Chapitre 12 : La dirigeante des elfes
Toujours accompagnées des trois centaures, Aelia et Célia reprirent la route vers Sylvae. La cadette admirait les environs avec émerveillement. La végétation l’impressionnait. Certains feuillages d’arbres avaient une teinte bleutée et des petites boules de lumière tournaient autour de certaines branches. L’humaine put voir des animaux incroyables, comme des cerfs au pelage blanc tacheté de pois rouges et aux bois en forme de spirale majestueuse. Elle observa également des renards à la fourrure argentée avec des motifs scintillants couleur turquoise.
— La faune est aussi magique ? demanda l’enfant à celui qui la portait.
— C’est en dehors des falaises qu’elle ne l’est pas, rit-il.
Sur l’autre centaure, Célia demeurait songeuse. Sa tristesse n’était pas encore retombée et elle pensait à ce dernier combat contre les Neantys. Outre l’apparition de la Dame Légendaire, c’était Tyane qui la préoccupait. Elle hésitait à poser une question indiscrète à son sujet à Thanasios, mais finit par le faire.
— Qu’est-ce qui est arrivé à Tyane tout à l’heure ? Elle avait l’air de souffrir…
Le chef de tribu garda d’abord le silence, avant de répondre d’une voix qui traduisait une gêne évidente.
— Je vois que tu veux en savoir plus sur Tyane, je vais tâcher de t’éclairer sur elle, mais je souhaite que tu ne la juges pas après que je t’ai révélé certaines choses.
Célia le promit mais son inquiétude s’accentua.
— Née pendant le même cycle lunaire qu’Erulyn, elle était une adorable enfant qui a renié ses racines nobles pour se consacrer au développement de ses capacités physiques et mentales. Sans prédispositions naturelles pour le combat ni magie offensive, elle s’entraînait sans relâche au point de dépasser les meilleurs guerriers de l’armée régulière.
— Elle n’avait pas le pouvoir de traverser les ombres depuis la naissance ?
— Lorsque la Grande Prêtresse disparut, elle la chercha seule pendant plus d’une semaine, sans jamais la retrouver, en plus d’avoir fini blessée par un Neantys. Honteuse de son échec, elle revint épuisée, affamée et en pleurs devant sa nouvelle souveraine. Je m’en souviens, Erulyn s’était accroupie à sa hauteur, lui avait relevé le menton, avant de la câliner malgré toute la boue qui souillait ses vêtements et les ténèbres qui rongeaient son bras droit. Suite à cela, Tyane développa cet effrayant mais néanmoins puissant pouvoir. Tous voulaient sa mort pour hérésie, mais Erulyn s’est portée garante à son égard. Aujourd’hui, Tyane n’obéit qu’à elle et sacrifierait sa vie pour elle.
Célia éprouvait non seulement de la tristesse pour Tyane, mais également une pointe de remords. L’humaine changea rapidement de sujet et s’intéressa à la région et ses autochtones. L’hybride répondit du mieux qu’il pouvait tout en y ajoutant quelques moments de vécu. La conversation dura jusqu’à ce que le groupe puisse apercevoir les premiers bâtiments de la capitale. Le chemin était maintenant pavé de dalles de pierre aux formes ondulées.
— Nous sommes arrivés. Bienvenue à Sylvae, capitale des forêts envoûtées.
Les maisons étaient plus grandes que celle du village d’Avgang mais tout aussi belles. Il y avait plus d’habitations avec des murs et un toit que d’arbre creusé dans leur tronc. Dans ce qui semblait être l’allée principale, les citadins s’occupaient de leurs affaires. Peu habitués à la visite de centaures en ville, les elfes scrutaient le cortège et surtout les humaines sur leur dos. Certains murmurèrent entre eux leurs étonnements, d’autres le montraient ouvertement. Les sœurs les regardaient puis détournaient les yeux. Le fait d’être au centre de l’attention les gênait. Elles furent rassurées en apercevant Tyane au pied d’un immense escalier en pierres polies. Les hybrides les déposèrent devant elle.
— Erulyn est maintenant au courant de votre présence et va vous recevoir. Merci de les avoir escortés jusqu’ici, Thanasios.
— À votre service. Nous retournons à notre camp. J’espère vous revoir bientôt, Aelia et Célia.
