettes noires ! " »

Totor la souris sourit, content de lui, puis l’air pensif, les yeux embués d’un vague à l’âme subit, il me caresse délicatement la main et me murmure tendrement d’une voix exagérément chevrotante et d’un air solennel :

— Tu es poussière, oui mais d’étoiles.

Sur ce, il se bidonne en croquant des chips !

— À propos de poussière d’étoiles, sais-tu ce qui se trouve dans un trou noir ? lui demandai-je, curieuse, en plongeant à mon tour la main dans le bol de chips.

— Du potage.

— Du potage ?

— Oui, du potage à la tomate ! Tu as vu la fameuse photo avec le halo orangé ?

— Pour la couleur, j’ai compris, mais pourquoi du potage ? rétorquai-je perplexe.

— Quand il s'agit de trou noir, on nage dans le potage!

— Waouh, j’apprécie ta verve désopilante, mais tu m’inquiètes, si même les extraterrestres ignorent ce qu’est un trou noir, où va le monde ? répondis-je en riant.

— Sûrement dans un trou noir, supputa-t-il, narquois.

Si mon inextinguible appétit pour la question du « Qu’est-ce que je fais là ? » n’est jamais rassasié, j’ai également soif de connaître le « Qu’est-ce que je fais là ? » des autres. La vie de mes compagnons d’exil m’intéresse, je cherche à comprendre si les méandres qui la dessinent relèvent d’une mécanique céleste dont la logique m’échapperait. Évidemment je n’y comprends rien, puis il y a exil et exil, nous vivons dans un îlot de prospérité trônant au milieu d’un vaste monde de misérable misère dans lequel je n’aurais pas survécu bien longtemps si j’y avais vu le jour. Toutes les cinq secondes, un enfant y meurt de faim. « Qu’est-ce qu’on fabrique ? » est en fait la question la plus urgente.

Totor : « T’as raison, vous devriez vous organiser. Au cours de mes voyages sur vos différents continents, j’ai demandé à plusieurs Terriens leur opinion sur la pénurie d’aliments dans le reste du monde. En Afrique, on m’a répondu : " Que signifie aliments ? ", en Europe : " Que signifie pénurie ? ", en Amérique : " Que signifie le reste du monde ? ", en Arabie : " Que signifie opinion ? " »

Totor n’a pas tort, sa petite caricature sardonique nous remet gentiment en question. Certains parviennent à faire bouger les lignes. À mon petit niveau, je ne sais que faire, comment agir. Je me demande si vous ressentez la même impuissance que moi ? Éprouvez-vous comme je l’éprouve une abstruse nostalgie venue du fond des âges, un manque déplaisant, un vide indéfinissable ? Cherchez-vous des solutions, des réponses ? La question du bonheur des gens que je croise m’absorbe souvent. Je me demande quelles sont leurs plus grandes joies, leurs plus grandes peines ? Quelles sont leurs préoccupations quotidiennes et le sens profond qu’ils leur donnent ? Peut-être sont-ils comblés ? Ou plutôt frustrés ? Se moquent-ils de ces questions, sont-ils insouciants ou pressés de toutes parts par les embarras matériels, n’ont-ils pas le loisir de se les poser ? Souvent, les personnes que je rencontre se confient spontanément à moi. Bien sûr, moins maintenant que je vis presque en recluse, mais très fréquemment dans mon ancienne vie. Nombreux sont ceux qui ont besoin de parler, de se décharger d’un poids. Il suffit pour cela d’un sourire, d’une aimable question et de l’envie d’écouter vraiment la réponse sans juger ; les gens le sentent, de parfaits inconnus partagent des bribes de leur histoire personnelle, vous livrent de but en blanc leurs secrets les plus intimes, vous choquent quelquefois sans s’en rendre compte par leurs propos limites, vous touchent de leurs larmes, vous communiquent leur bonne humeur, vous tordent de rire. Mon métier de commerçante m’a permis de côtoyer des personnes de tous horizons et d’apprécier l’étendue de la palette des états d’âme du genre humain.

Je me souviens pêle-mêle d’une Californienne aigrie qui se plaignait avec virulence et sans complexe d’être dans son pays victime de « l’invasion mexicaine », d’un très vieux et très moderne monsieur québécois, délicieux, grand voyageur et, contrairement aux apparences, as de l’achat en ligne à une époque où cela n’était pas encore entré dans nos mœurs européennes, d’un homme d’affaire pressé qui d’un « achetez » ou d’un « vendez » jonglait au téléphone avec des millions de dollars, comme dans les films, pendant qu’on emballait ses achats au comptoir, d’un inspecteur des impôts de la brigade volante qui retombait en enfance, sympathiquement gâteux devant les trains électriques, tout en exigeant sur le ton assuré du maître des lieux d’un autre temps s’adressant au petit personnel les justificatifs d’achat de chaque loco, de chaque wagon, de chaque pommier miniature, de chaque figurine, du moindre sachet de flocage pour modélisme.

Je me souviens de la jeune mère voilée qui pleurait dans mes bras sur le cancer de son enfant, de la distraite qui heurta la porte d’entrée vitrée de plein fouet, s’écroula aux pieds de mon époux avant d’être secourue par de charmants pompiers et de revenir le lendemain, certes un pansement sur le nez, mais le sourire aux lèvres pour nous tranquilliser.

Je me souviens de la fille du roi Albert II dont j’ignorais la venue, lui tournant le dos sans le savoir, absorbée derrière le comptoir par une conversation téléphonique avec mon frère Michel au sujet de l’opération que notre père devait subir le lendemain, qui racontait pendant ce temps à mon mari le méchant vol plané qu’avait fait son fils au-dessus du guidon de son vélo. Elle me sourit amicalement lorsque confuse, je m’aperçus de sa présence en raccrochant le combiné, puis devant mon teint rosé qui avait tourné au bistre gris poussière, elle me rassura d’un magnanime : « C’est important de prendre grand soin de nos papas », accompagné d’un clin d’œil complice. La gêne me fit monter aux lèvres un sourire contrit et aux joues l’incarnat le plus vif. Néanmoins, le souffle de feu qui embrasait mes pommettes calmit quand je réalisai que nous avions toutes deux un point commun avec ma chère sainte Thérèse, la princesse Astrid aussi appelait son père « mon roi » !

Je me souviens d’une jeune fille éteinte, mal dans sa peau, qui regardait toujours ses pieds, que j’apprivoisai peu à peu et que je surnommai « mon petit rayon de soleil », figurez-vous qu’elle le devint ! À l’opposé, il y eu cette autre jeune femme aux saillies hilarantes, magnifique, solaire qui me fit un véritable one-woman-show d’un quart d’heure pour moi seule et me laissa écroulée de rire au fond du magasin ! Je n’ai pas non plus oublié ce bel homme en costume trois pièces qui au fil des ans se transforma en sémillante cliente moulée dans des robes courtes et perchée sur talons aiguilles, ni ce fonctionnaire européen bouffi d’orgueil, se vantant d’avoir inventé l’euro, mais incapable de dire bonjour, de sourire ou d’utiliser sa carte de crédit, croyez-moi, je l’y ai aimablement aidé !

Derrière mon comptoir ou au milieu des rayonnages remplis de joujoux, j’ai prêté l’oreille à des milliers de confidences, mais cela m’est également arrivé dans des endroits plus insolites. Dans la rue, un monsieur assez âgé auquel j’avais lancé un joyeux bonjour m’a littéralement poursuivie pour me raconter l’ingratitude de ses enfants qui ne lui rendaient jamais visite. Comme je m’excusais de devoir presser le pas pour arriver à l’heure à mon rendez-vous et qu’il n’arrivait plus, le pauvre, à suivre la cadence, il se mit à parler de plus en plus fort au fur et à mesure que je le distançais, tant et si bien qu’à la fin, il hurlait ses confidences à toute la rue, nous nous fîmes de grands signes d’adieu, puis je tournai le coin, le cœur serré de devoir l’abandonner.

