CHAPITRE 14 : De l’art de se faire annoncer avant même de naître
Ma protectrice est née le 2 janvier 1873. Avez-vous été attentifs ? Devinez la date de naissance de mon fils François ? Bingo : un 2 janvier, 122 ans plus tard ! Je n’y vois pas une simple coïncidence de plus, j’y vois un délicat cadeau signé Thérèse. Elle me signifie ainsi qu’elle sera aussi la protectrice de mes enfants. Quel honneur, l’émotion me gagne, les mots me manquent. Mes enfants se sont d’ailleurs, tous deux, très poliment annoncés avant de faire leur grande entrée en ce bas monde. Avant même que le moindre désir de maternité n’effleure mon esprit, j’ai fait un rêve puissant, à la fois prémonitoire et symbolique. Mon mari à mes côtés, je me promenais fièrement sur la digue de Knokke-le-Zoute, station balnéaire huppée de la côte belge, mentionnée par le grand Jacques Brel dans le titre d’une de ses célèbres chansons. Je portais un magnifique petit garçon de dix-huit mois sur mon bras gauche à la manière de la Vierge à l’Enfant entourée d’anges du primitif flamand Quentin Metsys dont la délicatesse me touche. J’étais moins richement vêtue, je vous l’accorde. L’enfant au teint hâlé, aux splendides yeux verts et à l’âme pure s’accrochait à mon cou. Je ne sentais guère son poids sur mon bras. Il émanait de ce petit être une sérénité et une sagesse sans âge. Des rayons de lumière jaillissaient de lui et touchaient les personnes alentour. Dans un silence respectueux, elles se groupèrent autour de mon fils. Oui, ce mystérieux poupon angélique était mien. Les jets lumineux qui sortaient de lui propageaient la joie et le bien-être en frappant leur cible et le monde entier s’en portait mieux. Pendant longtemps, je ne pensai plus à ce rêve, mais il était gravé dans ma mémoire. Comme beaucoup de bébés, mon petit François avait les yeux bleus à la naissance, mais plus tard, ils sont effectivement devenus verts et le rêve en question me revint en mémoire. Je fus alors frappée par la ressemblance entre mon fils réel et mon fils rêvé ! En emmenant mon petit François en vacances chez ses grands-parents pour l’été, je me retrouvai bel et bien sur la digue de Knokke, mon mari à mes côtés et mon fils de dix-huit mois dans les bras. J’ai donc eu le privilège de rencontrer mon fils en rêve bien avant sa conception. Quant aux rayons de lumière, témoins d’une certaine qualité d’âme ou plus probablement d’une qualité d’âme certaine, on verra bien comment cela se traduira dans sa vie, mais j’y vois un présage de bonheur pour lui et pour son entourage.
Mon cadet, Michel, Mimi pour les intimes, annonça pour sa part sa naissance d’une manière matérielle bien concrète. C’est tout lui, cela lui ressemble. Quand, à l’échographie, nous avons su que nous attendions à nouveau un petit garçon, nous décidâmes de le prénommer Michel en l’honneur de mon frère aîné qui serait son parrain. Je désire partager ici la sombre pensée qui présida à ce choix. Le vague, mais tenace pressentiment que mon grand frère, qui noyait par période son mal de vivre dans les vapeurs d’alcool, ne tiendrait pas le coup longtemps dans cette vie, me torturait souvent. Par malheur mes craintes se confirmèrent, mais il eut la grande joie d’être choisi comme parrain, lui qui ne l’avait encore jamais été. Il en fut profondément bouleversé ; je me souviens avec émotion de ses larmes de bonheur à l’annonce de la bonne nouvelle. Il choya son petit filleul pendant les quatre courtes années que le destin lui accorda.
C’est Diane, la nouvelle et douce épouse de papa qui débarqua un jour chez moi, toute affairée : « Regarde, me dit-elle surexcitée en ouvrant le poing, regarde ce qui est tombé du ciel à mes pieds ! Nous nous promenions à la Grand-Place, papa et moi, quand tout à coup " quelque chose " est tombé du ciel juste devant moi ! En ramassant le petit objet, j’ai eu l’intuition que tu attendais un garçon, je l’ai dit à papa et nous voici ! » Une petite médaille dorée brillait dans la paume de sa main, tout comme ses beaux yeux bleus magnétiques qui me fixaient intensément. Le prénom Michel était joliment calligraphié en lettres rondes sur le médaillon. C’était bien vrai, j’attendais un petit Michel. L’auteur de mes jours était aux anges, la perspective de serrer sur son cœur de « bon-papa » un second petit-fils le comblait de joie. Ma Didine, tendre sobriquet que j’attribuai affectueusement à ma nouvelle belle-mère car nous nous étions liées d’amitié dès les premiers instants de notre rencontre, ma Didine, donc, me jura que rien ne pouvait expliquer de façon rationnelle le phénomène. La médaille avait littéralement dégringolé du ciel sous le regard impassible de l’archange saint Michel terrassant le dragon, figure hideuse symbolisant Satan, depuis la flèche qui surplombe le beffroi de l’hôtel de ville de la Grand-Place de Bruxelles que l’on vient admirer à juste titre des quatre coins du monde. La statue de métal doré de plus de cinq mètres de haut, étincelante dans le ciel bruxellois, semble pourtant bien petite, seule tout là-haut. Le sculpteur tenant compte des distorsions de perspective affubla sa gigantesque girouette de proportions totalement disgracieuses afin de la rendre majestueuse depuis les pavés de la plus belle place du monde, quatre-vingt-seize mètres plus bas. Bref, elle est belle de loin, mais loin d’être belle ! Quoi qu’il en soit, c’est aux pieds du puissant archange Michel que Didine ramassa la petite médaille du même nom qui trône désormais sur la cheminée du salon dans notre cher foyer, enserrée dans un petit cadre doré surplombé d’un chérubin miniature. Quitte à passer pour une illuminée, je peux dire sans mentir que mon fils m’a offert son premier cadeau alors qu’il était encore dans mon ventre.
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