Chapitre 8 : Découverte

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  La première nuit de voyage des inséparables ne fut pas de tout repos. Elles avaient de la chance que le ciel ne soit pas trop nuageux et purent être éclairées par la lune. Elles étaient restées sur les chemins dégagés des plaines pour anticiper le danger s’il venait à arriver. Pendant leur marche, le manque d’endurance d’Aelia se faisait grandement ressentir et ralentissait Célia, qui a dû la porter sur son dos pour qu’elle dorme un peu. La petite grelottait et avait peur. Elle commençait déjà à regretter son élan de courage et à se demander si elle ne ferait pas mieux de rentrer à Uleth. Mais elle ne voulait pas laisser Célia seule et imaginait sa déception si elle abandonnait au bout de quelques heures.

  Le lever du soleil fut un soulagement et ravivait leur motivation. Le temps était plutôt agréable pour une matinée d’automne. L’aînée put se reposer à son tour. Aelia montait la garde, armée de la rapière, unique arme dont elles disposaient pour se défendre. Lorsque Célia eut récupéré, les sœurs mangèrent un peu avant de se remettre en marche. Elles entrèrent dans la forêt dans laquelle les inséparables avaient tant passé de moments à récolter. Célia continuait d’être alerte à la moindre trace de la guerrière qu’elle traquait, pendant qu’Aelia surveillait les alentours.

Une heure plus tard, elles arrivèrent dans un petit bosquet qui cachait un lac, lui-même alimenté par une cascade. Célia lâcha son sac et s’approcha de la rive. Elle enleva ses bottes et plongea ses pieds endoloris dans l’eau fraîche. Aelia fit de même et en profita pour s’asperger le visage.

  — Pour l’instant, tout va bien, dit Célia en inspirant profondément. On va rester ici pour la nuit. Va voir s’il y a un espace derrière la chute où on pourrait se mettre à l’abri.

  Aelia fit un signe d’approbation et s’exécuta, pendant que Célia demeurait songeuse. Elle pensait à ce que son père et sa mère devaient ressentir actuellement, en constatant la disparition de leurs deux filles. Ils devaient sans doute être alarmés, voire détruits. Mais la jeune adulte se disait que si elle rentrait à Uleth une fois les démons vaincus et les plaines d’Ashon redevenues sûres, ses parents seraient fiers d’elle et de ses accomplissements. Elle garda cette promesse pour elle et se releva pour aller retrouver Aelia. À sa grande surprise, elle n’était pas là. La boule au ventre et la gorge serrée, elle tourna la tête dans tous les sens et cria son nom de plus en plus fort. Elle discerna une faible réponse venant d’une cavité discrète dans la paroi de la falaise.

  — Célia, tu m’entends ? appela Aelia de son côté. J’ai trouvé quelque chose d’incroyable à l’intérieur !

  La petite s’était faufilée dans un espace trop étroit pour Célia. Elle commença à écarter les cailloux, Aelia l’aida au mieux. Le passage assez élargi, Célia put finalement s’y glisser. Enthousiasmée par sa découverte, Aelia tira le bras de son aînée pour qu’elle la suive rapidement. Elle la guida à travers ce tunnel qui descendait dans des profondeurs que les sœurs n’auraient jamais soupçonnées. Après plusieurs minutes, elles arrivèrent dans une immense grotte. Célia resta sans voix en contemplant ce que ses yeux virent : une véritable forêt cachée souterraine. Un doux parfum de sève flottait dans l’air, qui n’était pas aussi froid qu’elle le pensait. Des milliers de fleurs diffusaient de par leurs pistils une lumière bleutée qui éclairait l’endroit presque comme en plein jour. Au centre, un large trou entouré de grands chênes aux racines apparentes libérait des émanations translucides et harmonieuses qui infusaient le sol herbeux qui le bordait.

  Aelia courut vers une étendue d'herbes hautes. À son passage, de nombreux papillons aux ailes étincelantes s’envolèrent et tourbillonnèrent autour d’elle. Certains atterrirent sur ses cheveux et ses épaules. Elle observa les plantes de plus près en se posant une question :

  — Si on les cueille, elles s’éteignent ?

  Elle approcha ses doigts de l’une d’elles. Une sensation agréable et réconfortante parcourut son bras et se dispersa dans tout son être. Enivrée par cette douceur, elle en désirait plus, encore plus. Mais quelque chose dans sa conscience lui fit changer d’avis, elle ne voulait plus tenter l’expérience. De son côté, Célia restait perplexe malgré cette magnificence tout droit sortie d’un rêve. Elle se demandait comment une telle végétation avait pu se développer ici et sans soleil. Le puits pourrait y être pour quelque chose. Elle avança vers lui et plongea son regard à l’intérieur. Il semblait sans fond, mais son attention s’arrêta sur sa paroi, couverte de pierre précieuse. Elle s’accroupit et essaya d’en décrocher une mais n’y parvint pas. Elle se retourna et observait sa sœur s’exalter au milieu de cet environnement. Célia se disait qu’après ces deux premiers jours de voyage éprouvants, sa petite protégée pouvait bien s’amuser un peu. En plus, cet endroit ferait une bonne cachette en cas de problème. Célia garda cette idée en tête et alla rejoindre Aelia. Elle s’assit avec elle.