Dans l’avion qui m’emmenait vers le soleil de Tenerife, je réconfortai tant bien que mal ma voisine de siège, une jeune brésilienne qui éprouvait le besoin de s’épancher sur un douloureux avortement, drame de sa jeune existence. Je la laissai pleurer tout son soûl dans mes bras et cela la rasséréna un peu.

À Moscou, au pied de la colossale statue de Pierre le Grand, à bien y réfléchir, je devrais dire : au pied de la monstrueuse statue de Pierre le Grand, tant sa hideur couplée à d’arrogantes proportions dépasse le paroxysme du mauvais goût en provoquant une sorte de décalage risible qui brouille la rythmique du paysage urbain, à Moscou donc, notre guide âgée de trente-cinq ans au français impeccable, Nathalie (je n’invente rien, je constate simplement que Gilbert Bécaud avait raison) pointait du doigt la tête du grand homme (un gaillard de quatre-vingt-dix-huit mètres de haut, bateau compris).

— Vous ne remarquez rien d’anormal ? s’enquit-elle.

En touristes appliqués, le nez pointé vers le ciel, mon mari et moi, séchions.
— Elle est très moche ! se risqua Philippe.

Lorsque notre fou rire se calma, deux minutes plus tard, Nathalie reprit à travers ses larmes :

— La couleur de la tête est plus claire que le reste du corps qui a noirci. C’est parce qu’on a décapité… Christophe Colomb !

— Vous voulez dire Pierre le Grand !

— Non, non. Figurez-vous que le sculpteur avait représenté Christophe Colomb pour célébrer les cinq cents ans de la découverte de l’Amérique, mais là-bas personne n’en a voulu, on devine aisément pourquoi. Tout comme vous, Philippe, ils l’ont trouvée très laide. Mais l’artiste, Zurab Tsereteli, put compter sur son ami le maire de Moscou qui la planta sur la rive de la Moskova. Après l’échange des têtes, Colomb devint Pierre le Grand, mais les Moscovites la détestent car Pierre le Grand déplaça la capitale à Saint-Pétersbourg et puis elle est vraiment affreuse.

Nathalie était passionnante, nous étions avides de mieux la connaître et de découvrir sa façon de vivre et de penser. Sur les conseils de « Monsieur Cent Mille Volts », nous sommes allés au café Pouchkine boire un chocolat, dire que le célèbre parolier Pierre Delanoë l’avait inventé pour la rime trente-cinq ans avant son inauguration dans la réalité. Toutes ces années, les touristes français le cherchèrent vainement en fredonnant le tube de Gilbert Bécaud qui assista en personne à son ouverture à Moscou en 1999.

Bien, maintenant que j’ai trahi mon âge et perdu les plus jeunes, Philippe et moi pouvons boire notre chocolat en compagnie de notre guide Nathalie au fameux café Pouchkine ! Nous bavardâmes une demi-heure avant de reprendre la visite de la ville, Nathalie nous confia qu’elle vivait avec sa mère, sa grand-mère et ses deux chats dans un petit appartement sans grand confort, surchauffé en hiver au point de devoir entrouvrir la fenêtre par -25 °C ! Grosse déveine pour l’écologie : le système de chauffage urbain hérité de l’URSS ne permet pas de réglage individuel de la température, mais elle s’en moquait, elle estimait qu’elle vivait bien. Elle aimait particulièrement Poutine et tirait une sorte de fierté personnelle de la fortune démesurée des oligarques.

Par contre, c’est d’une voix blanche qu’elle évoquait les effets dévastateurs de la dévaluation du rouble et la souffrance du peuple russe à l’heure de la perestroïka. Elle nous raconta qu’enfant, elle pensait que les bananes poussaient sur les sapins de son quartier ! Luxe suprême, elle en mangeait une fois par an lorsque, à Noël des parents débrouillards en décoraient les conifères du parc voisin. Quand j’y repense, je réalise qu’elle ne se plaignait même pas en nous expliquant que sa maman avait vu les économies de toute une vie, équivalentes selon ses estimations au prix d’un petit appartement, se volatiliser du jour au lendemain, ne lui laissant pas de quoi s’acheter un paquet de cigarettes !

Totor m’interrompit : « L’autre jour, j’ai demandé à un communiste convaincu s’il partagerait sa voiture avec moi ? Il me répondit avec aplomb : " Bien sûr, si j'en avais une. " Puis je lui demandai s'il partagerait sa maison ? Sans hésiter, il m'affirma : " Absolument, si j'en avais une. " Sceptique et opiniâtre, je continuai sur un ton trop badin pour être innocent : " Et que ferais-tu, si tu avais un million ? " Étonné de me voir insister lourdement, il me promit : " De toute évidence, je le partagerais avec toi. " Amusé par sa réponse si spontanée, je lui demandai de me prêter sa bicyclette. " Impossible, j'en ai besoin pour me rendre à la réunion du parti ! " Il s'éloigna en pédalant sur l'étroit sentier de ses certitudes, mais tu te doutes bien que je n’avais pas vraiment besoin de son vélo, mon œuf est vachement plus pratique pour se déplacer sans encombre.»

Philippe et moi savourions chaque seconde de notre escapade en amoureux qui nous mena tout naturellement à la flamboyante Saint-Pétersbourg. Nous avions réservé avant le départ les excursions classiques que l’on fait dans ces cas-là. Éblouis par la somptuosité des cathédrales et des palais, enivrés par la profusion de chefs-d’œuvre des grands maîtres de la peinture, nous vivions en autarcie dans notre bulle parfaite, repus d’amour, de beauté et de dépaysement jusqu’à la visite du splendide palais impérial de Tsarskoïé Selo dont l’imposante façade céruléenne soutenue par de puissants atlantes et couronnée de bulbes dorés dégage une poésie mélancolique et abrite une enfilade de salles à l’éclat digne du faste des cérémonies de la Cour de la Grande Catherine où richesse et pompe dépassaient de loin l’imagination. Si le mythique cabinet d’ambre de l’impératrice magnifia la féerie des lieux, notre rencontre avec un couple d’Anversois qui avait choisi le même forfait hôtel-excursion que nous pour les deux derniers jours nous ramena à la dure réalité : autour de nous, les autres continuaient d’exister !

Lui : la soixantaine bien tassée, de taille moyenne, filiforme et sec, cheveux blancs court tondus, œil perçant et mains noueuses, courageux kiné dévoué à sa clientèle vieillissante qu’il allait masser à domicile tous les matins en enfourchant énergiquement son vélo ; elle : épouse discrète et soignée à la sage chevelure auburn, prof d’anglais dans une école hôtelière.

Puisque nous devions partager les trajets, les visites et les déjeuners avec ce couple réservé, Philippe, comme à son habitude, brisa très rapidement la glace, histoire d’éviter les silences embarrassés, les regards en chien de faïence et autres sourires gênés. Aussitôt installé dans la voiture, il lança cette opportune boutade : « Et dire qu’il faut venir en Russie pour que les Flamands et les Wallons se rencontrent ! » Cela fonctionna à la perfection : rires complices, échanges de questions-réponses, passage en revue des métiers, des situations de famille etc. Une ambiance conviviale propice à faire sauter les verrous de la retenue s’installa entre nous. À votre avis, qu’arriva-t-il ? Les verrous de la retenue sautèrent.

L’échappée du lendemain nous dévoila l’exquise harmonie des jaunes éclatants du palais de Peterhof, sublimés par une délectable lumière ciselée mettant admirablement en scène les ocres automnaux des jardins indifférents au clapotis paresseux du golfe de Finlande qu’ils dominent de leur majesté quelque peu chahutée par une multitude d’écureuils acrobates.

À midi, attablés avec nos nouveaux amis autour d’un bon bol de Bortsch rouge à la betterave, nous passâmes sans transition de la jubilation qu’offre la conscience d’avoir le privilège de découvrir tant de merveilles, à la consternation dans laquelle notre impitoyable Anversois nous plongea sans préambule, en rompant le charme d’un : « Alors comme ça, vous n’aimez pas Bart De Wever, vous, les francophones ! »

Ne laissant rien paraître de son légitime agacement, Philippe avala une gorgée de l’épais potage en me donnant sous la table un discret coup de genou qui signifiait : « Tu vois, il ne lui aura pas fallu bien longtemps pour se lâcher. Le type ne manque pas de toupet. Chérie, faisons diversion, j’ai pas envie de m’étendre sur l’extrême droite flamande, là, tout de suite car si on devait lui dire notre façon de penser, il y aurait vite une coui… dans le potage, fût-il russe. Pardon mon amour, je n’ai pas voulu être vulgaire, mais il m’a vrillé les nerfs le kiné à bicyclette ! Je t’aime ma chérie. »

Eh oui, il y a plus d’intelligence, de diplomatie et d’amour dans le genou de mon mari que dans le ciboulot de certains !

