Le colis de la rue des Ursulines
de
Chrisdelin

La pluie tombait sans répit, fine et obstinée, dessinant sur les vitres un réseau de ruisselets scintillants. Les phares des voitures, diffusés à travers les gouttelettes, jetaient sur les murs des reflets mouvants, presque irréels. Sur la chaussée couverte d’eau, le flot incessant des voitures chantait un sifflement continu ; sur les trottoirs leur répondait le claquement des parapluies martyrisés par le vent et le clapotis des pieds des passants pressés.
L’automne était soudainement tombé sur Paris, sans prévenir.
Au rez-de-chaussée d’un bel immeuble Haussmannien de la rue des Ursulines, à deux pas du Panthéon, le professeur Jules Marcenay observait cette scène pluvieuse depuis sa fenêtre. Derrière lui, la lueur dorée d’un céladon transformé en abat-jour tamisait la bibliothèque.
Le vieux savant, autrefois archéologue et professeur renommé au Collège de France, vivait désormais reclus, entouré de ses souvenirs et étouffé par sa gloire passée. A cet instant, il pestait sur le gestionnaire de l’immeuble qui n’avait toujours pas rallumé le chauffage.
— Tous des incompétents ruminait-il, et qu’est ce qu’ils ont tous à courir dehors sous la pluie ? Ils ne peuvent pas rester chez eux ceux-là ?
Son grand appartement donnait directement sur la rue : un aquarium où il regardait défiler, comme des poissons agités, la foule mouillée et transie de froid.
La sonnette de l’appartement retentit. Trois coups rapides.
— Qu’est ce qu’il y a encore !
Une voix d’enfant s’éleva, fluette et joyeuse :
— Des bonbons ou un sort !
Marcenay souffla. Halloween. Il avait oublié cette date ridicule. Les enfants du quartier savaient pourtant qu’il ne donnait jamais rien. Il se dirigea vers l’entrée, le pas lourd, et alla ouvrir. Il toisa d’un regard noir les trois gamins déguisés — un vampire, une sorcière et un petit fantôme couvert d’un drap beaucoup trop grand pour lui — qui reculèrent aussitôt à la vue du vieil homme.
— Je n’ai pas de bonbons, dit-il sèchement. Rentrez chez vous, vous feriez mieux d’aller terminer vos devoirs !
Les enfants échangèrent un regard, puis s’enfuirent en riant nerveusement sous la pluie.
Marcenay allait refermer la porte, lorsqu’il aperçut le portillon de sa boite aux lettres ouvert.
— Vauriens ! Cria-t-il à la cantonade, et en plus maintenant ils dégradent l’immeuble !
Mais lorsqu’il s’approcha pour refermer la petite porte, il s’avisa qu’elle était bloquée par un colis posé dedans. Le paquet était enveloppé d’un papier Craft, tenu par une grosse ficelle. Il n’y avait pas de timbre ni d’adresse d’expéditeur.
Seulement son nom : Jules Marcenay, écrit à la plume.
Il hésita, intrigué, puis emporta le paquet jusqu’à son bureau. Dans le couloir le bois du parquet grinçait sous ses pas.
Sous la lampe, il défit l’emballage. Une boîte en bois, fermée par un fil de cuivre terni. À l’intérieur, un autre linge grossier entourait un objet lourd. Lorsqu’il le déplia, une odeur de terre humide se répandit dans la pièce, âcre et minérale — l’odeur des fouilles, des tombes ouvertes après des millénaires, il la reconnaissait parfaitement.
La pierre qu’il découvrit était noire, presque huileuse, et portait un symbole gravé : un entrelacs d’arabesques formant une spirale, peut-être un œil. La lumière semblait s’y engloutir.
Un souvenir jaillit. Des années plus tôt, sur la côte d’Oman, il avait vu un motif semblable sur un fragment de stèle d’origine indéterminée. On n’avait jamais pu dater cette écriture. Elle semblait plus ancienne que toute civilisation connue.
Ce fragment, il s’en rappelait, avait disparu la nuit même, peut-être volé, en tout cas certainement perdu à jamais.
Et pourtant, cette pierre-là était maintenant sous sa lampe.
Un petit billet, glissé dans le linge, portait ces mots :
« Pour celui qui a déterré ce qui devait demeurer enfoui. »
Le professeur sentit un frisson lui parcourir la nuque. Il posa la pierre sur le bureau, tenta un rire.
— Quelle farce idiote…
Mais la lampe vacilla. Une vibration sourde traversa la pièce, émanant de la pierre, comme un souffle, prisonnier depuis des millénaires, quand soudain la sonnette retentit à nouveau.
Un son plus grave cette fois, plus lent, profond.
Marcenay se raidit :
— Encore ces gamins !
Il traversa le couloir d’un pas rapide, bondit sur la porte d’entrée, et la sonnette retentit encore. Longue. Continue. Il posa la main sur la poignée.
Il ouvrit.
La rue n’était plus la rue.
La pluie semblait figée dans les airs, suspendue en myriades de perles immobiles. Les silhouettes des arbres, étaient figées. Il n’y avait plus aucun passant sur les trottoirs et les phares des voitures s’étaient changés en flammes pâles flottant dans l’air.
Les flammes pulsaient lentement, à l’unisson d’un battement sourd venu du sol.
Marcenay sentit l’humidité s’infiltrer jusqu’à ses os. Un murmure résonnait, lointain, profond — une langue gutturale qu’il comprit sans jamais l’avoir apprise. Il voulut rentrer chez lui, mais la porte s’était refermée et elle ne bougeait plus.
Quelque chose se forma dans les gouttelettes d’eau suspendues, une silhouette sans contour, un pli dans la réalité, les bras levés vers le ciel.
Sur le bureau de la bibliothèque la pierre s’était mise à pulser, diffusant une clarté huileuse. Le symbole gravé sur sa surface changeait, lentement : l’œil s’ouvrait, révélant en son centre un minuscule personnage— un homme levant également les bras vers le ciel, comme un écho de la silhouette sous la pluie
Le murmure devint distinct.
« Tu nous as rappelés. »
Un froid abyssal envahit la pièce, se faufila dans le couloir, s’infiltra sous la porte et enveloppa le professeur figé de terreur par la silhouette de l’être qui s’avançait vers lui, irrémédiablement.
Le lendemain matin, le concierge trouva la porte du logement du professeur Jules Marcenay entrebâillée.
L’appartement était vide. Les livres ouverts, les papiers envolés.
Sur le bureau, une pierre reposait, noire, lisse, hormis deux mots gravés que le concierge lut sans y prêter plus d’attention :
Jules Marcenay.
Table des matières
En réponse au défi
Situation étrange
L’automne colorie les feuilles des arbres et l’ambiance mystérieuse nous retrouve !
En cette occasion, décrivez une situation étrange.
Un outil mystérieux, une personne inquiétante, un bâtiment ou un endroit curieux, un mélange de circonstances insolites...
Laissez libre cours à votre imagination !
Pas plus de cinq minutes de lecture, totalement libre !
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| Le colis de la rue des Ursulines | Chapitre | 9 messages | 2 semaines |
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