Il salua les humaines qui lui rendirent cette politesse et les centaures rebroussèrent chemin. Le groupe monta la dizaine de marches jusqu’à atteindre le sommet et le parvis du palais. Deux elfes se tenaient devant les grandes portes du bâtiment. D’autres personnes étaient là mais assez éloignés avec un comportement plutôt observateur. Habillés de vêtements amples laissant penser à des religieux, ils semblaient tendus. Ils fusillaient les sans-magies du regard, se demandant comment elles avaient réussi à entrer sur leur territoire. La majorité se doutait que Tyane y était pour quelque chose, renforçant le mépris qu’ils avaient pour elle et sa magie ténébreuse. La cheffe de l’ordre des racines s’avança de quelques mètres, posa un genou à terre et baissa son visage.
— Ma souveraine, voici les humaines qui détiennent des informations cruciales. Leur aide nous sera précieuse dans notre lutte contre les Neantys.
Erulyn marcha vers le groupe. Arrivée devant sa congénère, elle s’accroupit et lui releva le menton avec le sourire.
— Je suis heureuse que tu sois revenue saine et sauve. Tu devrais te reposer, tu en as beaucoup fait ces dernières semaines.
— Merci pour votre indulgence.
La fille de la Grande Prêtresse se redressa et s'approcha des sœurs. Chaque pas inquiétait les religieux et les gardes, prêts à intervenir. Célia faisait une tête de plus que l’elfe, ce qui accentuait ce malaise. La jeune femme ne savait pas comment saluer une souveraine et qui plus est d’un peuple fantastique. Elle préféra garder le silence et laisser l’initiative de la parole.
— Bienvenue à Sylvae, s’exprima Erulyn d’un ton amical. Tyane m’a parlé de vous et de votre voyage jusqu’ici, cela a dû être une épreuve difficile. Nos cuisiniers sont déjà en train de vous préparer un petit quelque chose, nous pourrons discuter de vos péripéties pendant ce repas. Pour l’heure, Milys va vous guider vers votre chambre.
À ces mots, la conseillère s’avança et pria les sœurs de la suivre. Elle les emmena à l’intérieur du palais et les fit monter à l’étage supérieur. Elles traversèrent un couloir embelli de nombreux tableaux qui représentaient des animaux dans des postures majestueuses. L’elfe s’arrêta devant l’une des portes.
— J’espère que vous la trouverez à votre goût.
Les humaines la remercièrent et entrèrent. Contre le mur à leur gauche, un grand lit à baldaquin dont les draps propres et sans le moindre pli satisferaient la plus exigeante des princesses. À l’opposé, une coiffeuse à côté d’une énorme commode avec des miroirs couvrant l’intérieur des portes. Le tout, posé sur un parquet en bois clair parfaitement lustré. Aelia s’approcha des fenêtres et les ouvrit pour se rendre sur le balcon. Elle pouvait observer les nombreuses ruelles éclairées de la ville ainsi qu’une vue imprenable sur l’immensité des forêts envoûtées, bordées par ces hautes falaises.
— C’est magnifique ! s’extasia-t-elle. Comme cette chambre sortie d’un rêve !
— Je viendrais vous informer lorsque le dîner sera prêt. En attendant, vous pouvez aller vous désaltérer et vous laver dans la source chaude. Redescendez le même escalier jusqu’au sous-sol et c’est au bout du couloir. Si vous souhaitez changer de vêtements, ceux dans la penderie sont à vous.
L’elfe prit congé. Célia commença alors à fouiller. Dans le tiroir de la coiffeuse, elle trouva le nécessaire pour prendre soin de sa chevelure et son visage. Elle chercha ensuite dans la commode. Un large choix d’habits se proposait à elle. Des robes, des jupes, des tuniques et des bas de diverses couleurs ainsi que toute sorte de chaussures. Elle prit des serviettes, referma le meuble et se tourna vers sa sœur.
— Allons à la source chaude. Je suis curieuse de voir ça.
Aelia approuva et les inséparables quittèrent de la pièce. Elles suivirent les indications de Milys et arrivèrent face à une porte aux motifs bleus en forme de vagues. Les humaines entrèrent et firent de grands yeux devant la majesté du lieu.
Le sol n’était pas un plancher mais de l’herbe fraîche. Au centre, une imposante fontaine se dressait au milieu d’un bassin, alimenté par une jarre tenue par la sculpture d’une elfe souriante vêtue d’une toge. Trois arbres avaient poussé autour, dont les pétales de leurs fleurs tombaient délicatement dans l’eau. Une agréable odeur de menthe flottait dans l’air vaporeux.