Un fan de la N-VA (un des deux partis nationalistes flamands d’extrême droite que compte à mon grand désarroi mon tout petit pays, comme si un seul n’était pas déjà amplement suffisant, je le précise pour non-Belges, soit les habitants de tous les autres pays du monde, soit plus de 7,5 milliards de personnes qui ont, je présume, d’autres priorités dans l’existence) meurt subitement. Gonflé de sa propre importance, galvanisé par la harangue fascisante des orateurs qui manipulent avec véhémence les esprits faibles et dont on aurait tort de minorer l’effet néfaste sur la pression artérielle des membres de l’auditoire, le pauvre homme se retrouve face à saint Pierre qui se tient devant un immense mur fait d’horloges.

— Saint Pierre, c’est quoi toutes ces horloges ?

— C’est simple, mon ami. À chaque naissance, une horloge apparaît. Les aiguilles tournent dès que la personne dit ou fait une bêtise.

— Ah bon ! elle est où celle de Bart De Wever ?

— Dans ma chambre, je l’utilise comme ventilateur !

Voilà ce que j’avais envie de répondre à notre provocateur anversois, au lieu de quoi, je l’éconduisis mollement d’une lâche platitude : « Nous profitons de ces petites vacances loin du plat pays qui est le nôtre pour décompresser, ne parlons pas politique. »

Le lascar ne lâcha pas l’affaire, nous toisa du regard suspicieux qu’il jette sans doute à tous ceux qui n’adulent pas son petit chef nationaliste flamingant, puis s’attaqua à la reine : « Et la Mathilde, on dit que vous l’aimez bien, vous les francophones, mais moi, elle m’énerve, elle sourit tout le temps bêtement ! »

Je voulus d’un discret clin d’œil faire comprendre à mon tendre époux qu’il était inutile de se mettre la rate au court-bouillon pour ce rabat-joie qui n’entendait que pouic à l’art de la conversation badine, mais trop tard, l’homme qui règne sans partage sur mes jours et mes nuits stoppa en riant cette diatribe inappropriée aux circonstances : « Vous avez raison, je ne souffre ni la reine ni le roi des… » Comprenant qu’il allait vraiment le dire (je parle du mot « sot » bien sûr, mais avec un c à place du s et un n à la place du t), je le coupai en aboyant : « des Belges, ni le roi des Belges ! »

Nous partîmes tous deux d’un rire aussi jaune que la façade du Peterhof. Heureusement, nos compagnons de voyage mêlèrent leurs rires au nôtre car ils n’avaient guère capté que Philippe parlait d’eux et non des monarques belges qui ont effectivement la délicatesse de sourire lorsque les événements s’y prêtent.

L’après-midi dévoila d’autres merveilles, Saint-Pétersbourg en regorge. Malgré nos divergences de vues, la fin du voyage se passa dans une ambiance détendue, non sans une dernière perle pour la route : après nous avoir narré leur visite en Australie où vit leur fils aîné, nos compatriotes nous vantèrent la beauté de la Grande Barrière de corail. Comme nous partagions nos inquiétudes face au réchauffement climatique qui provoque le blanchissement de ce joyau que l’on se doit de transmettre intact aux générations futures, notre drôle de coco nous infligea ce qui aurait pu être une estocade fatale portée à l’espoir que nous plaçons en l’espèce humaine, mais qui finalement n’aura qu’égratigné notre increvable optimisme. Voilà ce que je voulais vous dire de mes rencontres russes, bon d’accord, puisque vous insistez, voici sa sortie (qu’il appuya du reste d’un évocateur geste de la main comme pour chasser des mouches invisibles) : « Oh maintenant que je l’ai vue, la Grande Barrière de corail peut bien disparaître, je m’en fiche ! » Vé-ri-di-que !

Dans une cabane à sucre du Québec, j’ai vu la carapace de ma voisine de table, à la forte personnalité voler en éclats en un instant. Submergée par l’émotion à la vue des couples de danseurs qui ondulaient sur la piste, un sanglot sourd roula dans sa gorge, souleva sa poitrine, écrasa ses épaules et se brisa sans bruit pour venir s’échouer sur ses joues blêmes. Assise en face de moi, à la longue table de convives, dans une ambiance de kermesse, elle posa ses mains à plat devant elle sur la nappe à carreaux rouges et blancs, les tendit lentement dans ma direction et me lança un regard plein de détresse. Dans le bruit et les lumières festives, personne d’autre que moi n’avait remarqué qu’elle pleurait à chaudes larmes, je pris ses mains dans les miennes en me penchant vers elle pour la consoler. Dans un souffle hoqueteux et nostalgique, elle murmura à mon oreille attentive : « Mes parents adoraient danser, ils me manquent tellement. » Je ne comprenais que trop bien ce qu’elle ressentait pour regretter instantanément mon jugement hâtif à son égard. Pour l’avoir côtoyée pendant une semaine dans le cadre d’un voyage organisé en groupe que nous faisions en famille, je l’avais crue raide et compassée, mais ce soir-là, elle se révélait au contraire sensible et d’humeur primesautière car dès ses larmes séchées, elle se leva d’un bond et invita mon fils aîné de trente ans son cadet à danser.

Pour lui faire plaisir (et parce qu’il a reçu une excellente éducation), celui-ci s’exécuta avec le sourire et sans se faire prier. Mue par une pulsion de vie planquée au tréfonds de sa tristesse, elle riait et revenait régulièrement à la charge pour entraîner toute la tablée sur la piste, d’ailleurs cela m’amusait beaucoup d’observer du coin de l’œil mon fils Michel qui se ratatinait sur sa chaise en bout de table, de peur qu’après son frère cela ne tombe sur lui, peu enclin à rejoindre ses embarrassants parents qui enflammaient le parquet.

Il fut sauvé par la tire sur neige qui souleva l’enthousiasme du groupe de touristes français, belges et suisses, curieux de découvrir plus avant les traditions folkloriques de nos lointains cousins d’Amérique, en d’autres termes pressés de se « sucrer le bec ». Faites couler des traits de sirop d’érable bien chaud sur de la neige bien glacée, munissez les gourmands d’un bâtonnet de bois, donnez le signal de départ et vous aurez le plaisir de voir une bande d’adultes retomber aussitôt en enfance, chacun y allant de bon cœur pour enroulez une coulée de caramel gluant autour de son bâton de sucette.

La richesse de l’existence est tramée de cette prodigalité de rencontres, de visages, de partages, de réflexions ; toutes ces vies font mystérieusement partie de la mienne. À propos de mystère, je ne nierai pas que la présence de Totor dans ma vie en soit un de taille !

— Mystère ! Mystère ! Est-ce que j’ai une gueule de mystère ? objecta ce dernier en singeant l’accent parigot et les manières d’Arletty.

— Je te signale que ça marche mieux avec « Atmosphère ! Atmosphère ! », rectifiai-je en riant.

— OK, disons qu’il y a une atmosphère de mystère, concéda-t-il avant de peaufiner sa pensée. Pour moi le mystère est que tu croies au mystère de Dieu fait homme. Je te connais depuis l’enfance, tu es quelqu’un de sensé, tu as surmonté des tragédies, tu as les pieds sur terre, tu aimes un homme dont tu es aimée en retour, vous élevez des enfants, vous faites tourner une boîte, vous avez fourni des emplois à plusieurs personnes pendant des années, vous contribuez à la société, vous avez accompagné vos parents dans la vieillesse et dans la mort, et pourtant tu gobes un truc digne d’un roman de science-fiction ! C’est vraiment étrange quand on y pense, tu ne trouves pas ?

