Chapitre 13 : Un peuple ouvert

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  Les lueurs douces et apaisantes de l’aube pénétraient dans la chambre par l’entrebâillement des fins rideaux. Aelia fut la première à s’éveiller et se redressa, frottant ses yeux du revers de sa main droite. Elle se leva, s’étira et s’approcha des grandes vitres. Elle écarta les voilages et les ouvrit, lui offrant l’imprenable vue sur la capitale des elfes. L’enfant inspira l’air pur parfumé de Sylvae. Le son du feuillage des arbres dansant au rythme du vent atteignait ses oreilles. La fraîcheur matinale qui s’était invitée dans la pièce dérangea Célia. Elle replaça ses draps pour profiter plus longtemps de ce confort divin. Elle poussa un léger gémissement et tourna son corps vers sa sœur.

  — Je n’ai jamais aussi bien dormi de toute ma vie, avoua-t-elle d’une petite voix.

  Célia proposa de rester encore un peu, mais la cadette rappela qu’Erulyn les attendait. L’aînée ronchonna avec le sourire et quitta son lit. Les humaines revêtirent les habits offerts par les elfes et s’assirent tour à tour devant la coiffeuse, laissant l’autre repeigner sa chevelure.

  Une fois prêtes, elles sortirent leur chambre et parcoururent le couloir du palais. L’architecture du bâtiment les fascinait. Hérésie et sorcellerie : deux mots qui seraient sûrement prononcés dans leur monde d’origine pour qualifier ce genre de construction. Elles regardaient à travers chaque fenêtre devant laquelle elles passaient, voulant poser les yeux sur le verdoyant domaine elfique. Elles descendirent les escaliers et se retrouvèrent dans la grande salle.

  Beaucoup de personnes s’activaient pour remplir leurs obligations. Des serviteurs amenaient les mets sur les tables. Des nobles discutaient entre eux autour de leur petit déjeuner. Quelques visionnaires observaient les Sans-Magies, le visage fermé. Les filles aperçurent Erulyn, qui leur fit signe de venir s’installer. Les sœurs ignoraient toujours comment la saluer de manière appropriée. Elles joignirent leurs mains et baissèrent la tête. La souveraine leur rendit cette politesse plus ou moins nécessaire et demanda à ce qu’on apporte quelque chose à ses invitées. En quelques minutes, on leur présenta divers plats. Un premier était composé de fruits divers. Sur un second se trouvaient des tranches de pain, ainsi que des petits pots de confiture aux arômes variés. Les serviteurs amenèrent deux cruches en bois, remplies de lait d’amande. Aelia et Célia ouvrirent de grands yeux en voyant un aussi riche festin que celui d’hier soir.

  — Allons, ne vous faites pas prier. Bon appétit !

  Cette parole ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Les sœurs garnirent leurs assiettes et mangèrent de bon cœur. Certes, sans les manières de la haute société, mais en savourant pleinement ce repas. Tour à tour, les inséparables firent part de leur première nuit au palais, s’attardant sur le confort de leur chambre. À un moment, Aelia observa Erulyn boire quelque chose qu’elle ne connaissait pas, attirant sa curiosité. Elle demanda à l’elfe de quoi il s’agissait.

  — Une infusion au basilic pourpre. Cette plante possède des propriétés nutritives incroyables. Elle permet le maintien en bonne santé de l’épiderme et au corps de mieux se défendre contre les maladies. Son goût assez âcre et sucré ressemble à celle de la menthe. En voulez-vous ?

  — Avec plaisir !

  On apporta la boisson. De fines particules d’herbes nageaient dans deux récipients proposés aux humaines. Elles portèrent chacune le leur à leurs lèvres. Elles apprécièrent la saveur mais aussi la chaleur apaisante du liquide aromatisé qui descendait dans leur estomac.

  — Comme prévu, je vais vous faire visiter la cité. Si vous devez demeurer parmi nous, vous familiariser avec notre mode de vie semble nécessaire.

  — Mais, vous n’avez pas des affaires à vous occuper en tant que dirigeante ? questionna Célia avec ses idées en tête sur la noblesse.

  — En effet, mon rang m’en impose, mais aujourd’hui, mes nombreux conseillers s’en chargeront.