  — Demain, nous irons récolter à la surface et nous amasserons une réserve de nourriture, d’accord ?

  Aelia approuva tout sourire et se laissa basculer sur les cuisses de son aînée, les papillons s’envolèrent de son corps. Les inséparables se regardèrent dans les yeux.

  — Tu es fière de ma découverte ? demanda la plus jeune d’un air timide.

  Célia caressa tendrement la chevelure brune de sa cadette.

  — C’est une extraordinaire découverte, la félicita-t-elle. Je pense que nous allons nous cacher là un certain temps.

  Elles restèrent ici à se chouchouter au milieu de ce lieu féerique et lorsqu’Aelia commença à bâiller et à somnoler, Célia alla chercher un coin où l’herbe était plus dense. Elle y installa leur couverture et proposa à sa sœur d’y dormir. La petite s’allongea. Elle trouvait ce lit naturel plus confortable que celui chez leurs parents et tomba de sommeil rapidement. Son aînée remonta le tunnel et fit de son mieux pour en dissimuler l’entrée avec des rochers. Cela fait, elle retourna au chevet d’Aelia et s’assit, adossée contre un arbre. Elle veilla sur elle, jusqu’à s’assoupir sans s’en rendre compte.

***

  Le matin suivant, Aelia et Célia avaient exploré la grotte pour y dénicher quelque chose de mangeable sans devoir la quitter. Mais malgré cette luxuriante nature, aucun aliment ni plante comestible connus des sœurs n’avait poussé. Elles préférèrent ne pas prendre de risque et se restaurèrent avec leurs provisions initiales.

  L’après-midi, elles sortirent pour aller récolter en forêt comme prévu. Célia replaça les rochers de l’entrée et les deux inspectèrent les environs proches du lac. L’aînée demanda à sa cadette de rester avec elle par prudence. Aelia obéissait sans sourciller. Sous un magnifique soleil, elles trouvèrent beaucoup de légumes et fruits sauvages et purent en amasser une bonne réserve. Célia avait regagné le sourire. Les inséparables étaient si heureuses de faire ce qu’elle aimait qu’elles n’avaient pas vu le temps passer. Le crépuscule commençait à tomber, colorant le ciel et ses nuages d’une agréable teinte orangée.

  — Et si on montait au sommet de la colline avant de rentrer ? proposa Célia pour rester à l’extérieur.

  — Pourquoi pas ! On pourra admirer le coucher du soleil !

  Elles arpentèrent un sentier assez escarpé mais pas impraticable pour la plus jeune. Le bruit d’une rivière à fort courant était de plus en plus imposant. Les sœurs finirent par arriver en haut de la falaise, de laquelle se jetait l’eau de la cascade. Toujours perturbée par ce sentiment, l’aînée scruta chaque endroit, à la recherche de son héroïne, ou de toute preuve témoignant de son passage. Mais rien. Elle se résigna et s’approcha du bord. Un léger vent soulevait sa longue chevelure pendant qu’elles observaient l’horizon.

  — Regarde, on voit Gilios d’ici !

  Aelia la rejoignit et les deux purent admirer ensemble les immenses champs de blé qui s’étendaient tout autour de la capitale. Le château du seigneur Henald était visible. Ses tours semblaient surveiller les moindres faits et gestes des plaines d’Ashon.

  — Je voudrais tant vivre là-bas, avoua Célia. Tu imagines ? Acheter une magnifique robe dans une boutique de renom. Aller aux bals royaux et danser dans les bras d'un noble. Ça ne te fait pas rêver ?

  — Je croyais que tu n’aimais pas les habits trop féminins.

  — Si ça peut séduire un beau et riche prince, je suis prête à faire un effort.

  Les inséparables rirent de bon cœur et s’assirent au bord de la falaise, les pieds au-dessus du vide. Célia incita Aelia à poser sa tête sur son épaule. Elles profitèrent pleinement de cet instant et restèrent ici pendant un long moment à regarder tout ce qui entrait et sortait de la capitale tout en plaisantant. Des attelages venaient et repartaient de la ville, transportant des marchandises, voire des troncs d’arbres. D’autres étaient des calèches escortées par des militaires, que les plus fortunés louaient pour se déplacer. L’aînée songeait à la vie de citadine, se rappelant des mots de Jael à la taverne. De son côté, Aelia ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait. Elle était heureuse ainsi, à suivre Célia et la voir devenir quelqu’un d’incroyable. Alors pourquoi en changer ? Elles contemplèrent le coucher du soleil jusqu’au bout, avant que Célia ne propose de rentrer.