— Oh ! Arletty, t’es bien sérieux tout à coup. Justement, quand on y pense, c’est ma foi qui me permet de donner un sens à cette galère. Je ne supporterais pas de vivre une vie, comme ça, suspendue dans le vide, sans raison, sans but, qui se termine dans le néant, vaine, quoi ! Non, non, je veux apprendre à aimer, sinon je ne vois l’intérêt. Je compte bien être une morte heureuse ! Et toi, tu crois en Dieu fait Mickey ?

— Non ma Bibi, sérieusement, tu penses vraiment que le jeune charpentier crucifié il y a deux mille ans à Jérusalem était le Fils de Dieu ?

— En tout cas, s’il y a erreur sur la personne, c’est une grosse boulette, une boulette qui a pris des proportions internationales ! Évidemment que je le crois ! Je crois que Jésus dont le prénom signifie « Dieu sauve », tu le savais ?...

— Euh ! pas vraim…

— T’inquiète, le coupai-je, pas la peine de creuser le rembourrage de ta petite tête en peluche, c’était une question rhétorique mon Totor. Je voulais dire que je crois que Jésus est l’appui sur lequel tout repose d’où le symbole du charpentier ! Il est la charpente de ma vie, et par ma vie, j’entends ma vie éternelle car je mourrais si ma vie devait s’arrêter !

— Ha, Ha, ha ! Amusant ! Mais si toi, tu dis : « Évidemment ! Évidemment ! », je pense que ce n’est pas si évident pour tout le monde.

— Oui, c’est vrai, j’en connais beaucoup qui repoussent l’idée de transcendance, ils se coupent du Bon Dieu l’air de rien, englués dans la chimère de leurs occupations si importantes qu’elles s’arrêtent net au moment de leur mort alors que le monde, lui, continue à tourner comme avant. Imagine un peu à côté de quoi ils passent s’ils ne ressentent pas la présence du Bon Dieu comme une énergie d’amour qui vit au fond d’eux et qui les traverse aussi puisque chacun peut la donner et la recevoir, et c’est délicieux. Il n’y a rien de mieux, pourtant on peut la négliger en la laissant hiberner dans l’hiver d’un cœur égoïste, on peut même la détruire en prônant la haine, mais si l’on aime le printemps, on la réveille, on la chouchoute, on la travaille, on la fait vibrer, on la répand autour de soi en semant sourire, bonheur, partage et bonne humeur. C’est pas chinois ! Bien sûr, personne n’est tout noir ni tout blanc, mais ceux qui se laissent inspirer par le message d’amour universel du Christ savent mettre une étincelle de lumière dans leurs paroles et dans leurs actes envers autrui, ceux-ci vivent en couleurs. Dans la vie, il n’y a rien de plus urgent que d’aimer et de réaliser que la plupart du temps, le bonheur est dans l’instant présent.

— Bien dit, ma Bibi, mais il y a quand même quelques bizarreries difficiles à gober dans le Christianisme, me fit remarquer d’un ton narquois mon Mickey sorti tout droit du cosmos.

— Ah ! tu veux jouer à ce jeu-là, mon finaud extraterrestre préféré ! Écoute, je comprends que les esprits rationnels se posent des questions pratiques, mais par pitié, qu’ils ravalent leurs ricanements condescendants. Ils se croient supérieurement intelligents car pour eux ce beau conte de fées pris au sérieux est une insulte au bons sens. Ils considèrent les croyants comme des crédules délirants. Je leur réponds que si la foi est un don de Dieu, la raison l’est aussi ! Échec et mat.

— J’aime beaucoup les échecs, c’est comme dans la vie, on ne gagne jamais une partie en abandonnant, c’est voué à l’échec.

— Tu tiens la grande forme dis donc, mon Totor.

— Merci du compliment Bibi, discuter avec toi m’amuse beaucoup, mais bon, tu bottes en touche là, dis-moi, tu ne trouves pas qu’un Dieu qui s’incarne pour se faire délibérément crucifier dans le but de vous sauver, qui meurt dans d’atroces souffrances, ressuscite, monte au Ciel et vous envoie l’esprit saint de là-haut, c’est un peu dur à avaler ? Je t’accorde que beaucoup gens normaux comme toi, enfin t’es pas un bon exemple de normalité hein, disons que beaucoup de gens croient à cette « fable » qui paraît insensée.

— C’est pratique, tu fais les questions et les réponses, en plus je te signale que je suis tout à fait normale ! Tu sais, tout ça, c’est bien beau, mais ça stagne au niveau théorique si on s’en contente, moi j’ai tissé une vraie relation avec Jésus, je lui parle au quotidien, et avec la Sainte Vierge, et avec ma sainte Thérèse évidemment. Tu vois, normale je te dis ! Je suis loin de ta « fable », c’est mon quotidien.

— Et ils te répondent alors ?

— Bien sûr, avec une délicatesse qui me met quelquefois les larmes aux yeux. Les grosses épreuves de la vie ne me sont malheureusement pas toujours épargnées, mais je suis soutenue et aimée, je reçois des signes, des petits clins d’œil d’encouragement. Tu trouves ça bizarroïde ?

— Non c’est plutôt mignon, mais attends, j’ai une fameuse bizarrerie en stock pour toi. L’histoire pourrait débuter comme ceci : il était une fois, il y a bien longtemps, dans un lointain pays baigné de soleil, une ravissante jeune femme sur le point d’accoucher, assise un âne, qui attendait son époux parti à la recherche d’une chambre pour la nuit. Comme les auberges affichaient complet et que personne ne voulait les recevoir, le soir venu, le couple désemparé et harassé de fatigue trouva refuge dans une grotte ! Une étoile comme on n’en avait jamais vue de mémoire d’homme brillait au-dessus de cet abri de fortune où naquit le Sauveur du monde. Les bergers et les rois adorèrent ce nourrisson emmailloté et posé avec amour dans une mangeoire. Il était le Fils de Dieu Tout-Puissant dont l’ombre avait « fricoté » neuf mois plus tôt avec la ravissante jeune femme, consentante, évidemment !

Marie n’était pas n’importe qui, Elle était l’l’Immaculée Conception, conçue sans péché, que les générations appelleront Sainte Vierge et Mère de Dieu. Le petit Jésus annonçait une nouvelle ère pour l’humanité entière, même si l’on sait à présent qu’en fait, il est né cinq à sept ans avant lui-même !

— Ah ! mon Totor, admets quand même que le petit Jésus fait des prouesses !

— C’est vrai, c’est fort ! Mais bon, une vierge qui accouche de Dieu … Et la suite est du même tonneau.

— Attends, ce qui beaucoup plus fort encore, c’est la pensée de Jésus, totalement révolutionnaire. Il faut relire ses exhortations. « Jamais homme n’a parlé comme cet homme ! », lit-on dans l’Evangile de Jean. C’est vrai, on est frappé par la puissance de ses paroles et de ses actes. Donne-moi une seule idée qui sonne plus juste que celle du Christ quand il nous dit : « Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. » Puissant et plein de bon sens, c’est simple, si on faisait ce qu’Il demande, ce serait le paradis sur terre.

— Oui, c’est balèze, reconnut Totor.

— Non seulement c’est balèze, comme tu dis, mais si tu te donnes la peine d’écouter avec des oreilles neuves la voix de Dieu incarné, et tes oreilles sont assez grandes pour ça, pardon Totor, je te taquine, tes oreilles sont parfaites, je veux dire que si tu écoutes attentivement, tu prends une grosse claque sur la joue, puis tu tends l’autre joue car tu veux obligatoirement savoir où tu te situes d’un point de vue moral ! Tout à coup, le gloubi-boulga rabâché sur le ton horripilant qu’on nous sert à la messe s’efface devant la profondeur du texte qui ouvre sous nos pieds l’abîme de nos imperfections.

— « L’abîme de nos imperfections », comme tu y vas Bibi !

— Grandiloquent, peut-être, mais tellement vrai. Comprendre le message de Jésus, c’est comme traverser un miroir vers un monde nouveau qui bouleverse la perspective de ce monde-ci.