  Souhaitant éviter l’aspect moins agréable du quotidien d’une souveraine, Erulyn changea de sujet et proposa à ses invitées de la retrouver ici même dans une heure. Une fois les estomacs rassasiés, toutes se levèrent de table et retournèrent dans leurs quartiers respectifs. Erulyn ne voulait pas paraître trop visible et mettre son statut de côté le temps d’une journée. Elle opta pour des vêtements simples : une tunique blanche sans manches, une jupe couleur bordeaux et des chaussures en cuir noir. Elle décida aussi de séparer symétriquement sa longue chevelure pour former deux couettes et les laisser descendre dans son dos. Erulyn se regarda dans le miroir et se satisfit de cette facette moins formelle de sa personnalité. Elle sourit à son reflet et quitta sa chambre. Aelia et Célia l’attendaient, habillées des mêmes vêtements que la veille. La souveraine le remarqua avec une déception intérieure, elle songea à leur proposer quelque chose de différent.

  — Allons-y, et profitons de cette journée !

  Les portes s’ouvrirent dans un grincement résonnant mais sans être gênant. Aelia et Célia reçurent la lumière solaire en plein visage et se cachèrent les yeux par réflexe. Une fois le son effacé, les humaines relevèrent leurs paupières et purent à nouveau enfin contempler cet environnement inédit. Un temps radieux et agrémenté d’un léger vent frais leur offrait une sensation agréable. Les feuillages ombrageaient de nombreuses zones, ne laissant traverser que de fins faisceaux. Beaucoup d’habitants travaillaient en extérieur. Les sculpteurs de bois avaient donné les premiers coups de burin de la matinée. Les fleuristes exposaient leurs créations sur des étalages. Les bijoutiers, couturiers et autres vendeurs alimentaires ne faisaient pas exception.

  — C’est calme à cette heure-ci, informa Erulyn. Par où commencer... Sylvae est séparée en trois quartiers : commercial, religieux et résidentiel. Le palais se situe au milieu. À l’époque, il…

  Les humaines n’écoutaient plus vraiment Erulyn. Leurs yeux parlaient plus fort. Chaque détail les intéressait mais le physique différent des elfes les rendait mal à l’aise. Les habitants remarquèrent la présence de leur souveraine et la saluèrent d’un signe de main. Les plus proches s’avancèrent et parlèrent de sujets banaux avec elle. Ni Aelia ni Célia n’osait entrer dans la conversation.

  — Excusez-moi. Êtes-vous une créature des terres oubliées ? interrogea sans détour un citadin intrigué par l’apparence de Célia.

  La jeune femme ne savait pas quoi répondre. Les autochtones les regardaient avec des expressions variées. Certains montraient leur étonnement, d’autres sourirent.

  — Oui, ce sont des humaines, confirma Erulyn. Elles vivront parmi nous aussi longtemps qu’elles le souhaiteront. Veuillez les accueillir avec toute la bienveillance qui fait notre fierté.

  Aelia et Célia craignaient leur réaction. Pourquoi aider des sans-magies ? Quel intérêt de protéger ces êtres inférieurs ? Mais alors qu’elles allaient s’enfuir et se réfugier au palais, une elfe qui semblait être de la même tranche d’âge que les sœurs s’avança.

  — Je trouve que les vêtements elfiques vous vont bien, complimenta-t-elle. Venez donc au fil mystique, le tailleur le plus connu de la capitale. Ma mère est couturière, je suis sûre qu’elle acceptera de vous concevoir un petit quelque chose.

  Cette simple phrase amicale et cette invitation attisèrent la générosité des autochtones. D’autres commerçants proposèrent à leur tour aux humaines à leur rendre visite. Les passants posèrent des questions parfois farfelues. L’une d’elles provoqua des rires, sans aucune moquerie cachée.

  — Pourquoi vos oreilles sont-elles si courtes ? On vous les a coupées pour courir plus vite ?

  L’ouverture d’esprit dont faisaient preuve les elfes redonnait de la confiance aux sœurs. Cet échange culturel naissant faisait plaisir à Erulyn. Elle était maintenant persuadée qu’elles pourraient demeurer parmi les siens. Elle clôtura poliment les conversations et le groupe reprit leur marche.

