Le lanceur de rumeur

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Sur la place du Grand Mât, un gueuleur s’évertuait à faire ce pourquoi la société l’avait engagé et la raison pour laquelle il était payé. Pour faire simple, il s’égosillait à l’intention de qui voudrait bien l’écouter.

«Ce dernier jour de la lune Amir, alors que tout habitant respectable avait fermé ses rideaux et gagnait sa couchette, un mystérieux forban s’en est pris à notre royaume et à sa paix. Il s’est faufilé, le visage masqué par un linge de la couleur de la peur, jusqu’à la Place en l’honneur du Général Frobidon. Sans doute avait-il des complices, des hommes armés jusque dans leurs bas rapiécés, couverts au regard des honnêtes hommes par le poison qui tombe du ciel chaque fois à cette date-là. Nous ne savons rien d’eux mis à part leurs actions. Mesdames, Messieurs, esclaves et vivants libres, attendez à ce que je vous annonce le pire...»

Il laissa sa phrase en supens, connaissant l’effet qu’avait un silence maîtrisé sur une population attentive.

Personne n’appréciait les gueuleurs. Certains parents reniaient même leurs enfants lorsque ceux-ci s’engageaient dans la profession. Le Royaume d’Orpalia n’était pas connu pour sa compréhension et sa clémence, bien au contraire. Néamoins, trois jours après la date de la dernière lune d’Amir, foule se pressait autour de la Place. Chacun était suspendu aux lèvres fades et rougies par les gerçures du gueuleur. Il reprit, fier de son auditoire.

« Le croirez-vous ou non, ces bandits, ces hors-la-loi, que dis-je, ces brigants, ont déboulonnés la statue qui ornait le centre de la place, celle de notre estimé et regretté Général Frobidon. Et pour aggraver leur crime déjà terrible, ces hommes ont osé demander au Royaume une rançon pour récupérer la figure de proue de notre Royaume. Le général en succession, Illission, fera une déclaration à sa tribune à l’heure de la sixième cloche.»

Un brouhaha indescriptible se faisait désormais entendre sur la place. Personne n’avait entendu parlé d’une histoire semblable dans le passé. Certains envoyaient leur progéniture interroger les doyens sur des faits lointains équivalents à celui-ci. Mais, les enfants revenaient toujours sans histoire du même accabit à raconter à leurs parents. C’était une première fois dans toute l’Histoire d’Orpalia.

Personne ne se rendit compte de la disparition du gueuleur. Après être descendu du mât sur lequel il s'était perché, l'homme s’était frayé un chemin au travers de la masse de citadins effrayés par son annonce et s’échappait par la sortie Quart-Sud-Est-Est, petite ruelle sombre entre les Axes Cardinaux. Là, il retrouva son employeur, un homme vêtu de noir, comme on en voyait uniquement dans ces caniveaux sales et mal fréquentés. L’homme responsable de la pagaille qui avait envahi la Place du Grand Mât saisit une bourse bien garnie que lui tendait l’autre. Dans un argot à la dureté évidente, bien loin du ton de confidence adopté pour s’adresser au peuple quelques instants plus tôt, il rechigna violemment sur la quantité, bien différente de celle qu’on lui avait promis. L’homme fondu dans l’ombre rajouta de sa poche ventrale deux petites piécettes frappées du sceau de Frobidon, celui qui possédait la plus grande valeur à Orpalia. Notre gueuleur n’osa plus rien rajouter lorsque l’homme s’avança à la lumière dévoilant deux tâches rouges lumineuse à la place des pupilles. Effrayé, le gueuleur s’échappa par la droite et vola, quelques mètres plus loin, un vieux et crasseux naq, âne hybridé avec un coq, mélange absurde qui faisait porter à la bête son propre corps, et celui de son cavalier, par seulement deux pattes de volatiles – c’est tout ce qu’il pouvait espérer dans un ruelle aussi infectée, que ce soit par la puanteur de l’air ou par les intentions des individus qui s’y trouvaient. Enfin, son butin rangé dans sa poche avant gauche comme le voulait la superstition commune, il partit, s’enfuyant petit à petit de la Place pour tenter d'obtenir son but final : quitter le Royaume d’Orpalia et les lois qui n’auraient pas manqué de le faire fusiller pour calomnies.

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