Dieu crée ses enfants, il les aime, il leur donne la liberté, ils sont mignons, puis ils sont de moins en moins mignons, ils font des bêtises, ils inventent tout un éventail d’imbécillités qui va de la peccadille au génocide. Certains dévoient son message d’amour pour le transformer en haine, d’autres l’oublient, le nient, le blâment, le négligent ou l’offensent. Il y en a même qui le détestent, le jalousent ou se prennent pour Lui, bref, le Très-Haut en voit de toutes les couleurs, mais devant tant d’ingratitude, que fait Le Fils de Dieu ? Au lieu de consommer le jugement du monde dès que cela tourne mal, Il offre sa vie par l’ignominie de la crucifixion pour expier lui-même les péchés commis contre Lui, Il vainc le monde, Il vainc la mort, Il ressuscite. Si ce n’est pas de l’amour, qu’est-ce que c’est ? Il nous donne la clef du Royaume. Encore faut-il vouloir s’en servir. Ce n’est pas si compliqué, c’est même très agréable si l’on considère que l’amour est la clef du Royaume, je dis même que le Royaume, c’est l’amour.

Lorsque je confiai à mon fils François mes doutes quant à mon habileté à résumer en quelques lignes la mission et la parole du Christ (que l’on croit connaître mais qu’au fond, on n’a plus vraiment écoutée depuis des lunes), il eut cette punchline des plus adéquates : « He took one for the team ! »

C’est sorti spontanément en anglais, et cette notion d’équipe mise en relief avec une évidence assumée qui m’a beaucoup plu, m’a aussi donné à réfléchir. Bon, j’en ai fini de mon petit couplet laudatif, écoutons la voix qui porte au genre humain un message crucial (ben oui, crucial signifie en forme de croix et se dit d’un moment où une décision s’impose !), écoutons les paroles du Christ dans son style lapidaire, sans fanfreluches et clair comme de l’eau de roche. Croyez-moi, vous ne ferez rien de plus utile pour votre évolution personnelle aujourd’hui ni même dans les cent années à venir, écoutons Jésus :

Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif.

Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura au contraire la lumière de la vie.

Je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer, il pourra sortir et trouvera un pâturage.

Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.

Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra.

Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va vers le Père sans passer par moi.

Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron.

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux.

Heureux les affligés car ils seront consolés.

Heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde.

Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande.

Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi la gauche.

Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent. Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux.

Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.

Mais quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône se fasse en secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles, ils seront exaucés.

Ne leur ressemblez pas ; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.

Voici donc comment vous devez prier : Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du malin. Amen.

Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.

Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?

Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ?

Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie ?

Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement ? Considérez comment croissent les lis dans les champs : ils ne peinent ni ne filent.

Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Si Dieu habille de la sorte l’herbe des champs, qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ?

Ne vous inquiétez donc pas en disant : Qu’allons-nous manger ? Qu’allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ?

Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.

Ne vous inquiétez donc pas du lendemain ; car le lendemain aura soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine.

Ne jugez point, et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés ; absolvez et vous serez absous.

Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?

Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira.

Si donc, méchants comme vous l’êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent.

Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là.

Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent.

Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans ce sont des loups voraces. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons ?

Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits.

C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.

Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur ! et ne faites-vous pas ce que je dis ?

C’est pourquoi, quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique, sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc.

La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés contre cette maison : elle n’est point tombée, parce qu’elle était fondée sur le roc.

Mais quiconque entend ces paroles que je dis, et ne les met pas en pratique, sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable.

La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ont battu cette maison : elle est tombée, et sa ruine a été grande.

Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux.

Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants.

Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger.

Si vous saviez ce que signifie : Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices, vous n’auriez pas condamné des innocents.

Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse.

Un semeur sortit pour semer sa semence. Comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin : elle fut foulée aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent.

Une autre partie tomba sur le roc : quand elle fut levée, elle sécha, parce qu’elle n’avait point d’humidité.

Une autre partie tomba au milieu des épines : les épines crûrent avec elle, et l’étouffèrent.

Une autre partie tomba dans la bonne terre : quand elle fut levée, elle donna du fruit au centuple.

Que celui qui a des oreilles pour entendre entende !

Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume de Dieu ; mais pour les autres, cela leur est dit en paraboles, afin qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en entendant ils ne comprennent point.

Voici ce que signifie la parabole : la semence, c’est la parole de Dieu.

Ceux qui sont le long du chemin, ce sont ceux qui entendent ; puis le diable vient, et enlève de leur cœur la parole, de peur qu’ils ne croient et soient sauvés.

Ceux qui sont sur le roc, ce sont ceux qui, lorsqu’ils entendent la parole, la reçoivent avec joie ; mais ils n’ont point de racine, ils croient pour un temps, et ils succombent au moment de la tentation.

Ce qui est tombé parmi les épines, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole, s’en vont, et la laissent étouffer par les soucis, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils ne portent point de fruit qui vienne à maturité.

Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole avec un cœur honnête et bon, la retiennent, et portent du fruit avec persévérance.

Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla.

Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi.

Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : « Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? »

Il leur répondit : « C’est un ennemi qui a fait cela. » Et les serviteurs lui dirent : « Veux-tu que nous allions l’arracher ? »

« Non, dit-il, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier. »

Celui qui sème la bonne semence, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; la bonne semence, ce sont les fils du royaume ; l’ivraie, ce sont les fils du malin ; l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges.

Or, comme on arrache l’ivraie et qu’on la jette au feu, il en sera de même à la fin du monde.

Le Fils de l’homme enverra ses anges, qui arracheront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l’iniquité : et ils les jetteront dans la fournaise ardente, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.

À quoi le royaume de Dieu est-il semblable, et à quoi le comparerai-je ?

Il est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et jeté dans son jardin ; il pousse, devient un arbre, et les oiseaux du ciel habitent ses branches.

À quoi comparerai-je le royaume de Dieu ?

Il est semblable à du levain qu’une femme a pris et mis dans trois mesures de farine, pour faire lever toute la pâte.

Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles. Il a trouvé une perle de grand prix ; et il est allé vendre tout ce qu’il avait, et l’a achetée.

L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour publier une année de grâce du Seigneur.

Aujourd’hui cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie.

Rassurez-vous, c’est moi, n’ayez pas peur !

Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible.

Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes ; ils le feront mourir, et le troisième jour il ressuscitera.

Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.

C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux.

Quiconque reçoit en mon nom un de ces petits enfants me reçoit moi-même ; et quiconque me reçoit, reçoit non pas moi, mais celui qui m’a envoyé.

Mais, si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu’on le jetât au fond de la mer.

Quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé.

Lorsque tu donnes à dîner ou à souper, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches, de peur qu’ils ne t’invitent à leur tour et qu’on ne te rende la pareille.

Mais, lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles.

Et tu seras heureux de ce qu’ils ne peuvent pas te rendre la pareille ; car elle te sera rendue à la résurrection des justes.

Le royaume de Dieu est au milieu de vous.

Je vous dis encore que, si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander une chose quelconque, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les cieux.

Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.

Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements.

Tu ne tueras point ; tu ne commettras point d’adultère ; tu ne déroberas point ; tu ne diras point de faux témoignages ; honore ton père et ta mère ; tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et suis-moi.

Je vous le dis en vérité, un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.

Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible.

Plusieurs des premiers seront les derniers, et plusieurs des derniers seront les premiers.

Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour.

Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui.

Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée.

C’est le premier et le plus grand commandement.

Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la fidélité : c’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans négliger les autres choses.

Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous ses anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs ; et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.

Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi.

Les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ?

Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli ; ou nu, et t’avons-nous vêtu ?

Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi ?

Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites.

Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.

Ils répondront aussi : Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim, ou ayant soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et ne t’avons-nous pas assisté ?

Et il leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites.

Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle.

Je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.

Personne ne m’ôte la vie, je la donne librement.

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.

Gloups ! (Ça, par contre, c’est moi qui le dis !) On se sent tout petit, riquiqui après ça, hein ! Et encore, il s’agit là, d’un raccourci, j’ai pioché ce qui m’a semblé essentiel. Sincèrement, avouez qu’on a encore du chemin à faire pour commencer à ressembler à des êtres humains acceptables.

