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Natalya se souvient du feu. De la corde imbibée qui enserre ses côtes cassées. La planche qu’on ébranle, son corps désarticulé, un vague vertige quand elle bascule. Mais le feu, surtout. Le feu et les mains froides de la Mort.

Pourtant, Natalya est en vie.

Ses poumons chuintent au passage de l’air revenu. Sa gorge irradie, grumeleuse et encombrée. Son orbite gauche est un trou noir. Elle papillonne plusieurs fois et le voile qui sature son œil droit s’estompe un peu. La nuit s’illumine au gré d’énormes lucioles qui vont, qui viennent. Au-dessus d’elle, des fruits la regardent. Des tonnes de fruits jamais cueillis dont le jus suinte, abondant, dégoulinant dans un infini goutte à goutte. Le plic-ploc de leur saignement résonne à travers la forêt en un millier d’échos, une pluie éparse qui ne commence jamais vraiment et qui semble ne jamais vouloir finir.

Ils gouttent sur son front, sucrés et brûlants. Leurs sangs se mélangent. Elle peut sentir leur jus embraser sa chair – ou bien est-ce sa chair à vif qui la brûle ?

« D’où je viens, on trouve un fruit qui sert de bombe naturelle : l’eruptus. Il éclate au moindre contact avec une source de chaleur. Tu le lances, tu vises tant qu’il est en l’air et... »

Une explosion. La réalité la rappelle. C’est vrai, c’est la guerre ici. Des hommes meurent pendant qu’elle gît là, sous ces arbres humides, à rêvasser. Sur ses lèvres, le jus vire aigre.

Charlotte.

Comme si c’était le bon moment pour penser à elle.

Elle veut bouger. Ses muscles ne répondent pas. Elle ne devrait pas être là, à agoniser au milieu de nulle part. Elle devrait être au front, à combattre l’ennemi, celui qui l’a chassée de ses terres et condamné sa famille à l’opprobre. Elle devrait être là-bas avec les autres.

Ceux qui l’ont jetée par-dessus bord.

Traîtresse. La mitraille redouble, elle ne pense plus qu’à cela. Traîtresse. À tout ce pour quoi elle s’est battu, tous les vents contraires qu’elle a dû affronter. Traîtresse. L’honneur, la loyauté qu’elle a dû sacrifier pour en arriver là ! Traîtresse ! Tout ça pour ça !

« Tu me dégoûtes. »

Les mots de Charlotte, acides. Son fusil longue portée craque, menaçant, quand elle l’arme. Elle va lui tirer dessus, l’abattre de sang froid, l’aligner comme ces fruits explosifs dont elle vantait les pouvoirs. Ou comme un vulgaire fruit trop mûr.

« Sors d’ici ou je te descends ! »

Charlotte ne rate jamais sa cible. Alors Natalya est sortie.

Elle se souvient.

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