Chapitre 10: Trahison

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Le tumulte des combats ne faiblissait pas. Mais du haut de sa tour de guet, l’homme de garde n’avait pas l’intention d’en bouger. Indifférent au cliquetis des épées, aux cavalcades des assaillants, aux ordres des officiers et aux râles des mourants, il bénissait intérieurement sa chance d’être de garde ce jour là et observait l’étrange brume magique qui lui masquait le spectacle.

« Lorque tout sera fini, se disait-il, les vainqueurs permettront aux vaincus de rejoindre leurs rangs, et je reprendrai ma place… comme si rien ne s’était passé. »

Sa crainte de voir tous les occupants de la forteresse se faire massacrer par une meutes orcs incontrôlés s’était dissipée après avoir entendu des ordres en elfique, et le nom de Wotsaben cité à plusieurs reprises.

Le fils du seigneur détrônait son père et devenait le nouveau seigneur.

Il n’avait plus qu’à le rejoindre… mais seulement après la bataille… juste au cas où…

Puis, l’idée que les elfes pourraient fort bien massacrer toute la garnison et ne laisser la vie qu’aux serviteurs lui traversa l’esprit. Les solariens ont toujours considérés les elfes comme des ennemis ou comme des butins de guerre. Qu’ils profitent d’une alliance pour « régler leurs comptes » n’avait rien d’étonnant.

Alors il se décida à quitter son abri.

Oh, il n’avait pas l’intention de se mêler à la bataille… bien au contraire, il traversa le chemin de ronde en direction du quartier des serviteurs, ou il se débarrasserait de tout ce qui pourrait l’identifier comme un combattant avant de rejoindre les autres serviteurs.

Alors qu’il était à mi-chemin, un cri d’agonie plus fort que les autres le fit sursauter. La brume ne lui permettait pas de suivre la bataille, aussi poursuivi-t-il son chemin, mais un autre cri le cloua de stupeur. Et cette fois, il vit la créature qui l’avait poussé.

Deux hippogriffes et trois elfes venaient de se poser sur les remparts. Le soldat demeura paralysé par la terreur jusqu’à ce qu’une des deux créatures volantes se rue sur lui et lui plante ses griffes dans le corps et lui déchire le visage à coups de becs.

Le plus jeune des elfes donna un ordre d’une voix sévère, que l’hippogriffe ignora superbement, son aîné le retint.

— Non, Thénarion ! C’est inutile… lorsqu’un hippogriffe a saisi une proie, aucune force au monde ne peut le faire lâcher.

Le jeune torildar eut un haut le cœur en voyant l’animal arracher joyeusement les morceaux de chair du soldat.

— Ne détourne pas le regard ! Ordonna Telathir, sans la moindre pitié. Ce n’est pas la première fois que Rougebec dévore un humain, et certainement pas la dernière. Lorsque tu dirigeras tes propres armées avec une telle monture, il faudra t’habituer.

— Oui père ! répondit le jeune elfe avec une grimace de dégoût.

— À présent, rejoignons les nadzirdari, il faut nous assurer qu’ils prennent Hazvorbak vivant.

— Les nadzirdari, murmura Thénarion. Les sylvains ne leur accordent aucune confiance, même si Oxidor Trucidel est le seul à l’avoir exprimé ouvertement.

— Oxidor Trucidel… répéta Telathir. Oxidor « le massacreur »… voilà un surnom qui en dit beaucoup sur ce personnage. Tu devrais mieux choisir tes fréquentations. Bien sûr, il a raison de ne pas leur faire confiance. Mais dans la situation présente, nous sommes obligé de combattre à leurs côtés, tout comme eux sont obligés de combattre avec nous. « faire confiance » et « combattre ensemble » sont deux choses très différentes. Tiens ta baguette dans la main gauche et ton épée dans la main droite et n’oublie pas que, même si ce bâtiment n’est occupé que par des esclaves inoffensifs, il est toujours possible que des hommes armés tentent de nous arrêter.

Les deux toridari entrèrent dans le quartier du seigneur, personne ne tenta de les arrêter.

* * *

« — les prétoriens d’Hazvorbak sont plus coriaces que prévu, et bien plus nombreux. Vous arrivez bientôt ?

Mon fils et moi sommes en route !

Je pensais les nadzirdari plus dégourdi que ça !

Qui parle ?

Oxidor, le capitaine des rôdeurs.

J’ignorais que vous étiez mage… je m’adressais à Telathir.

Ce n’est pas ma spécialité, mais j’ai les bases. De notre côté la garnison est neutralisée : ils se sont enfermés dans les baraquements. Les plus coriaces sont de votre côté.

Ne vous dérangez pas, Telathir et son fils suffiront.

J’arrive quand même, merde! »

La communication télépathique s’interrompit. Oxidor était perplexe… quelque chose n’allait pas comme prévu.

— Il y a un problème, seigneur ?

Tengo le regardait fixement, à quelques mètres de distance.

— À part toi qui me fixe comme un griffon fixe une vache à l’heure du repas, aucun problème, Kishi. Je discutais avec d’autres elfes. Où en sommes nous avec la garnison ?

— Ils attendent la fin, répondit le guerrier avec un sourire. Bientôt, les plus braves offriront leur coup au sabre de Wotsaben et les autres toucheront le sol de leur front. À moins que le Prince ne leur accorde son pardon et les intègre dans ses troupes… nous aurons bientôt une province entière à tenir, et pas assez d’hommes.

