Avril
C'était bien de Jean d'Ormesson
C'était bien, mais sans plus.
Forcément impressionné par le grand homme, j'ai passé un bon moment en sa compagnie mais je ne pense pas avoir saisi son message. Il parle d'un monde qui au fond le dépasse, nous dépasse tous, avec des manières de philosophe, invoquant les auteurs et savants de sa vie, pour tenter de donner un sens à la destinée humaine. Il se dit amoureux de la vie et dans le même temps on le sent écrasé par la cruauté du monde et l'absurdité d'un univers à l'immensité écrasante. Il ressent et de la joie et de la peine tout à la fois livrant un témoignage très humain. Je m'agace par moments de sa propension à se rapetisser à la manière de ceux qui feignant l'humilité, ne cherchent au fond que le compliment. Son exposé prend des allures de collage hétéroclite qui me perdent un peu. Je dois accepter de ne pas le comprendre tout à fait même s'il m'inspire parfois au détour d'une page avec ses envolées sur le torrent du temps. Je garde le souvenir de son regard bleu pétillant, à la télé et de son intelligence espiègle. Monsieur d'Ormesson a fait un peu d'esbroufe. On lui pardonnera.
La maladie de Sachs de Martin Winckler
Sachs est un médecin décrit par un médecin, Martin Winckler. Il nous parle, il dit "tu" et pourtant il se raconte, en changeant sans arrêt de point de vue, de narrateur. Il est tout le monde et chacun à tour de rôle. Le médecin semble raconté par ses patients, mais au fond personne ne s'intéresse vraiment à lui. Il est là pour les autres mais personne n'est là pour lui. Il ne s'en plaint pas, il constate, il décrit la vie d'un médecin et la sienne. Certains chapitres sont un peu abrupts, le style est sec, comme la vie qu'il raconte. Il a un style simple. Il dit les choses comme elles sont et c'est ce qu'il dit qui est intéressant, il n'est pas là pour faire joli. Il a une vision très dure de l'existence et des gens. Quand je le lis, je deviens un peu son patient, je suis dans sa salle d'attente, il n'y a pas de raison que j'y échappe. Le nom du médecin est Sachs et la fin est dans le titre. Il n'y a pas de raison qu'il y échappe lui non plus. Dommage je l'aime bien le docteur Sachs.
L'usure d'un monde de François-Henri Désérable
L'usure d'un monde est un récit de voyage, celui que fît François-Henri Désérable en Iran sur les traces de Nicolas Bouvier l'auteur de l'usage du monde, 69 ans plus tôt. Son texte est à la fois un éloge à la beauté du pays et un tableau de la situation politique atroce dans laquelle il se trouve. Il se recueillera d'ailleurs sur la tombe de Mahsa Amini, morte sous les coups de la police des mœurs. Il dresse pour nous le portrait de ses rencontres parmi lesquels de nombreux iraniens farouchement opposés au régime des mollahs. Un beau voyage pour un écrivain au cœur bien accroché, dans un pays si beau, à la langue si belle, qui recouvrera un jour la liberté, peut-être quand le pétrole n'aura plus cours sur notre triste planète.
Minuit dans la ville des songes de René Frégni
Que n'ai-je connu René Frégni avant ? Il a découvert la lecture jeune-homme, en pleine révolte. Il devait s'échapper d'un monde absurde et tenter de le comprendre pour se construire. Dans ce roman, il raconte sa vie avec un focus sur sa jeunesse de cancre épris de liberté. On se sent pousser des épaules à le suivre dans son itinéraire brutal. Il aurait pu se heurter à tout ce qui croisait son chemin et faisait obstacle à l'impérieuse nécessité qu'il avait de vivre. Mais avec intelligence il a appris, mûri et trouvé un chemin unique pour être au monde. Ce n'est pas seulement une plume que je découvre, c'est un homme simple et d'une profonde densité. C'est un ami qui enrichit ma mémoire en me racontant la sienne, me prêtant au passage un peu de sa force. Il écrit sa révolte et sa lucidité puis la paix qu'il a trouvé auprès de la nature. Une merveille. Cet homme est une merveille.
Les vivants au prix des morts de René Frégni
Bien loin de sa vie errante des débuts, René Frégni a enfin trouvé la paix auprès d'Isabelle, dans la quiétude splendide des Basses-Alpes. Il est heureux d'avoir le privilège de pouvoir vivre de sa plume au milieu d'une nature qu'il aime tant. Pourtant la force généreuse et iconoclaste de ses vingt ans ne l'a pas quittée, mais plus sage, il sait qu'il a plus à perdre, quand Kader le voyou, presqu'un frère le contacte, il ne se dérobe pas. Entre réalité et fiction, René Frégni nous entraîne dans une aventure plausible où il est question de courage et d'amitié. Il sait parler de la nature et du bien qu'elle fait à l'âme de ceux qui la respectent. Pourtant, je me suis dit, à la lecture des premières pages, qu'on ne pouvait pas en faire tout un livre. J'ai vite été rassuré. Il nous parle de la nature qu'il tend comme un miroir aux affres de l'âme humaine.
