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« Lieutenant Cigale ! Quel bon vent vous amène ? »

Arnold Samson, grand sourire, les jambes croisées sur son bureau. Un fainéant doublé d’un lâche, vautré dans sa paperasse pendant que ses hommes crèvent sous la mitraille. Elle n’avait jamais pu le piffer. Elle ne comprenait même pas comment un gringalet pareil avait pu arriver aussi haut. Jalouse, elle garda l’œil rivé sur son insigne d’amiral pendant toute l’entrevue. Une belle cocarde dorée en forme d’étoile à douze branches où trônait une serpentine polie, juste à côté du petit grillon épinglé sur sa poitrine et qu’il taquinait du bout du doigt en ricanant comme un benêt.

Natalya lui exposa son souhait sans détour : Elle voulait repartir en mission. Le plus tôt possible. Sa blessure à l’épaule s’était rétablie, elle se sentait prête à en découdre. N’importe quoi pourrait convenir. Elle s’y connaissait en espionnage, elle pourrait mener une opération spéciale. Il n’avait qu’à l’envoyer en reconnaissance. Oui, elle était une femme, et alors ? Elle se savait peu appréciée dans les rangs ; si l’affaire tournait mal, elle ne serait pas une grosse perte. Oui, elle n’était qu’un simple lieutenant, soumise aux ordres de son capitaine, mais Acanalonia était une couille mol- un froussard tatillon qui ne savait pas prendre de décision. Non, elle n’avait pas l’intention de le discréditer, c’était à elle qu’elle voulait donner plus de crédit. Des lieutenants potentiels pour rejoindre les Hémiptères, il y en avait plein la Capitainerie. Acanalonia ne la regretterait pas longtemps.

Samson prit le temps d’y réfléchir. Il la congédia et, des jours durant, elle crut qu’il ne la rappellerait jamais. Elle attendit une éternité à la garnison d’Otalyon, à se tourner les pouces avec son régiment. Ça causait du nouveau front qui venait de s’ouvrir en la Fantasmagorique ; une vraie boucherie. On parlait de les y envoyer. Elle en trépignait d’impatience. Alors qu’elle n’en espérait plus rien, Samson la sonna avant. Elle pensa que cela avait un lien, qu’il cherchait un éclaireur tout trouvé pour explorer ce merdier sylvestre qu’est la Rosawald. À la place, elle fut invitée à rencontrer Kergalev en personne. Seule à seul.

T’as tiré le gros lot, pensa-t-elle. Quelque part, elle avait raison.

N’importe quel officier introduit auprès de Tarquin Kergalev pouvait en espérer quelque chose. De l’Imperator, on pouvait toujours espérer une faveur. Natalia l’entendait déjà lui parler d’avancement, de blanc-seing pour une mission à haut risque. Peut-être l’enverrait-il moucharder chez les Bleus ? Depuis le temps qu’il se méfiait d’eux. Tant qu’on ne lui demandait pas de saboter la carrière de Charlotte… Et si c’était de cela dont il était question ? Et s’il voulait utiliser son propre atout féminin pour neutraliser celui de ces nabots de l’Intérieur ? Une femme capitaine, ça ne devait pas lui plaire. Kergalev n’avait de sympathie que pour deux types de fémines : sa cuisinière et les putes. C’était pour cela qu’il n’y avait pas de femme chez les Verts – à part Natalya. Parce qu’elle était noble ? Exemplaire ? Courageuse ? Virile ? Parce qu’elle battait à l’escrime la plupart de ses congénères masculins ? Ce n’était pas pour ses talents de musicienne, pour sûr, puisque personne n’en savait rien. Ni de cuisinière. Et comme Kergalev n’avait aucune estime ni pour les sabreuses ni pour les filles de Particules de son acabit, il ne lui restait pas beaucoup d’options pour se faire bien voir. Samson en était arrivé à la même conclusion.

Tout cela, elle le savait. Que n’avait-elle pas vu venir ?

« Tu sais pourquoi on t’a appelé Cigale, n’est-ce pas ? »

Oui, elle le savait. Seulement, avant d’entrer dans le repère du Criquet, elle avait voulu croire à mieux. Croire qu’une officière aussi pouvait espérer une faveur. Croire que ce n’était pas d’elle que cette faveur devrait venir. Mais les cigales chantent pour séduire et Natalya avait la fâcheuse habitude de se faire entendre.

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