Chapitre 4
Mes paupières avaient fini par s’embrasser. J’avais fini par sombrer dans le sommeil le temps de quelques heures.
Quand je m’éveillai, la lumière m’aveuglait. J’ouvris les volets sur la ruelle où déjà commençait le roulement du quotidien. Quelques gens allaient et venaient. J’entendais une multitude de voix s’échappant de la place du marché. Les maisons du village m’avaient toujours fascinée. Elles formaient une forêt dense de couleurs, pareilles aux récifs coraliens. Le clocher sonna 10 coups au loin. Il faisait clair, encore plus que le jour précédent. La netteté de l’environnement contrastait avec le désordre qui m’habitait. J’avais besoin de réponses. J’avais besoin d’histoires. Cetta avait ouvert quelque chose de bien trop immense pour que je le taise. J’apercevais les prémices d’une nouvelle aube grâce à elle.
Je m’extirpai de mes draps pour doucement me rendre au salon. Je rejoins Greta qui mangeait déjà. Elle avait mis la radio. Un vieux morceau de B.B king passait.
- Bien dormi ? me demanda-t-elle. Comment lui dire ? Puis même, que dire ?
- J’ai fait beaucoup de rêves, dis-je finalement après un silence. Ma soeur fronça les sourcils. Je n’étais sans doute pas la même que d’habitude. Peut-être Cetta m’avait temporairement enlevé un peu de ma légèreté.
- Ah oui ? Sur quoi ? fit Greta.
- Sur notre famille.
Notre mère entra dans la pièce à ce moment-là. Elle portait un peignoir gris et ses courts cheveux de jais étaient en bataille.
- Raconte, m’encouragea Greta. Je regardai ma mère puis me lançai, quelque peu anxieuse.
- Notre arrière-grand-mère, Cetta, venait me rendre visite et elle me disait… elle a commencé par me parler en énigmes du genre « que comprendre d’un été si l’on ne connait point ses précédents », puis elle m’a raconté son histoire. Elle aurait rencontré un marin, un soir, alors qu’elle se baladait à Portofino.
Maman fronça les sourcils.
- Ils ont vécu une nuit de folie puis le marin a dû repartir à la mer. Cetta était enceinte de Grand-mère. Elle avait trompé son mari. Mais elle était amoureuse et il était parti pour de bon. Il ne lui a laissé qu’un portrait d’elle. Elle s’en est jamais remise. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas su aimer sa fille, et que… (je me raclai la gorge) que ça se transmettait. Qu’elle avait vu grandir notre mère entre un père alcoolique et sa propre fille qui n’a pas su l’aimer assez (je n’osais plus regarder maman), ou du moins qui ne le disait pas. Puis elle m’a dit que l’amour était partout, qu’il se trouvait même dans les silences.
Greta et moi échangeâmes un regard. Nous avions appris à parler avec les yeux. Les siens étaient désemparés. Et soudain, je m’en voulus. Car c’était bien plus qu’un rêve et nous le savions toutes les trois. Notre mère avait les yeux rivés sur le fragment d’océan que la petite fenêtre laissait entrevoir. J’inspirai longuement.
- Maman, dis-je.
Elle tourna la tête vers moi. Une larme tremblait à la lisière de ses yeux. La goutte vacilla et s’écoula sur sa joue avant de s’écraser sur le parquet.
- Je vous aime tant, murmura-t-elle dans un souffle douloureux. Les sanglots grimpèrent les parois de ma gorge. Greta et moi nous levâmes de nos chaises. Et alors, les gestes hésitants, les regards fuyants et se cherchant à la fois, nous nous étreignîmes. Pour l’instant, il n’y avait rien à dire. Juste cette nouvelle chaleur qui me brulait la chair. Cet amour que le soleil ne pouvait pas me donner.
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