Ils arrivèrent sans encombre au fond de la ruelle et s’engagèrent Avenue de la Richesse. Les Bains publics d’Aupel-stitt, tenus par la gargantine du même nom, n’était pas un établissement réputé pour sa propreté et la noblesse de sa clientèle, bien au contraire. Mais, c’est pour l’anonymat que leur procurerait cette foule ordinaire et puante qu’Astra l’avait choisi.

Avant d’entrer, Astra s’appuya quelques instants contre le mur extérieur. Faire remonter les souvenirs du passé était quelque chose de très douloureux. Raffi s’approcha d’elle et la serra tendrement contre son torse. Elle se crispa quelques instants avant de relâcher la pression et de pleurer sur son épaule.

Ils pénétrèrent dans le bâtiment, Mouiq restant en arrière, attaché par la bride à un poteau grâce à un nœud savant, et ils s’engagèrent dans la gallerie crasseuse. Au fond, deux portes s’offraient à eux. Bien qu’une loi orpalienne interdise la séparation des espèces, qualifiée de discriminatoire par le Conseil, l’établissement n’était pas en règle. La première porte donnait accès aux vestiaires pour humains tandis que le second était l’entrée pour toutes les autres créatures.

Voyant les panneaux affichés sur les murs, Astra se tourna vers Raffi.

- Les non-humains ne sont pas autorisés.

En réponse, Raffi haussa les épaules.

- Je ne suis que trois quarts osturien : ma grand-mère était humaine.

Heureux d’avoir trouvé lui-même la solution au problème, il poussa la porte barrée de l’inscription « Humains uniquement» et pénétra dans la pièce, Astra, secouant la tête en signe de redition, sur ses talons. Le vestiaire était vide : les humains sont une espèce noble à Orpalia et ils n’ont pas pour habitude de se traîner dans des lieux sordides comme celui-ci.

La jeune femme s’approcha d’un banc et s’assit dessus. Elle défit ses chausses et ses genouillères. Seulement, comme à son habitude, elle eut plus de mal lorsqu’il fallut retirer le reste de son armure. Le xyllissium est un matériau rigide qui demande beaucoup de contorsionnements avant de pouvoir enlever les vêtements qui en sont composés.

Raffi, habitué, s’approcha et entreprit d’enlever la cuirasse qui entourait le corps de sa jeune maîtresse. Il commença à prononcer le discours qu’il avait remué depuis des heures dans sa tête.

« Vous le savez sûrement, mademoiselle Astra, mais aujourd’hui est mon anniversaire.»

Astra se dégagea des paluches de son valet occupées à dénouer les lacets qui tenaient en place sa tunique protectrice. Elle se tourna vers Raffi, les traits froncés.

« Ton anniversaire ? Mais, on l’a fêté il y a trois mois à l’Academie !»

Elle ne comprenait pas où il voulait en venir Ce dernier éclata d’un rire tonitruant.

« Pas celui-là : il ne compte pas ! Je parle de mes quinze ans osturiens. Chez moi, c’est le passage à l’âge adulte, le moment le plus important d’une vie.»

Raffi devint plus hésitant.

« La tradition veut que… enfin, je sais pas si vous accepterez mais… je voudrais que…

- Si tu ne me dis pas tout de suite ce qui te tracasse, s’impatienta Astra, je te fais remplacer par un de ces horribles laquetons d’Aupel-stitt ! Et tu sais comme je les porte en horreur !»

Il prit une profonde inspiration avant de lacher, d’un coup, les paroles qu’il retenait prisonnières :

« La tradition veut que le nouvel adulte fête son anniversaire avec uniquement des inconnus. Au pays, les nouveaux adultes s’isolent dans un village voisin avec d’autres pour célébrer comme il le faut le passage.»

Il regarda Astra, emplit d’espoir. Celle-ci soupira :

« Si je résume, tu veux que je ne sois pas dans tes pattes pour que tu fasses la fête ce soir...»

Il s’apprêta à répliquer, arquant que, loin de lui l’idée de l’empêcher de l’accompagner, il voulait uniquement respecter les coutumes ancestrales, mais elle coupa net son argumentation.

« D’accord.»

Sa réponse étonna tellement Raffi qu’il suspendit son geste. Le pan de tissu qu’il tenait entre ses mains s’écrasa au sol avec un bruit sourd.

« Bon sang, Raffi, tu pourrais faire attention !

- Quand vous dîtes d’accord, ça veut dire…

- Des fois, je me demande si tu n’as pas du jus de navet qui coule dans les veines ! D’accord, veut seulement dire d’accord. »

Tout heureux, le fêté ne répondit rien et termina de déshabiller sa maîtresse, un gigantesque sourire éclairant son visage comme un incendie sous le soleil.