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Le feu s’est tu.

Dans cette quiétude retrouvée, quelque chose craque et tombe. Son crâne cabossé lui fait croire à une nouvelle bombe ; il n’en est rien. Ce n’est qu’une éclaboussure. Elle veut tourner la tête ; ses cervicales protestent, sa peau tiraille. Son œil droit fait lentement la mise au point. Elle gît au bord d’un lac paisible, à l’abri des frondaisons, dans le clair-obscur luminescent. Un lac pareil en pleine forêt ? Difficilement, elle tente de se souvenir de la carte, mais il n’y a rien à se rappeler : la forêt de Rosawald n’a jamais pu être cartographiée. Pourtant, ce lac, elle sait qu’il existe. Elle en a entendu parler. Pas dans les salles de classe ou les logorrhées des géographes, mais dans les tavernes et les chansons à boire. Car ce lac est une légende.

Le Nektaar.

L’eau est à portée de main. Au prix d’un grand effort, Natalya parvient à bouger le bras. Plus loin, un autre fruit quitte sa branche, lourd du jus âpre qui fripe sa peau et gorge sa chair. Il disparaît sous la surface où les saules se mirent. Le lac se froisse au point de chute, l’onde glisse en reflets sombres, puis plus rien. Nektaar avale sa proie, la digère dans ses profondeurs où gisent d’autres cadavres dont ils ne restent guère plus que des pépins et des noyaux désagrégés. Ses eaux inertes ne gardent que le sucre qui se dissout en fines paillettes et la chair gâtée qui tourne, dit-on, en alcool. C’est le trésor que Nektaar garde en son lit comme un tonneau son bon vin.

Natalya tend la main vers cette surface tranquille, cette main à demi arrachée et brûlée où elle s’aperçoit pour la première fois qu’il manque deux doigts. Elle tremble. Enfin, elle sent sous ses doigts le liquide de toutes les convoitises. Sensation de picotements. L’eau magique du Nektaar attise ces braises douloureuses jusqu’à l’incendie qui se répand dans ses veines. Elle gémit. La brûlure est une caresse. Elle abandonne sa main au feu du lac où se mêlent désormais son sang et sa lymphe.

Elle aimerait trouver la force de se tourner face à lui, de le laisser l’immerger et qu’il consomme lentement sa chair comme celle de tous les fruits. Elle boirait a grandes goulées cette eau de vie jusqu’à l’ivresse, jusqu’à toucher le fond et que ses poumons ne soient plus que des poches de vin percées entre ses côtes fêlées. Une belle mort, presque une vengeance. Elle songe à ses camarades qui l’ont laissée pour compte dans le plus bel endroit du monde ; ces traîtres qui trouveront peut-être, à leur tour, le lac enchanté et qui voudront y épancher leur soif sans savoir qu’ils s’abreuveraient de ses restes.

À votre santé, bande de bâtards.

Elle lève sa main imbibée au-dessus de ses lèvres desséchées et laisse choir quelques gouttes. Au goût métallique du sang se mêle l’alcool fruité dont elle éprouve pour la première fois la saveur, chaleur et douceur.

On dirait de l’amour.

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