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Son bras lui fait trop mal pour poursuivre le va-et-vient. Natalya le laisse choir dans le Nektaar, triste d’abandonner sa cuite en si bon chemin. Elle aimerait dormir et que la Mort la prenne au milieu de ses songes. Sombrer et que tout cela disparaisse enfin. Cette stupide histoire de duel, le goût des lèvres de Charlotte, leurs espoirs. Tout.

Putains de grillons.

Ces entomes de malheur chantent à tue-tête dans toute la forêt. Elle n’entend plus qu’eux depuis que la trêve nocturne a fait taire les hommes. Leur sérénade résonne au fond de sa boîte crânienne avec la régularité d’une pendule sonnant une heure interminable, et les vapeurs d’alcool n’arrangent rien. Chacun de leur cri est une vis qui s’enfonce un peu plus dans ses tympans, à raison d’un tour toutes les demi-secondes, jusqu’au centre de son cerveau qu’ils minent, remuant le couteau dans la plaie. Alentour, le crissement des criquets s’y mêlent en canon, comme pour la narguer. Ce chant-là, plus ténu, est pire que tout.

« Vos gueules ! »

Sa mâchoire engourdie et ses lèvres brûlées ne laissent échapper qu’un grommellement informe. Le chœur des orthoptères ne s’en émeut guère. Leur mélopée fait remonter des souvenirs qu’elle voudrait enterrer. Elle voudrait, oui, mais c’est trop tard. Elle les revoit tous les deux, le grand patibulaire et son freluquet rieur : « Criquet » Kergalev et « Grillon » Samson ; le vice au bras du crime. Elle se souvient du piège tendu, la bassesse à laquelle ils l’ont poussée…

Sois honnête : tu t’es précipitée toute seule.

Et que pouvait-elle faire d’autre ? Avait-elle une meilleure option ? Charlotte avait eu de la chance, elle. Elle avait tiré le bon uniforme et avait bénéficié de la complaisance de son maréchal pour son sexe. Et surtout, elle l’avait rencontré elle, Natalya O’Keen, sans qui elle en serait encore à creuser sa stupide fourmilière pour chasser la vermine à l’aveuglette sous un radius éteint ! L’avait-elle seulement remerciée ? Certes, elle l’avait fait, mais il aurait été moins ingrat qu’elle plaidât pour ses galons. Il aurait été juste qu’elle reconnût avoir outragé la première, elle, Charlotte Ledermann, quand elle l’avait regardé de travers, ce jour-là, à l’Assemblée.

« Si personne ne te sait musicienne, pourquoi Cigale ? »

Natalya mord ce qu’il lui reste de lèvres. Un sanglot étouffé broie ses os cassés. Elle voudrait tant oublier.

« Tu me dégoûtes. »

Les mots de Charlotte sont des balles. Son silence une déflagration.

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