  — Je ne m’attendais pas à un accueil aussi chaleureux, avoua Célia.

  — Nous prônons la paix et évitons les conflits inutiles. Tous les habitants d’Aldria vivent sur le même sol et sous le même ciel, il est normal de se montrer bienveillant. Hélas, les autres peuples ne sont pas vraiment d’accord et préfèrent repousser l’inconnu plutôt que le comprendre. Les religieux de la capitale partagent ce sentiment d’appréhension.

  — D’autres comme nous sont déjà venus ici ?

  — Pas depuis six millénaires. Suite à la guerre fantastique, les peuples magiques ont coupé tout lien avec les sans-magies, jugés responsables de ce conflit. Depuis ce jour, beaucoup pensent que vous êtes des êtres avides et sans valeurs morales. Mais Tyane m’a tout expliqué et ses arguments tendent à affirmer que cela pourrait être maintenant faux. Soyez rassurée, je suis la souveraine de Sylvae et vous êtes mes invitées. Voulez-vous vous rendre à un commerce particulier ?

  Les sœurs n’avaient pas d’idée et se contentèrent de suivre l’ordre de la rue. La première boutique à leur gauche était une bijouterie. Elles s’approchèrent, Erulyn resta en retrait. Les pièces présentées sur trois tables assemblées brillaient dans les yeux des inséparables. Jamais leurs prunelles n’avaient contemplé un tel trésor. Le vendeur les salua et leur parla d’une voix suave.

  — Bonjour, jeunes filles. Que puis-je faire pour vous ?

  — Euh… Pardonnez-nous, mais nous ne faisons que regarder, dit Célia avec une certaine déception. Nous n’avons pas d’argent…

  — Ah ! Vous êtes les créatures des terres oubliées ! Un ami cordonnier m’a informé il y a quelques minutes que vous vous baladiez en ville en compagnie d’Erulyn. Je vous en prie, laissez-moi vous offrir un collier à chacune.

  Les sœurs sourirent et acceptèrent le geste du bijoutier. Ce dernier leur fit don de deux pendentifs en or rouge, l’un serti d’une pierre de lune pour Célia, et l’autre d’un zircon pour Aelia. Elles les attachèrent à leur cou. Comblées, elles remercièrent le généreux vendeur et passèrent à la boutique suivante : un fleuriste. Plusieurs rangées étaient présentées devant le bâtiment, auquel une serre était greffée derrière. Après une discussion tournant autour des flores des différentes régions du monde, le propriétaire leur tendit un pot en bois dans lequel étaient plantées des tulipes violettes avec liserés dorés sur les pétales. Aelia le prit dans ses mains.

  — Elles sont magnifiques ! nous nous en occuperons avec le plus grand soin.

  — Merci beaucoup, cela me va droit au cœur.

  Elles rejoignirent Erulyn et allèrent voir d’autre commerce, comme des éleveurs, des sculpteurs ou encore des scribes. Midi approchait et l’estomac de l’elfe gargouillait.

  — Je commence à avoir faim, pas vous ? Il y a une auberge plus loin, j’y allais avec ma mère lorsqu’elle ne voulait pas manger au palais.

  Aelia et Célia acceptèrent et après quelques minutes de marche, le groupe arriva devant. La bâtisse n’était pas creusée dans un arbre. Un espace ouvert avec beaucoup de tables se trouvait derrière, délimité par une haie parfaitement taillée.

  — Bienvenue à la tulipe bleue, accueillit une serveuse, avant de remarquer sa souveraine. Erulyn, quel plaisir de te voir ! Les personnes qui t’accompagnent doivent sûrement être les humaines dont tout le monde parle. Entrez donc, je pense que nous pouvons vous installer dans l’arrière-cour.

  Elles la suivirent. Les clients saluèrent Erulyn et ses protégées. Elles s’assirent.

  — Il semblerait que l’information sur votre présence dans notre cité se soit répandue comme des feuilles mortes portées par les vents d’automne, rit la dirigeante de Sylvae.

  — Ça en devient presque gênant. Nous n’avons rien de spécial pourtant, prétendit Célia.