— Célia, ce n’est pas un rêve ?
— Non, je vois bien la même chose que toi, confirma sa sœur qui avait déjà commencé à retirer ses haillons sales.
Aelia se déshabilla aussi et s’approcha ensuite de l’eau. Elle y trempa le bout de son pied. Elle était chaude, sans être bouillante. Cette sensation remontait le long de sa jambe et lui procurait un sentiment d’apaisement. Elle glissa le reste de son corps et soupira de détente.
— Alors ? demanda Célia, curieuse.
Aelia n’avait pas de mot pour décrire ce que chaque cellule de son enveloppe charnelle ressentait en ce moment. Son aînée la rejoignit et comprit rapidement son absence de réponse. Les paroles étaient inutiles et la sérénité semblait remplacer l’angoisse et la tristesse. Du savon et des essences de bain étaient posés sur une étagère en pierre sous la sculpture. Célia nagea pour aller les chercher et ramena plusieurs flacons. Elle ouvrit l’un d’eux. Une forte odeur de pêche s’en dégagea. Elle en versa un peu au creux de sa main, avant de l’étaler délicatement sur chaque partie de son corps. Aelia en mit dans ses cheveux et les frotta.
Une fois propres, elles sortirent de l’eau et se couvrirent avec les serviettes. Leur peau brillait, comme rajeunie par cette fontaine. Les humaines enveloppèrent leurs chevelures pour bien les faire sécher. De retour dans la chambre, elles fouillèrent dans les habits de la commode et prirent leur temps pour se décider. Célia opta pour un pantalon et un gilet en soie marron, une veste légere en cuir noir et d’élégantes bottines. Aelia avait choisi une jolie robe verte descendant jusqu’à ses genoux, des ballerines et de grandes chaussettes blanches. Elles s'admirèrent dans le miroir.
— Une vraie petite princesse !
— Toi, tu fais plus aventurière !
Les sœurs n’arrivaient pas à détourner le regard de leur reflet. Les vêtements qu’elles portaient leur montraient une autre facette d’elles-mêmes. Une image que dans le passé, elles n’auraient jamais contemplée.
Quelques minutes plus tard, quelqu’un frappa à la porte. C’était Milys. Elle venait les informer que le dîner était servi et les invita à la suivre. Elle les emmena dans la salle principale du palais.
Cette dernière était divisée en deux parties. La première, dans laquelle se trouvait le trône d’Erulyn formé par deux arbres fleuris dont les racines étaient taillées, dominait une aire recouverte d’un tapis naturel d’herbe pure. Deux marches plus bas, un autre espace plus grand s’étalait. Il était agrémenté de trois longues tables en bois. Erulyn accueillit ses invitées. Tyane se tenait à distance, adossée les bras croisés contre un pilier.
— Ces vêtements vous vont à ravir, complimenta la souveraine avant de tendre une main vers sa droite. Nous vous avons préparé à manger.
Le groupe se déplaça vers le milieu de la salle. Plusieurs mets étaient disposés dans une argenterie sans le moindre défaut. Des assortiments de fruits, dont certains ne ressemblaient en rien à ce que les humaines connaissaient. Un peu de viande finement tranchée surmontait une riche garniture de salade et de tomate. Des œufs durs d’une taille incroyable entouraient un bol de miettes de poisson. Le tout, accompagné de cruches en bois, remplies de boissons diverses.
Aelia et Célia ne se firent pas prier et s’installèrent sans attendre. Elles se servirent et se restaurèrent sans aucune manière. Leurs estomacs réclamaient cela depuis trop longtemps. Le savoureux goût des aliments fondait dans la bouche des affamées. Erulyn mangea également mais plus sobrement.
— J’espère que ce modeste repas vous fait le plus grand bien. C’est tout ce que nous avons pu vous préparer en ce court laps de temps.
— Je n’ai jamais mangé quelque chose d’aussi bon ! Merci !
— C’est tout naturel. Que dirait la Grande Prêtresse si je ne suivais pas les préceptes qui lui font honneur ? Je ne pense pas que les autres peuples fantastiques d’Aldria vous auraient aidé, je le déplore. Ils ont un jugement négatif sur votre civilisation. Nous préférons porter secours à des personnes dans le besoin, plutôt qu’avoir du mépris envers elles.
