Chapitre 1

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Bercés par la douceur du printemps, nous voguions dans la jonque qui nous était réservée. Des poissons multicolores venaient à la surface de l’eau gober d’étranges coquilles qui y flottaient. Tout nous rappelait la présence d’une nature dont on ne connaissait rien et qui nous tardait de découvrir. Le temps nous appartenait. Je pris la main d’Irène ; ce petit geste, ce signe de tendresse ne nous avait jamais quittés durant toutes ces années. J’ajustai mes lunettes pour mieux voir ses yeux écarquillés du même émerveillement qu’à notre premier voyage. Elle vit le regard que je portais sur elle ; inchangé depuis toutes ces années. Elle me sourit, puis pouffa de rire.

— Bah… Tu te moques de moi ? lui lançais-je alors que son fou rire commença à me gagner.

— Oui. Enfin… pas vraiment de toi. Tu te souviens ? Sur le Titicaca ? me répondit-elle entre deux éclats.

— Je savais que tu pensais à ça. Chaque fois qu’on embarque sur l’eau, tu me le rappelles.

— Excuse-moi… c’est plus fort que moi ! Cette barque qui coulait…

— Ah ! Et ce guide, là… premier à nous abandonner.

— Et toi ! Tu as râlé tout le reste de la journée pour le matériel que tu avais perdu.

— C’était pour te secourir… même si tu sais très bien nager. En même temps, ça valait cher à l’époque, ce matériel argentique et tous ces objectifs. Au fond du lac.

— Ah… toi et tes instruments. Je suis étonnée que tu n’aies pas encore pris ton smartphone pour faire quelques clichés.

— Je préfère te tenir la main… et puis je prends garde de bien observer avant de me jeter sur l’appareil.

— Ah ! Ça, c’est Le Caire.

— Oui… ce jour-là, au lieu de chercher mon boitier pour photographier le scorpion, j’aurais mieux fait de le suivre et de le tuer.

— Mais c’est pas lui qui m’a piquée !

— Il n’y en avait qu’un dans la tente.

— J’ai survécu, conclut-elle, avant que son petit sourire ne s’efface. Je n’ai pas eu peur. La seule fois où j’ai pris peur…

— Oui, mais c’est terminé. À ça aussi on a survécu, répondis-je pour abréger un souvenir qui pouvait ombrager cette belle matinée. Notre enlèvement au Niger avait mis un terme à nos excursions hors des sentiers battus. Alors, si notre soif de voyage n’avait pas changé depuis nos premiers périples de soixante-huitards, nous jouions la prudence depuis en nous rabattant sur des offres organisées et des prestations sécurisées. Je lui caressai l’épaule pour la rassurer. Au loin, on pouvait voir les côtes. On va bientôt arriver, lui annonçais-je.

— J’ai hâte.

Elle regarda dans la même direction et prit son sac à dos.

— Comme d’habitude : sac vide au départ...

— Et plein au retour, s’enjouait-elle.

Je m’étais habitué à son rituel : perdre des heures dans des échoppes, souks ou autres bouibouis dans le simple but de trouver des bibelots authentiques. Ils encombraient un peu plus notre appartement — notre espace vital — à chaque retour de voyage. Ils envahissaient tout, jusque le fond de nos aquariums qu’elle préférait décorer d’objets qui avaient une âme plutôt que d’acheter des artefacts laids à faire peur aux poissons.

— Il n’y a peut-être pas d’antiquaire ici… tu feras quoi dans ce cas ?, la titillais-je.

— Il y a un marché local, appuya-t-elle d’un sourire de satisfaction. Elle s’était renseignée. J’aurais dû m’y attendre.

— Et… on va rester combien de temps dans ce marché ? Une heure ? Deux ?

— Je ne sais pas, j’ai tout mon temps.

— Bon. On fait comme d’habitude, alors. Je vais visiter les environs et toi, les antiquités qui t’attirent. Il faudra quand même penser à rentrer. On est peut-être au pays du soleil levant, mais il se couche à un moment, tu sais ? Elle me sourit, regarda vers les côtes qui restaient fort loin malgré l’avancée du bateau. Puis elle se tourna vers moi en baissant les yeux.

— André… Tu sais bien que j’ai tout mon temps, maintenant. Sa voix tremblait.

— Comment ça ? Mon amour, qu’est-ce qui se passe ?

— Mais André… je… je ne suis plus avec toi, bredouilla-t-elle, en larmes.

— Qu’est-ce que tu veux dire, Irène ? Mon cœur se mit à battre. J’étais désemparé. Elle se reprit, entre deux sanglots.

— Mais je suis morte, André. Tu le sais. Je suis morte !

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