  Les sœurs redescendirent et une fois devant l’entrée, Célia attrapa l’épaule d’Aelia et la tira vers elle. Cette dernière se demandait ce qui lui prenait.

  — Quelqu’un est à l’intérieur, parla Célia à voix basse. Les rochers ont été déplacés. Laisse-moi passer devant.

  La petite obéit et recula, Célia dégaina sa rapière et avancèrent prudemment dans le tunnel. Son regard balayait tout l’endroit pendant qu’Aelia restait dans son sillage. Elles arrivèrent dans la grotte et l’instinct de l’aînée ne l’avait pas trompé : quelqu’un se trouvait face au puits et en observait le fond. Ses vêtements semblaient littéralement collés à même sa peau, montrant une silhouette féminine frêle mais certainement agile. Elle n’arborait aucun élément superflu comme des pièces d’armure ou des décorations. Seuls deux fourreaux de machettes croisés au niveau de ses reins et attachés à une ceinture en cuir ressortaient.

  Célia tourna sa tête vers Aelia et lui fit signe de ne plus bouger et de ne faire aucun bruit. Elle s’approcha à pas feutrés pour l’embrocher en traître. Prête à attaquer, la jeune femme sauta sur sa proie, la rapière en avant. Sa cible dégaina ses lames, se retourna et dévia le coup. Son visage révélé présentait des traits fins mais sévères avec des yeux violets. Elle mit toutes ses forces dans ses bras et essaya de la pousser dans le trou, mais cette dernière se servit de cela pour se projeter par-dessus et atterrir de l’autre côté. Pour Célia, une telle agilité n’était une humaine.

  — Qui êtes-vous ? cria Célia en garde. Comment avez-vous découvert cet endroit ?

  — Une Sans-Magie ? dit l’inconnue d’une voix morte.

  Le terme avancé fit bondir Célia, qui se souvint de Jael et ses menaces. Si cette femme utilisait les mêmes mots que le vil marchand, alors c’est qu’elle était comme lui.

  — Vous êtes une créature fantastique ! Un ange à déjà tenter de me tuer !

  À son tour, son adversaire fut surprise. Elle commença à faire le tour du puits et se rapprocher, sans croiser son regard.

  — Ainsi donc, des Sans-Magies ont percé le secret de l’existence des peuples magiques et ont trouvé l’emplacement d’un puits originel mineur.

  Célia pointa son épée vers cette combattante, sans la lâcher des yeux. Elle arriva face à l’humaine et s’exprima d’un ton neutre.

  — Je ne souhaite pas vous affronter, mais seulement récupérer des informations. Vous avez évoqué les anges, pouvez-vous m’en dire plus ?

  Célia n’en croyait pas un mot et l’attaqua à nouveau. Elle enchaîna de nombreux coups, tous esquivés ou bloqués par l’inconnue qui se lassa rapidement de ce petit jeu. Cette dernière tournoya sur elle-même avec ses deux dagues en parallèle, que son adversaire para avec sa rapière. Leurs tranchants brillèrent d’une énergie violacée. Contre cette force surnaturelle, l’arme résista quelques secondes avant qu’elle ne se brise. Célia se baissa pour ne pas que son cou subisse le même sort. Elle se releva et utilisa le pommeau pour essayer de la blesser. Pendant une fraction de seconde, elle pensait l’avoir touché en plein torse, mais elle traversa une épaisse brume noire dans son élan. Un cri aigu parvint à ses oreilles vers l’entrée de la grotte. Elle se retourna et son sang ne fit qu’un tour lorsqu’elle vit Aelia, le visage empli d’effroi, avec deux lames croisées sous sa gorge. Mais ce qui étonnait le plus Célia était que certaines parties du corps de l’assaillante se trouvaient littéralement dans la roche, entouré d’une aura ténébreuse.

  — Lâchez ma sœur ou je vous extermine !

  L’elfe appuya plus fort contre la peau du cou d’Aelia, sans lui ouvrir de plaies.

  — Ne profère pas des promesses que tu ne peux tenir. Je n’ai reçu aucun ordre concernant d’éventuelles victimes collatérales pendant mes investigations et donc, je peux vous éliminer sans remords. Si la vie de ta congénère t’importe autant que tu le laisses croire, ne fais rien de stupide et donne-moi les informations que je désire.

  Aucune des deux humaines n’osait bouger. Aelia espérait de tout son cœur que Célia la sauve mais ne voyait pas comment. L’aînée réfléchissait une ruse mais les larmes roulant sur les joues de sa précieuse cadette l’incitèrent à la sagesse. Elle ne pouvait se résoudre à la perdre à cause de sa fougue. Célia tomba à genou et jeta les restes de sa rapière devant elle.

  — Je me rends… Libérez-la, implora-t-elle. Je vous dirai tout ce que vous voulez savoir…

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