La Pilule Rouge et le Pilier
Tu te souviens de ce long message ? Celui que je t'ai balancé comme une vérité indécente, parce que ça me bouffait de l'intérieur. C'était ma façon de te tendre la pilule rouge. Pas un cadeau, non. Juste la réalité. La pure, la dure. Et tu l'as prise. Tu as ouvert les yeux.
Ouais, je sais. On ne choisit pas qui on est, ni la merde qu'on remue. Mais quand le téléphone a sonné, ou plutôt quand les messages ont commencé à tomber, c'était ça. Le genre de bordel que je connais, que tu connais, celui qu'on a déjà dansé ensemble sur cette piste de tango du diable.
J'aurais du m'en douter, bordel, entre le train en retard pour aller foutre mes pieds dans les écumes de l'océan, marcher sur le sable brullant comme le sol de l'enfer. J'ai passé un bon après midi avec notre môme. Mais ce détail du train annonçait ta bouteille à la mer. Encore plus parlant qu'au retour le train avait du retard aussi, et la correspondance annulée. Le temps qu'il fallait pour que je puisse regarder mon putain de portable et de lire ton putain d'au-secour. Elle est arrivée sur ma plage, ta bouteille. Tu avais besoin que ton SOS m'arrive.
Tu t'es retrouvée là, au milieu d'un carnage, à m'envoyer des griffures et des mots qui sentaient la peur. Des phrases qui disaient que ce mec était fou, qu'il te bouffait, qu'il vous bouffait, toi et les gamins. Et tu me l'avais déjà décrit comme ça, avant tout ce merdier. Et moi, quand je ramenais le fruit de notre putain de passion, j'ai vu tes non-dits, ce putain de non verbal, tes doutes dans ta voix, même quand tu t'es demandé si j'avais vu. Bien sûr que j'ai vu. On ne danse pas comme on a dansé sans lire l'autre jusqu'aux tripes.
Quand je ramenais le gamin, je voyais tes yeux. Tu ne voulais pas le montrer, mais ton regard disait tout. Ta posture, aussi. Tu te demandais si je les captais, ces putains de messages silencieux ? Bien sûr que je les captais. Ça fait des années que je lis entre tes lignes, et surtout, entre tes gestes. Et puis le petit. Le votre. La manière dont tu le tenais, au début, son visage caché contre toi, comme un secret, comme si tu le protégeais de tout ça, mais aussi comme un bouclier contre lui, contre son regard, contre sa présence étouffante. Et plus tard, quand tu étais chez ta mère, en sécurité, son petit visage tourné vers moi. Comme une ouverture. Comme si le bouclier n'était plus nécessaire, ou qu'il était devenu un pont. Une preuve que tu relâchais prise, que tu acceptais un autre genre de protection, celle qui ne demande rien en retour, juste la présence.
Et cette fois où il est arrivé, l'autre. Je te parlais de notre rejeton, juste devant votre porte. Et lui, avec sa bagnole dans l'impasse. Il voulait passer, mais il y avait de la place, largement. Mais apparemment pas pour son égo puisqu'il a du se faire entrendre en criant avec son klaxon. Mais je l'avais vu arriver. Je l'ai vu du coin de l'œil. J'ai vu sa manœuvre pour faire chier, pour montrer qui commandait. Il forçait le passage dans cette rue étroite, comme il forçait le sien dans ta vie, dans votre relation, cette putain d'impasse que vous étiez devenus.
Tu m'as dit : "Je crois que tu gênes." J'ai levé les yeux, il était là, à essayer de nous pousser. Et j'ai répondu, sans un putain de tremblement : "Je sais. Et je m'en fous." Ouais, je génais, et ce n'était pas ma caisse qui génait, c'est vraiment moi.
Et là, au milieu de toute la détresse que tu trimballais, un putain de sourire s'est dessiné sur ton visage, lorsque que je t'ai dit "je m'enfou". Pas un grand sourire, non. Juste ce truc qui disait que tu avais entendu, que tu avais compris que je ne céderais pas, que j'étais là, inébranlable face à son cirque. Un putain de moment de clarté dans tout ce brouillard de merde.
Il voulait que je sois jaloux, ce mec. Il voulait me voler ma famille. Il l'a fait. J'avais des raisons d'e^tre jaloux, ou en colère. Je l'étais, mais je me suis refais. C'est le jeu. Les choix de chacun. Mais lui est jaloux de moi, depuis toujours, bien avant tout ça. Et qu'est-ce que j'ai de plus ? Rien. Juste une colonne vertébrale, un calme que le chaos n'éteint pas. J'suis pas le mec des cadeaux, j'suis le mec de l'instant. Le mec qui ne crée pas la merde, qui la remue juste assez pour que la pourriture remonte à la surface. Et tu sais quoi ? Il a même regardé vos photos. Celles où il est à côté de toi. Et il a fini par l'admettre : tu ne souriais pas comme avec nous. Ça, ça valait tous les putains de discours.
Et cette question, balancée comme une grenade dégoupillée : "Et tu m'as largué pour ça, quoi ?" Tu as dit "Oui, je sais", avec ce truc dans la voix qui disait tout. Le regret, la connerie, le prix à payer. La pilule rouge qui fait son effet, là, dans tes entrailles.
Alors maintenant, tu es dans ce putain de train, avec ta gamine et ce petit, à des heures de route de tout ça. Et tu as pensé à moi pour me dire que vous étiez en sécurité, comme tu l'as promi. C'est ça. Le pilier. Pas le chevalier en armure brillante, non. Juste le foutu pilier sur lequel tu peux t'adosser quand tout le reste s'écroule.
Je sais pas si c'est de l'amour qui fait la chamade. Mais c'est un besoin, une tenue profonde. Le putain de fait que tu sois là, avec tes folies, tes désaccords, tes doigts d'honneur et tes rires qui me sortent de ma gueule de bois. Même avec un gamin de plus qui n'est pas le mien. Parce que le grand inconnu, c'est un tremplin, et on ne peut pas continuer à vivre comme si on n'était pas vivants.
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