Cependant, il n’y aucune raison de se décourager, Jésus nous sauvera toujours en cas de gros pépin, comme il sauva la femme adultère.

Souvenez-vous de cette pauvre femme surprise dans les bras de son amant et traînée de force devant le Seigneur par de gentils messieurs qui mourraient d’envie de piéger Jésus sur son interprétation de la loi et de lapider la malheureuse (ben voyons !), faisant ainsi d’une pierre deux coups.

Comment Jésus réagit-il ? Il se baissa pour écrire sur le sol avec le doigt – ce détail m’a toujours intriguée. Qu’a-t-Il bien pu écrire avant de se redresser pour leur dire : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » ?

Il y a débat sur la question, mais je me souviens avoir lu une version intéressante. Dans une de ses visions, une sainte – je n’arrive plus à savoir laquelle ni à mettre la main sur ce passage qui m’avait épatée lorsque j’étais tombée dessus, il y a un sacré bout de temps – explique que Jésus écrivait sur le sable la liste des péchés de chacun des accusateurs. Calmés sur-le-champ, les pharisiens vindicatifs se retirèrent un à un et Jésus libéra la femme apeurée et tremblante, de la meute haineuse.

Dieu grave ses commandements sur la pierre, inscrit sa loi d’amour dans nos âmes, mais nos faiblesses humaines, Il les écrit sur le sable pour les effacer de son divin souffle.

Lorsque j’imagine le Christ sauvant cette femme en détresse ou éclairant le peuple de ses paroles d’amour et de paix radicale, je vois un homme humble à la stature imposante, un homme d’une beauté à couper le souffle, un homme d’une noblesse naturelle mêlant gravité et douceur, un homme dont le charisme exceptionnel attire les foules sans effort. Je vois un homme cultivé, d’une finesse d’esprit et d’une intelligence qui surpasse tout ce que l’on peut concevoir, je vois un homme impressionnant qui inspire le respect, un homme fascinant, un homme passionné qui rayonne d’amour. Ponce Pilate en personne fut ébranlé par le magnétisme serein et la noble prestance du Roi des rois. Je sais qu’il est logique et de bon ton de décrire physiquement Jésus comme un homme qui ressemblait aux autres hommes de son temps et de sa région, un homme sans particularité. Pour moi, c’est chose impossible !

Quand je parle à Dieu, je m’adresse à ce beau jeune homme, généreux et miséricordieux, qui s’est abaissé jusqu’à nous pour nous sauver, faisant des miracles par centaines, guérissant les corps et les âmes avec fougue et tendresse, réconfortant les pauvres et les parias, traitant à égale dignité femmes et hommes, juifs et non-juifs, serviteurs et maîtres, accueillant les enfants avec joie, prodiguant à toutes les générations des paroles de vérité, de vie et d’abondance, des paroles jamais encore entendues, des paroles révolutionnaires, déployant une énergie colossale pour nous transmettre son message d’amour universel, se préparant avec détermination au sacrifice ultime donné en exemple pour nous exhorter à chercher le royaume de Dieu dans nos cœurs et à le prolonger dans nos pensées, dans nos paroles et dans nos actes.

La Bible ne dit rien de l’aspect physique du Sauveur, excepté lors de la Transfiguration où : « Son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. » Les évangiles décrivent exactement le Jésus que l’on rencontre dans les NDE, qu’est-ce que vous dites de ça ?

Les saints et les saintes qui eurent le privilège de le voir au cours des siècles passés parlent d’un homme d’une beauté et d’une majesté incomparables. De mon côté, je m’inspire du Linceul de Turin qui a été modélisé en 3D pour me le représenter dans sa vie publique : sublime.

— Le Saint-Suaire, c’est du beau linge qui chiffonne le haut du panier ! s’esclaffa Totor. Je te connais ma Bibi, je sens que le sujet t’emballe, alors emballe-toi, c’est cadeau !

— Du beau linge qui met les scientifiques dans de beaux draps, bien incapables qu’ils sont de lever le voile sur le mystère de sa provenance, rétorquai-je sans me froisser.

— Oui, je te l’accorde, c’est la plus extraordinaire énigme de tous les temps. Elle donne du fil à retordre aux esprits cartésiens car au fur et à mesure qu’ils épinglent les problèmes à résoudre, les merveilleuses découvertes qui en découlent étoffent davantage le brouillard nimbant cette étrange affaire. Démêler l’écheveau de cette charade mystique s’avère plus compliqué que de détricoter le « lin seul » !

— Je constate mon Totor que tu connais la trame de cette intrigant tissu sur le bout de tes petits doigts en peluche.

— Dire que cette manne céleste aurait pu finir dans une manne à linge ! se lamenta-il théâtralement en levant les yeux et les mains comme pour implorer le Ciel dans un mouvement rapide qu’il termina vers le bas en pointant sur le sol un panier imaginaire.

— Arrête ton char Totor, ça me rappelle que je dois faire une lessive couleur, mais je préfère de loin papoter avec toi sous ce beau soleil automnal !

Les yeux fixés sur le visage du Saint-Suaire de Turin, je suis bouleversée, j’ai l’impression de contempler le Messie endormi ! S’il faut se concentrer pour distinguer la double silhouette d’un homme allongé de face et de dos sur le drap funéraire original, en découvrant le négatif d’une photo du linceul, on est sidéré par l’image poignante qui s’y révèle. Le photographe qui prit le premier cliché du linceul en 1898 frôla la crise cardiaque en développant ses plaques : le visage hallucinant d’un homme, et quel homme, s’y dessinait avec précision. Le monde qui n’était pas prêt à encaisser un tel choc traita de faussaire le photographe à l’origine de ce prodigieux scoop !

Je vous mets au défi de regarder sur le net le visage du linceul prendre vie en 3D sans en être chamboulé. Car oui, en scrutant de plus près la photo historique, on mesure l’ampleur des souffrances endurées par le supplicié de la relique. Pour ceux qui y voient le visage et le corps de Jésus, elle vaut mille sermons. Les stigmates imprimés dans les fibres de lin témoignent des tortures infligées à l’Agneau de Dieu : Flagellation, Couronnement d’épines, Crucifixion, Transfixion (c’est-à-dire transpercement par la lance du soldat du côté de Jésus d’où jaillirent le sang et l’eau).

Toutes les marques de l’horreur de la Passion du Christ y sont détaillées. L’analyse des microparticules confirme que le sang est bien celui d’un homme soumis à la torture pendant des heures et qu’il est du groupe AB comme celui du Suaire d’Oviedo et de la Tunique d’Argenteuil. Lorsque l’on superpose le suaire de Turin et celui d’Oviedo qui est, selon la tradition, un grand mouchoir appliqué sur le visage du Crucifié à la descente de la Croix, soixante-dix taches de sang coïncident ! En outre, les taches de sang de la Tunique d’Argenteuil qui pourrait être la tunique sans couture de Jésus tirée au sort par les soldats romains correspondent aussi aux marques balafrant le dos du supplicié du linceul de Turin. Les reliques de la Passion parlent, elles sont bavardes, elles clament que le même homme a souffert et saigné dans chacune d’elles, mais la datation par le radiocarbone ajoute avec ironie que cet homme a souffert et saigné dans chaque linge à plusieurs siècles d’intervalle ! (J’expliquerai brièvement cette incohérence dans un instant.)

On décrypte sur le suaire de Turin des circonstances encore plus cruelles et plus sordides que celles auxquelles on s’est accoutumés en admirant les représentations classiques de l’iconographie de la Crucifixion, par exemple on comprend que la couronne d’épines était en réalité un casque d’épines, que le Rédempteur fut cloué à la Croix par les poignets avec rétractation des pouces et que chaque centimètre carré de son pauvre corps martyrisé a été sauvagement tailladé. C’est épouvantable d’avoir eu à souffrir à ce point, on est loin de l’esthétisme pictural des tableaux de maîtres, on plonge dans l’abomination. Qui est le bourreau ?

Pourquoi déchaîner une semblable violence sur une innocente victime ?