Un discours qui tranchait avec celui de Jael. Les elfes semblaient plus ouverts que les anges et surtout d’un altruisme sincère. Erulyn parlait sans aucune arrière-pensée et appréciait la présence des sœurs à sa table. Prête à aborder le principal sujet de ce soir, la souveraine arrêta de manger, essuya sa bouche avec une serviette et prit un air plus sérieux.
— Tyane m’a rapporté qu’une famille d’ange se faisant passer pour des humains voulait piller votre village, est-ce vrai ?
— Oui, confirma Célia qui interrompit également son repas. Ce n’était pas les seuls à parcourir les plaines d’Ashon et à accomplir de tels méfaits. La Dame Légendaire en aurait supprimé beaucoup d’autres avant eux.
— Je ne connais pas assez la reine Sorane pour la juger et nous n’avons aucune preuve de son implication, mais c’est quelque chose de grave. J’ai aussi compris que vous avez eu affaire à des Neantys et que cette guerrière en noir vous a sauvé.
— Pourquoi Tyane l’a-t-elle attaqué alors qu’elle nous a aidés ?
— J’ai envoyé Tyane dans les terres oubliées avec pour mission de retrouver cette personne, la neutraliser et la ramener ici. Nous suspectons qu’elle ai un lien dans la disparition de la Grande Prêtresse Alervina et a quelque chose à voir avec l’apparition de ces créatures ténébreuses. Nous avons appris qu’elle les combat, mais l’un n’exclut pas l’autre. Croyez-vous qu’elle serait responsable de l’arrivée des Neantys sur notre monde ?
La question serait presque offensante pour Célia. Malgré les premiers contacts plutôt tendus avec cette mystérieuse guerrière, elle ne l’imaginait pas répandre le mal et lui faire face juste pour se couvrir de gloire. L’aînée des sœurs détourna cette accusation vers ce qui lui semblait le plus probable.
— Dans notre région d’origine, beaucoup pensent que notre seigneur cache des conjurateurs à Gilios. Ils utiliseraient les démons pour justifier d’une taxe de protection par la peur.
L’elfe prit un air étonné. De ce qu’elle connaissait des Sans-Magies, elle avait de gros doutes sur leur capacité à invoquer ces choses et à les contrôler. Dans son esprit, il était clair que seule une créature magique aurait assez de puissance pour accomplir un tel exploit. Cette Dame légendaire était peut-être une humaine, mais le fait qu’elle possède une lame enchantée et jouissait d’aptitudes bien supérieures à ses semblables laissait entendre qu’elle obéissait à un peuple fantastique.
Ces témoignages et informations en tête. Erulyn se leva de table.
— Merci pour cette discussion. Je vais me coucher, prenez votre temps pour vous restaurer. Nous nous retrouvons demain matin dans cette même salle pour le petit déjeuner et ensuite vous faire visiter notre somptueuse capitale. Que la déesse veille sur vous et vous accorde un repos bien mérité.
L’elfe s’éloigna tandis que sa conseillière attendit que les sœurs finissent de manger. Tyane avait aussi pris congé sans que personne ne s’en rende compte. Milys les accompagna jusqu’à leur chambre. Célia fouilla à nouveau dans l’armoire et trouva des nuisettes blanches. Elle en tendit une à sa cadette.
— Comme les princesses ? sourit-elle, avant de saisir le vêtement.
Elles se déshabillèrent, enfilèrent ces légères robes et soulevèrent les délicates couvertures de leur nouveau lit. Les inséparables s'y glissèrent et eurent l’impression que leurs corps venaient de traverser un nuage. Aelia se blottit contre Célia, cette dernière la prit dans ses bras. La plus jeune avait beaucoup donné pour suivre son aînée jusque là, malgré ses faiblesses physiques. Elle était heureuse d’être ici et souhaitait de merveilleux lendemains. Quant à Célia, ses parents lui manquaient, mais elle ne regrettait pas son départ d’Uleth. Elle voulait retrouver la Dame légendaire et devenir plus forte pour obtenir des réponses. Tout allait pour le moment dans ce sens, en plus d’avoir sa précieuse sœur à ses côtés. Les deux se murmurèrent des mots doux, avant de fermer leurs yeux et s’endormir.
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