— Dans ce cas, ils ne tenteront pas de sortie. Zaragh et Tabor veilleront à la sécurité du Prince. Il tient absolument à être présent à la capture de son père. Quant à toi, reste ici avec les hommes et veille à ce qu’aucun d’eux n’entreprenne un acte désespéré… sortir par les toits et abattre le Prince par exemple. Je dois rejoindre mes bons amis Nadzirdari qui ne peuvent pas finir le travail sans moi.

— Tes « bons amis » ? Interrogea Tengo.

— C’était ironique !

Et sur ces mots, l’elfe sylvain entra dans la demeure du seigneur.

* * *

Le guerrier essuyait consciencieusement les dernières taches de sang de son armure et réajusta le brassard orangé autour de son bras droit. Désormais, il n’était plus un simple Kishi, mais un officier, et s’il est admirable pour un soldat de se présenter devant son seigneur recouvert du sang de ses ennemis, un officier devait être irréprochable.

— Tu es magnifique, Tabor !

— Merci Zaragh.

Entre le guerrier solarien et le mercenaire alvorc, les relations n’avaient jamais été au beau fixe. Tabor méprisait les sangs mêlés en général, et les sang d’orc en particulier et Zaragh était du genre à ne pas oublier les provocations… Tabor s’en était rendu compte trop tard.

— Maintenant les choses vont changer, proclama-t-il d’un ton sentencieux. Je serai bientôt le premier officier de la province et tous ceux qui auront fidèlement servi le Prince Wotsaben seront récompensé… toi y compris, je veillerai à ce qu’on ne t’oublie pas.

— J’apprécie le geste, Tabor… même si pour cela, il faudrait que le Prince t’accorde sa confiance, et les princes sont inconstants. Il suffit d’un rien pour perdre leurs faveurs… Tiens, il reste une vilaine tache rouge sur la maille de ton armure… juste à côté de la plaque.

— Où ça ? Demanda Tabor en réajustant les plaques de son armure.

Le poignard en mithril s’enfonça brutalement dans sa poitrine, déchirant la cotte de maille.

— Juste là, imbécile! ricana Zaragh. À côté de la plaque !

* * *

L’elfe sylvain descendit quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait au repaire d’Hazvorbak. Puis un long couloir sans le moindre éclairage. Il tira du fourreau son épée de mithril dont la faible lueur était suffisante aux elfes pour qu’ils y voient comme en plein jour et avança.

Trois guerriers nadzirdari étaient en faction devant une épaisse porte en chêne. Ils semblaient l’attendre…

— Qu’est ce que tu fais là, Irildar ! On t’a dit qu’on n’avait pas besoin d’aide.

Pour Oxidor, la situation était anormale : les Nadzirdari auraient dû signaler sa présence aux autres par un message mental qu’il aurait perçu… mais il n’y avait rien… comme si quelque sortilège interdisait ce mode de communication.

— Pas de panique, les amis. Je ne suis pas là pour vous aider… je viens juste dire bonjour au petit Thénarion… c’est un bon ami.

— Ah, je le savais, ricana un des garde. Les Torildari sont tous des homos, et les Irildari aussi.

Les trois gardes éclatèrent de rire tandis que le sylvain continuait d’avancer.

Soudain, il s’arrêta et bascula le tronc vers l’arrière, esquivant ainsi un coup de lame qui lui aurait tranché la gorge. Sa contre-attaque s’enfonça dans la poitrine d’un elfe sombre qui s’écroula aussitôt. Les deux survivants se lancèrent à l’attaque.

Ce n’était pas la première fois que l’elfe sylvain affrontait plusieurs Nadzirdari. Ces guerriers étaient de redoutables assassins, mais l’étroitesse du couloir réduisait l’avantage de leur exceptionnelle vélocité et favorisait l’impact de la férocité de l’elfe sylvain qui n’avait pas à craindre d’être pris en tenailles.

Il obligea ses deux adversaires à reculer, l’un d’eux trébucha sur une dalle mal posée et baissa sa garde, Oxidor lui enfonça son épée dans la gorge et se mit à courir derrière le dernier survivant qui avait sagement pris la fuite.

La porte en chêne s’ouvrit comme par magie sur le passage du Nadzirdar et se referma aussitôt.

L’elfe sylvain tendit la main pour ouvrir la porte, mais il se retint en dernière minute… il ne savait pas ce qu’il trouverait derrière cette porte, mais il était certain qu’il ne l’ouvrirait pas avant d’avoir échappé à un nouveau piège.

Il recula de dix pas et incanta un sortilège de force projetée… Ce n’était pas sa spécialité, ni même le sort le plus subtil pour ouvrir une porte, mais un classique « déverouillage de magicien » l’aurait obligé à toucher la serrure…

La porte explosa, fracassée par le sortilège, et un arc électrique s’étendit d’un seul coup dans le couloir.

L’elfe sylvain se jeta sur le côté et poussa un hurlement de douleur. Il avait évité un impact direct, mais son armure en métal avait attiré sur lui une partie de l’énergie destructrice du sortilège de garde.

S’il avait tenté d’ouvrir la porte, ou s’il n’avait pas reculé assez, il serait certainement mort.

— Tu es toujours vivant, Irildar ! ricana une voix goguenarde. Viens nous rejoindre, il ne manque que toi pour que la fête soit complète.

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