  — Disons que beaucoup crurent votre espèce éteinte depuis de tristes événements du passé. Ils sont heureux de voir que ce n’est pas le cas. De son temps, la grande Alyona souhaitait des échanges avec le peuple sans-magie. Hélas, cela ne s’est jamais concrétisé, ou plutôt, cela a abouti à un énorme conflit.

  La serveuse revint pour prendre leur commande.

  — Mesdames, je peux vous proposer notre spécialité du jour : l’éclosion savoureuse. Une venaison de cerf agrémentée d’une sauce à l’Acorus, posée sur un lit de salade et de légumes.

Erulyn fit un mouvement de tête positif, la jeune elfe tourna les talons.

  — Qu’est-ce que c’est, de l’acorus ? questionna Aelia.

  — C’est une épice douce, extraite d’une plante poussant au sud de la région.

  Dix minutes auront été nécessaires pour préparer le plat. La serveuse le déposa au centre de la table et souhaita un bon appétit à ses clientes. La nourriture était parfaitement présentée. Chaque détail comptait et tout semblait disposé dans un équilibre proche de la perfection. La sauce coulait de la viande sans se disperser sur la garniture. Chacune en découpa un morceau et prit ce qu’elles préféraient comme légume. Sans plus de politesse, toutes commencèrent à manger. Contrairement à l’absence de manière lors du diner d’hier soir et du déjeuner de ce matin, Aelia et Célia se comportèrent correctement et se restaurèrent lentement.

  — C’est délicieux, dit Aelia les yeux fermés pendant qu’elle mâchait.

  — Heureuse que cela vous plaise.

  La souveraine et ses invitées purent discuter plus ouvertement. Les sœurs parlèrent de leur village et de ses diverses activités, pendant qu’Erulyn vantait les avantages de vivre ici. Cela dit, elle admirait le mode de vie des humains, se rappelant ce que ce peuple a enduré par le passé.

  Le repas achevé, elles se levèrent de table. Erulyn paya et le groupe s’en alla. Déjà fatiguée, Aelia voulait rentrer au palais pour se reposer. Célia n’avait plus trop d’énergie non plus et exprima ce même avis.

  De retour entre ses murs, l’atmosphère semblait différente. De nombreux murmures coupables entre les visionnaires ainsi que quelques regards en biais à l’intention des Sans-Magies et d’Erulyn. Mal à l’aise, l’elfe et ses invitées se séparèrent pour retourner dans leurs quartiers respectifs. Sur son chemin, la souveraine entendit des échanges aux airs de dispute venant du couloir à sa gauche. Elle s’approcha discrètement et resta cachée dans l’angle.

  — On ne peut tolérer cela !

  — Mais c’est la volonté de la fille de la Grande Prêtresse, nous ne pouvons nous y opposer.

  — Évidemment ! Mais entre la disparition d’Alervina, la menace des Neantys et maintenant ces sans-magies, la situation devient critique ! Les autres, ainsi que moi-même commençons à nous demander si avoir placé cette gamine sur le trône n’était finalement pas une mauvaise idée. Elle n’est pas encore prête !

  Erulyn n’en croyait pas ses oreilles. Elle savait que beaucoup doutaient de sa force, mais pas qu’ils allaient jusqu’à remettre en cause sa légitimité. Ils n’avaient pas confiance en elle. Quoi de plus normal en étant comparée à sa glorieuse mère. Elle l’affectionnait, mais pas la personnalité qu’elle incarnait. La Grande Prêtresse se préoccupait bien plus des affaires entre les peuples fantastiques et du bien de ses sujets, le tout au détriment du bonheur de sa propre fille. Alervina ne lui consacrait que très peu de temps, sans parler de ses longues méditations pour communiquer avec Alyona.

  Tous ces douloureux souvenirs lui firent monter des larmes aux yeux. Elle courut vers ses quartiers et s’enferma dans sa chambre. Elle se laissa tomber sur son lit, le visage enfoui dans ses oreillers. Sa tristesse éclata en sanglots. Elle n’en pouvait plus. Elle souhaitait plus que tout que la véritable souveraine de Sylvae revienne et la libère d’un fardeau de plus en plus dur à porter.

  Adossée à sa porte à l’extérieur, Milys entendait son désespoir. Elle était venue la chercher pour une réunion, mais elle devra trouver une excuse pour la reporter à un moment plus propice.

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