Dernier arrêt avant l'automne de René Frégni
Attention : polar poétique ! En trois romans, je suis devenu un inconditionnel de René Frégni. Si vous cherchez une critique à charge et à décharge, passez votre chemin. Cet homme m'enchante ! Cette fois, le héros du roman est seul. A la recherche d'inspiration et d'un boulot compatible avec sa passion pour l'écriture, il devient le gardien d'un monastère abandonné. Voici le décor planté. Il n'en faut pas plus à René Frégni pour nous entraîner avec lui dans son univers poétique, à l'écart des grandes routes. Le roman met en scène un couple de libraires qui va l'aider dans ses épreuves monastiques ! Rappel de son amour pour une profession qui l'a toujours soutenu.Le récit commence doucement, René évoque sa provence, ses odeurs et ses paysages et soudain tout s'accélère. On ne s'attarde plus sur les mots, le creux d'un vallon, les branches lourdes d'un olivier à récolter, on se prend à dévorer les paragraphes, happé par la tension, le suspens ! Jusqu'à la chute !
Si peu de Marco Lodoli, traduit de l'italien par Louise Boudonnat
C'est un livre étrange. L'héroïne vit une vie de rien. Une existence c'est précieux et modeste à la fois, mais elle n'en fait rien. On dirait qu'elle ne sait pas vivre d'elle-même. Elle est le pendant féminin de l'étranger de Camus. Elle ne sait pas aimer et reste seule. Elle évite soigneusement de commettre les mêmes erreurs que ses amies qui tentent de vivre, se marient, se trompent, essayent encore et encore. Elle, n'essaye pas. Elle est persuadée d'aimer Matteo, en secret, et tente de se persuader que cela lui suffit. Au fond elle sait qu'elle ne vit pas et la vie pourtant passe, Matteo vieillit et revenu de tout, sombre. Elle qui n'a même pas de nom, reste fidèle à son rêve, inaltérée. Un roman déchirant sur l'impossibilité de vivre.
L'honorable collectionneur de Lize Spit
C'est une histoire à hauteur d'enfant. Jimmy, un môme de onze ans porte la faute de son père, escroc en fuite et traine sa solitude dans une petite ville belge. Il n'intéresse personne et grandit comme il peut. Pour tromper son mal de vivre, il s'imagine en héros fabuleux, collectionneur émérite de "flippos" en plastique, trouvés dans des paquets de chips. Mais cette année, quelque chose a changé. Tristan, un petit réfugié kosovar est arrivé en classe et Jimmy a enfin trouvé un ami. A hauteur d'enfant, même sur la pointe des pieds on est pas assez grand pour comprendre les histoires des grands. Alors quand la famille de Tristan est menacée d'expulsion, Jimmy et Tristan ont une idée d'enfants, une idée désespérée pour ne pas être séparés.
Un livre qui laisse des traces.
Tendresse des loups de René Frégni
J'ai découvert René Frégni ce mois-ci. J'ai commencé à le lire par la fin, par ses romans les plus récents. J'ai été un peu troublé par Tendresse des loups qui est son deuxième roman. L'auteur y est déjà tout entier, sa force vitale, brute, sans concession et sa poésie contemplative. Il parle d'Amour, de quête d'absolu avec un regard qui magnifie tout ce qu'il touche. Ses personnages sont entiers, sans nuance, ils aiment à en crever et se cherchent des nids d'amour loin de la médiocrité des jours ordinaires. Parfois, je n'y crois plus. Ils sont trop radicaux. Souvent j'ai peur pour eux, ils sont si imprudents, si jeunes, si inconséquents. Enfin j'ai peur d'eux, ils sont la bombe humaine de la chanson. L'amour se fond tellement avec la sexualité que je me demande s'ils s'aiment vraiment. Lui n'a d'yeux que pour sa beauté, il en parle comme d'un paysage, d'un objet, l'aurait-il aimée laide ? En refermant ce livre, je sais pourtant que ces deux-là s'aiment vraiment, parce qu'ils sont trop fragiles pour vivre seuls. J'aime ce qui me reste de ma lecture, ces voyages que j'ai fait avec eux, dans une fuite décousue comme un rêve auquel on croit encore un instant, au réveil. J'ai encore à l'esprit, leur folle odyssée à travers l'europe et la langue si belle de Frégni, lorsqu'il décrit la Provence.
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