Février
Un roman français de Frédéric Beigbeder
J’ai lu « un roman français » de Frédéric Beigbeder, juste après « Un homme seul ». Je les ai lus dans le désordre, pourrait-on dire, le suivant en premier et le précédent, après. Je ne vais pas le résumer, j’en serais incapable. Non que je craigne d’en déflorer le sujet. Je me demande encore s’il en possède un. J’ai l’air de traîner des pieds et pourtant j’ai aimé ce roman. Puis-je le distinguer d’un homme seul ? Pas vraiment. Je l’ai sans doute effleuré. J’y ai retrouvé les mêmes personnages. Le père et le frère, brillants, écrasants même. A ceci près qu’un homme seul est l’éloge funèbre du père. Dans « un roman français » Frédéric n’est pas encore délivré, le mot est terrible, de la tutelle de son père, puisqu’il a été publié quinze ans plus tôt. J’en retiens, surtout, le désarroi de l’auteur. Sa fuite dans les plaisirs et la nuit. Son cynisme, son mal de vivre impertinent. Pourtant un soir, il se fait arrêter en compagnie d’un ami poète. Tous deux sont en train de sniffer un rail de coke, sur le capot d'une Porsche. C'est dire leur inconscience. Stries blanches sur fond noir. Il se retrouve en garde à vue et ce détour humiliant le marque profondément. Lui qui n’a jamais trouvé sa place entre son père et son frère, semble réaliser qu’il a vécu à côté de sa vie, reproduisant les erreurs paternelles, incapable de construire une belle relation avec les femmes, et sa fille, qu’il voit grandir de loin en loin, sans la connaître vraiment. Un roman français, entre quelques digressions sur notre pays, est au fond une longue lettre impertinente et désespérée d’un homme qui n’est ni très à plaindre ni très à envier, mais dont on aime la compagnie fantasque.
Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan
J'ai fini la lecture de ce roman en larmes. Delphine raconte sa mère qui vient de se suicider. Elle s'attache à la retrouver telle qu'elle fût au travers du regard de ceux qui l'ont connus. C'est une enquête, un long travail forcément biaisé, avec sa part de fiction, comme un paléontologue reconstitue, un corps, des façons de vivre, à l'étude de quelques ossements épars. La famille ne sera pas épargnée. La vérité est à ce prix, qui permet aux vivants de laisser partir les morts, sans les oublier, en tentant de les mettre à leur juste place. De les juger aussi et de leur pardonner parfois. Delphine parle d'une famille nombreuse et anthropophage au sens figuré bien sûr et comment sa mère ne s'en est jamais tout à fait remise. Bien des secrets seront distillés, jusqu'à la chute, où je pleure, délivré.
Un roman russe d'emmanuel Carrère
Celui-là je n'arrive pas à le terminer !
C'est la seconde fois que je m'y essaye.
Pour ma deuxième tentative, j'ai achoppé un peu plus loin.
Emmanuel, tu écris bien et tes aventures au fin fond de la Russie, dans ce cul-de-sac de l'âme humaine que tu as trouvé, sont passionnantes, mais tes fantasmes érotiques m'agacent. Je sais bien que tu dis tout, que tu te racontes sans honte. Nous devons avoir à peu près le même âge pourtant j'ai l'impression que des siècles nous séparent. Ta façon d'aimer les femmes, à travers toi et ton désir, est étouffante, égoïste, si loin de ma vision fleur bleue et romantique ! J'achoppe une fois de plus. C'est ton psy qui doit avoir du travail.
J'y reviendrai ! Et je compléterai ce texte.
Tu as du talent et moi je suis un peu gonflé de te parler comme ça !
J'ai le droit, je suis un lecteur, c'est mon badge d'immunité !
Je te laisse encore une chance !
A bientôt
Questions à mon père d'Eric Fottorino
L'auteur cherche à renouer avec son père naturel, qui ne l'a ni reconnu, ni élevé. Il aurait dû s'appeler Maman, ça ne s'invente pas. Son père s'appelait Maman, à prononcer nasalisé "Mamane", ça pourrait prêter à sourire mais ça n'est pas drôle. Car son père n'a pas voulu ne pas être son père, il en a été empêché par les conventions sociales, la France de la seconde guerre mondiale. Une jeune fille mineure, la majorité était à 21 ans alors, n'épouse pas un juif, fut-il sincère. La mère, dont il est peu question dans le livre, tant elle est centrale, sera même séparée de son bébé et elle devra s'enfuir en le ravissant. Eric, mis au courant à l'âge de 17 ans, passera sa vie, écartelé entre la loyauté due à son père adoptif et ce Maman, qu'il croit "défaillant".
Tout d'abord, gêné par l'écriture à la deuxième personne du singulier, j'ai vite plongé dans le style de Fottorino.
"De notre vie passée au noir sortira un édifice tout blanc, un des ces marabouts aux murs chaulés qui enchantaient ton enfance au flanc des collines de Fès."
"… alors reste encore un peu, mon vieux père, avant de me manquer comme un frère."
La vie est coutumière de ces rendez-vous manqués. Le temps que le fils comprenne le père, la page du père est tournée et le fils reste seul avec ses regrets. Cette fois, il s'agit de retrouvailles in extremis.
L'homme qui m'aimait tout bas d'Eric Fottorino
Eric Fottorino est un fils rescapé. Il a faillit grandir sans père et au bout du compte, il en a rencontré deux. Il nous raconte son histoire avec une grande générosité. Ce qu'elle a de singulier s'efface devant ce qu'elle a d'universel. Par moments, je lui envie ses deux pères, celui qui l'a adopté sans réserve et celui qui n'a jamais pu le reconnaître, victime des conventions sociales et du racisme ordinaire de la France des années quarante. Si "questions à mon père" se consacrait au père naturel, "L'homme qui m'aimait tout bas" parle de ce père adoptif, Michel, père tout court qui l'a aimé sans réserve. J'aurais aimé avoir un père comme le sien, l'un de ceux qui n'abandonne pas ses enfants, pour qui la vie a un sens. Mais Fottorino est généreux. Il nous partage le sien pour réparer nos enfances.
Mon maître et mon vainqueur de François-Henri Désérable
Désérable nous parle d'Amour et de poésie, en compagnie d'un juge d'instruction et de son greffier. Il s'est lui-même incarné dans son roman sous la forme du témoin, de l'ami et il raconte sous le regard d'un juge bon public. C'est que le témoin raconte toute l'affaire, mais conserve le meilleur pour nous qui sommes au fait de chacune de ses pensées. Il est écrivain, tiens donc ? Alors parfois, il ne lui dit pas tout au magistrat, de peur d'aggraver son cas, car il est un peu complice dans cette histoire d'amour qui tourne mal ! Alors comme l'ami amoureux est poète et que ses vers sont devenus pièces à convictions, il déclame et parle parfois de la forme, plutôt que du fond et nous recevons au passage quelques cours de versification et ça c'est délicieux !
Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume ! Il l'enfume un peu, si vous voulez mon avis. Mon maître et mon vainqueur est un vers célèbre de Verlaine issu du poème "Es-tu brune ou blonde ?" C'est désormais un roman de François Henri Désérable que je vous conseille surtout pour la langue exquise de l'auteur et ses cours de versification. J'ai terminé un peu en diagonale : ces gens qui confondent l'amour et le sexe, ça m'agace ! Ah oui, le texte est très licencieux, vous êtes avertis !
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