Comment peut-on être aveugle à ce point à l’humanité d’autrui ?

Ai-je moi-même tenu l’ignoble fouet ?

Tous les scientifiques qui s’intéressent au suaire de Turin (ils sont plutôt nombreux et sérieux) s’accordent à dire qu’il nous est totalement impossible d’en créer un semblable à l’heure actuelle malgré nos technologies avancées puisqu’il s’agit d’une image unique au monde contenant des informations tridimensionnelles, alors affirmer qu’on se trouve face à un artefact datant du moyen-âge est complètement idiot. Passons donc sur la datation au carbone 14 de 1988 qui « démontra » l’origine médiévale du suaire, mais qui s’avère aujourd’hui farfelue puisqu’on sait désormais que l’échantillon analysé avait été prélevé sur un bord rapiécé (indétectable à l’œil nu car finement retissé et mêlé au tissu d’origine).

Au fil des siècles le sindon traversa en effet des épisodes malheureux dont plusieurs incendies, il fut d’ailleurs endommagé en 1532 par le métal fondu de la châsse en argent qui le protégeait et par l’eau qui éteignit le feu, les Clarisses de Chambéry le restaurèrent deux ans plus tard.

Comment l’image est-elle apparue ? Impossible à dire, aucune explication n’est pleinement satisfaisante, ce n’est pas une peinture, l’observation au microscope montre que l’image n’est pas due à un colorant, mais à la roussissure en surface de certaines fibres (sur une épaisseur plus fine qu’un cheveu !), elle n’est pas formée par un contact direct avec le corps mais par « projection spatiale d’un rayonnement intense unidirectionnel, orthogonal au linceul » ! Le secret du mécanisme de la formation de l’image du linceul de Turin résiste à toutes les théories, nos connaissances actuelles s’avérant insuffisantes.

Le lin, le tissage et le type de couture utilisés pour fabriquer le sindon datent de l’époque et de la région du Christ. Il en va de même pour les pollens, les fleurs et les plantes imprimées sur le tissu et aussi pour les pièces de monnaie posées sur les paupières closes du beau visage déformé par les coups. On trouve des poussières d’une forme très rare d’aragonite qui existe à Jérusalem, sous les talons, sur les genoux et sur le nez du supplicié qui est vraisemblablement tombé face contre terre, par contre les experts n’ont décelé ni traces de putréfaction ni traces d’arrachement de fibres (même infimes) au moment de détacher le corps du linge. C’est complètement fou car c’est soit l’un soit l’autre ! Et puis, on a découvert en 1978 d’étonnantes inscriptions et abréviations, en hébreu, en latin et grec situées autour du visage du linceul. Impossible de déceler ces vestiges de lettres à l’œil nu ni de savoir quand et comment elles ont atterri là jusqu’à récemment, mais comme je sais que j’ai piqué votre curiosité et que je ne suis pas sadique, je vous en livre ici le contenu supposé : « Tu iras à la mort », « Accomplir un sacrifice », « Jésus », « Le Nazaréen ».

Mais voilà que grâce aux moyens informatiques récents et en recoupant les données du travail acharné de dizaines de chercheurs dont des paléographes (spécialistes des écritures anciennes) qui ont planché sur les fragments d’inscriptions ces dernières décennies, l’historienne Barbara Frale est allée encore plus loin en émettant une hypothèse de reconstitution du certificat de décès d’un certain Yeshua ben Joseph, oui, oui, vous avez bien compris : Jésus, fils de Joseph. C’est ce certificat écrit sur des bandelettes de papyrus et collées selon les usages de l’époque sur la surface extérieure du linge mortuaire autour de la tête du défunt qui y aurait laissé des empreintes de lettres selon un processus non élucidé à ce jour. Voici ce que les fonctionnaires ont, selon la chercheuse, inscrit sur l’acte de décès du « criminel » enveloppé dans un linceul d’une qualité exceptionnelle (on n’est plus à un paradoxe près) :

« Dans la 16e année du règne de Tibère (soit l’an 30), Jésus de Nazareth, mort à la neuvième heure, après avoir été condamné à mort par un tribunal romain et après avoir été reconnu coupable par les autorités juives, a été enterré avec l’obligation de rendre son corps à sa famille après une année. »

Reste à présent un problème de taille : éviter le clonage du Christ ! Une véritable chasse à l’ADN de Dieu aurait-elle lieu dans l’ombre pour assouvir le fantasme de quelques savants fous ?

— Alors Totor, tu veux savoir si je crois en l’authenticité du Linceul ? A-t-il ma…, a-t-il ma…, a-t-il ma… bégayai-je en lui faisait de gros yeux pour qu’il comprenne.

— A-t-il ma… ? Attends, je viens de comprendre, tu veux dire : « Ah ! tilma ! »

Je te préviens, tu viens de perdre la grande majorité de tes lectrices et lecteurs, là ! me reprocha-t-il, taquin, en parlant de vous !

— Bonne idée, il serait logique d’évoquer la tilma.

— Et moi, je me demande qui, en dehors de tes lecteurs mexicains, sait de quoi tu parles ? On devrait faire un sondage ! me suggéra Totor.

— Excellente idée : chers lectrices et lecteurs, Totor et moi, vous le demandons, avez-vous déjà entendu parler de la tilma ?

Pour dialoguer avec nous, écrivez votre réponse derrière le tiret cadratin :

— Vous n’avez pas de crayon sous la main ? Ce n’est pas grave, merci d’avoir essayé, j’apprécie votre contribution au-delà de ce que vous pourriez imaginer car j’ai quand même entendu votre réponse. Je vois que rares sont ceux qui connaissent cette histoire de tilma, alors si vous désirez savoir ce que c’est, suivez-nous dans cette extraordinaire aventure.

Nous sommes en 1531, à 2270 mètres d’altitude, sur la colline de Tepeyac, au nord de Mexico. L’aurore gonfle au loin sur une nuit sombre et froide en ce samedi 9 décembre alors que Juan Diego entame une longue marche de quinze kilomètres pour se rendre à la messe. Juan est un modeste Indien aztèque de cinquante-sept ans fraîchement converti à la religion des conquistadors qui venaient d’achever la conquête rapide et dévastatrice du Mexique, provoquant la chute de l’empire aztèque.

Chemin faisant, Juan Diego est surpris par le chant paradisiaque de milliers d’oiseaux, puis la plus douce des voix l’appelle par son diminutif : « Juanito, Juan Dieguito ! » emplissant son cœur de joie et d’amour, il lève les yeux et voit dans un nuage blanc et lumineux une ravissante jeune métisse dont la beauté n’est pas de la terre. Il émane d’elle des rayons de lumière qui transfigurent les roches arides en pierres précieuses. Elle s’adresse au berger en nahuatl, sa langue natale : « Écoute, mon petit enfant, le plus humble de mes fils, où vas-tu ? »

Saisi d’admiration, Juan Diego prosterné aux pieds de la noble jeune femme lui répond qu’il se rend à l’église. La visiteuse céleste, pleine d’amour reprend : « Sache et tiens pour certain, mon fils, le plus petit, que je suis la parfaite et toujours Vierge Marie, Mère du vrai Dieu, de Celui par qui tout vit, le créateur des hommes et le Seigneur du ciel et de la terre. J’aimerais qu’en cet endroit, on me construise mon petit teocalli (maison de Dieu). Là, je Le montrerai, je L’exalterai, je Le donnerai aux hommes par la médiation de mon amour, de mon regard compatissant, de mon aide secourable, de mon salut parce que je suis votre Mère miséricordieuse, la tienne et celle de vous tous qui vivez unis sur cette terre, et la Mère de tous ceux qui, pleins d’amour pour moi, crieront vers moi et mettront leur confiance en moi. C’est là que j’écouterai leurs gémissements, leur tristesse, pour consoler, pour alléger toutes leurs peines, leurs misères, leurs souffrances.

Pour que cela puisse se faire et que s’exerce ma clémence, va trouver l’évêque de Mexico en son palais et dis-lui comment je t’ai mandé, toi, mon messager, et combien je désire que l’on me construise une église ici même. Tu lui raconteras bien tout ce que tu as vu et admiré et tu lui répéteras fidèlement ce que tu as entendu. Et sois sûr que je me montrerai très reconnaissante et que je te rendrai heureux, que cette mission dont je te charge aujourd’hui sera récompensée ainsi que la fatigue et la peine que tu auras prises pour la mener à bien.

Voilà, mon fils le plus petit. Tu as entendu ce que je t’ai dit. Va maintenant et fais tout ce qui est de toi. »

Voilà comment chaque année, vingt millions de fidèles viennent prier dans basilique Notre-Dame-de-Guadalupe de Mexico qui ressemble à un gigantesque tipi ! Ils viennent y admirer la fameuse tilma en empruntant les tapis roulants qui défilent sous la précieuse relique !

Emportée par mon enthousiasme, j’ai sans conteste pris un énorme raccourci dans notre histoire car avant d’en arriver là, l’évêque espagnol, perplexe, demanda un signe à la Vierge qui le lui donna le 12 décembre de manière flamboyante : Elle indiqua à Juan Diego où cueillir en altitude et en plein hiver une grande variété de roses de Castille au parfum suave qui sauront convaincre le prélat. Juan les lui porta dans le creux de son manteau, sa tilma typique en fibres d’agave (sorte de cactus) dont il avait rabattu les pans pour y placer la gerbe miraculeuse. Après une attente interminable qui ne découragea pas notre héros, l’évêque le fit enfin appeler. Juan Diego raconta tout, déploya sa tunique, les fleurs roulèrent à terre et l’évêque en larmes tomba à genoux devant le prodige inouï dont il était le témoin privilégié : l’image miraculeuse de la Vierge était imprimée sur la tilma de Juan Diego !

Sur ces entrefaites, Juan Bernardino, l’oncle de Juan Diego qui était mourant fut guéri par la Vierge qui lui expliqua qu’elle désirait que Son Image portât le nom de « la toujours Vierge Marie de Guadalupe ».

C’est bien connu : « Dans la vie, il y a qu’des cactus, moi je me pique de le savoir », alors disons que cela vaut aussi pour la Vierge représentée sur le manteau qui a connu sa part de malchance, « aïe, aïe, aïe, ouille ! », comme cet accident de nettoyage survenu en 1791 où l’acide qui servait à polir le cadre en argent se répandit sur un coin de la toile végétale qui – fait remarquable – au lieu de subir des dégâts irréversibles ne fut que tachée par le produit corrosif. De plus, les traces jaunâtres se résorbent lentement au fil des années qui passent !

Sous son air innocent de simple portrait de la Vierge de Guadalupe aux allures de jeune Aztèque, le poncho miraculeux cache en effet un concentré de phénomènes bizarroïdes, le nec plus ultra de l’inexplicable. Je vous les livre en vrac : d’abord son bon état général est étonnant quelques siècles plus tard malgré les mauvaises conditions de conservation qui furent longtemps les siennes alors qu’habituellement les tissages en fibres végétales d’agave résistent seulement une vingtaine d’années à l’usure du temps, ensuite, après avoir survécu aux fumées des bougies, à la chaleur, à l’humidité, aux accidents de nettoyage, aux fougueuses embrassades et autres manifestations de dévotion des foules, v’là-t’y pas qu’il sortit indemne d’un attentat à la bombe en 1921 qui fit pas mal de dégâts aux alentours, mais qui ne fit, par la grâce de Dieu, aucun blessé.

Tout cela n’est qu’une mise en appétit car le plus inconcevable arrive : l’image fait penser à une simple peinture, mais il n’y a aucun apprêt sur cette trame pourtant irrégulière dont le relief sert la profondeur et la beauté du dessin. Par exemple, la Vierge s’est servie d’un défaut de la texture pour ourler ses lèvres, la coquette ! On ne décèle aucun croquis sous-jacent, aucun coup de pinceau sur la tilma qui relève plus d’une photographie couleur qui se verrait à l’endroit et à l’envers de la toile et dont les pigments sont d’origine inconnue !

Il y a mieux : les yeux de la Vierge sont vivants ! Lorsqu’on les étudie à l’ophtalmoscope, on jurerait qu’on examine une personne et non surface plane et opaque. Cherry on the cake : des signes de microcirculation artérielle ont été découverts au bord des paupières ! Cherry on the cherry on the cake : il y a un barbu (et tout un petit monde) dans les yeux de la Vierge !

Il s’avère que les témoins de l’apparition de l’image sont reflétés sur l’image elle-même, plus précisément sur la cornée des yeux de la Vierge qui n’a que huit millimètres de diamètre. On notera avec stupéfaction que les lois optiques découvertes trois cents ans plus tard sont parfaitement respectées !

Parmi les silhouettes microscopiques, on distingue quelques témoins de la scène comme Juan Diego, l’évêque et sa servante noire que l’on reconnaît à sa chevelure, mais aussi une famille indienne dont la femme porte un bébé sur son dos. Cette famille est au centre du message de paix qui se dégage de la tilma puisque les apparitions de La Vierge aztèque permirent d’éviter un génocide. En effet, la révolte grondait parmi le peuple face aux exactions des colons espagnols qui l’auraient réprimée dans la violence, et sans l’intervention céleste, cela aurait pu très mal tourner.

En fin de compte, le pape reconnu en 1537 dans une bulle – trop souvent bafouée ! – que les Indiens du Mexique avaient une âme et qu’aucun peuple ne pouvait être réduit en esclavage par les chrétiens.

Toute une symbolique élaborée se dégage du linge sacré qui porte l’image de la Vierge : les dessins de la tunique rose dont est vêtue Marie peuvent se lire comme un rébus en signes aztèques qui forment le nom de la colline des apparitions, la colline de Tepeyac. La position des étoiles qui ornent son manteau correspond exactement à l’emplacement des constellations du ciel de Mexico au moment du miracle. La coloration du visage et des mains de la Vierge change selon la distance à laquelle on les contemple, un peu comme les ailes iridescentes de certains papillons. Et, sur le ventre de la Mère de Dieu de toute évidence enceinte se trouve une fleur brodée, une fleur toute simple, emblème du centre de l’univers.

— Quand je n’étais encore qu’un petit Totor, j’ai demandé à ma maman : elle faisait quoi comme métier la Vierge ?

— Elle était mère au foyer.

— Alors pourquoi elle a mis le petit Jésus à la crèche ?

— Cesse de faire l’âne mon Totor, sinon je te mets toi aussi à la crèche ! menaçai-je en riant mon compagnon blagueur.

— Ah, Ah, je n’ai pas l’intention de crécher ici ! Il se fait tard ma Bibi, je dois déjà te quitter et tes golfeurs ne vont pas tarder à rentrer au bercail. Merci ma tendre amie pour cet après-midi des plus délicieux.

— Mais de rien, Monsieur est toujours le bienvenu.

— Cette fois, je ne te flashouille pas, sinon je ne serai pas dans ton livre et ce serait une grande perte !

Totor me fit un gros câlin, grimpa dans son œuf, en sortit une dernière fois sa petite bouille en peluche pour me crier :

— À bientôt, je t’aime Bibi.

— Moi aussi Totor.

— N’oublie pas de faire de ton mieux pour appliquer notre devise : « Dans ce monde chaque jour, répandons notre amour. »

Il me fit un signe de la main ou devrais-je dire de la papatte ? Son œuf spatial décolla sans effort, sans bruit, il semblait léger comme une plume. Il stationna un instant juste au-dessus de moi pour me lancer quelques poignées de pétales de roses. Connaissant mon admiration sans borne pour la petite Thérèse, Totor savait à quel point je serais touchée par cet hommage si délicat. Enfin, il fit ruisseler sur mes cheveux une pluie étincelante de cristaux de strass. Il aimait à faire son Kevin en mettant des paillettes dans ma vie. L’œuf se referma, des reflets bleus tournoyèrent sur la surface opaline du vaisseau de mon ami qui se fondit dans le ciel inondé de la douce lumière dorée d’une radieuse journée d’automne qui cède promptement à la nuit, me laissant seule, le cœur serré, mais embaumé du parfum des roses.

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