Chapitre III - Souillures écarlates

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— Tenez bien le gosse et attendez mon signal

En tête de la petite troupe, Ezra avançait dans la pénombre nocturne. La méfiance accompagnait chacun de ses pas vers le pont qu’il avait traversé plus tôt dans la journée et à sa suite, ils étaient tous là. Chacun de ses acolytes et l’enfant. Ce dernier était bâillonné et ligoté, encadré par Goran et Oïphan qui ne montraient aucune compassion. Ceux-ci ressentaient même un plaisir certain à le tyranniser, du moins, jusqu’à ce qu’une lueur se fit remarquer. La flamme dansante semblait progresser vers eux aux rythmes des pas de celui qui tenait le flambeau. A l’instant même où ils virent ce flambeau, les brigands cessèrent leur avancée, laissant les individus approcher jusqu’à eux, cela devait faire quelques jours que les arrivants marchaient sur ce pont et, pour des raisons de praticité, Ezra leur avait donné rendez-vous du côté est du pont. Stratégie qu’Akom avait estimé nécessaire dans le cas où ils devraient fuir..

— C’est eux ?

— Qui d’autre voudrais-tu que ce soit ? Ta cousine ?

Sur un ton moqueur, bien qu’affectueux, Oïphan répondait au questionnement de Goran. Le jeune homme ne semblait pas être l’esprit le plus vif de la troupe et, sans surprise, son compagnon au comportement plus rustre, ne se gênait pas pour le charrier à ce sujet et ce, depuis bien des années. Une chose légitimée par leur amitié de longue date. Toutefois, une chamaillerie silencieuse prit place dans le dos d’Akom qui suivait Ezra de près et, il fallut bien quelques secondes avant que le doyen ne lève la main pour imposer le calme tandis qu’Eylïn récupérait le petit, craintive qu’ils laissent l’enfant fuir vers les deux individus désormais assez proches. L’un était un homme mûr, probablement dans la cinquantaine et les cheveux grisonnant, tandis que l’autre semblait n’être qu’un adolescent malgré sa grande stature.

— Vous êtes venu seuls ?

Espérant qu’ils soient les seuls présents, Ezra préférait tout de même en avoir le cœur net et, en plus de leur demander confirmation, son regard tentait de discerner une possible silhouette dans le dos de ses interlocuteurs, sans grand succès. La pénombre ne lui permettait pas de voir bien loin et ce malgré le flambeau de l’homme qui se tenait à quelques mètres de lui et ne tardait pas à répondre.

— Evidemment ! Vous me pensez capable de risquer la vie de mon fils ?! Relâchez-le !

— Déposez d’abord les céréales, en douceur. On relâchera votre petit après

Les propos du père semblaient véridiques, toutefois, le Wixend avait bien conscience qu’une fois qu’ils auraient rendu l’enfant à son paternel, ils n’auraient plus aucun moyen de pression pour obtenir ce qu’ils voulaient. Ainsi et, qu’importe la véracité des paroles prononcées, les deux hommes déposaient lentement leurs cargaisons respectives, semblables à celles que le rêveur portait l’après-midi même. Une fois celles-ci au sol, ils reculèrent tandis que les deux acolytes qui se chamaillaient plus tôt venaient les récupérer, avant de revenir tandis qu’Eylïn semblait perplexe.

— Vous trois, partez devant. On vous rejoint

D’abord hésitants, les deux acolytes regardaient Ezra en silence, attendant une confirmation. Finalement, c’était Akom qui la leur apportait, prenant la route sans plus de cérémonies à l’instant même où il comprit que la consigne s’adressait aux porteurs et à lui-même. Ils prirent alors tout trois la direction d’Eraïba, revenant sur leurs pas et laissant les deux amoureux et l’enfant derrière eux.

— Hé ! Vous faites quoi là ? Mon frère !

Le frère aîné de l’enfant ne tenait pas en place et, sans la moindre prudence et malgré le cri de son père qui lui ordonnait de rester là, le sot se précipitait vers les cerbères de son petit frère. Avec vigueur, Ezra glissait la lame de son glaive sur la gorge du petit, stoppant directement la progression de l’intrépide qui implorait de ne pas faire de mal à son cadet. Une scène que le rêveur semblait reconnaître, ceci dit, cette fois il ne s’agissait pas d’un coup monté et la rouquine à ses côtés semblait peiner à se retenir de rire, luttant pour ne pas entacher la crédibilité de son tendre amour.

— Recule. On va attendre une petite heure ici, le temps pour nos compagnons de prendre de l’avance et, si tout se passe bien, vous repartirez en vie, toi, ton père et ton frère, alors je te le redis une dernière fois avant d’en retirer un de la liste : recule et reste tranquille.

— Emral, fais ce qu’il te dit…

Immobile, osant à peine respirer suite aux mots d’Eylïn, si elle ne l’avait pas en face d’elle, elle aurait presque cru qu’il avait subitement passé l’arme à gauche. Le malheureux craignait de condamner son cadet en se mouvant, pourtant, il obéissait docilement, tremblant, des gouttes de sueur perlant le long de son visage crispé tandis qu’il reculait jusqu’à son père.

— Bien, bonne décision. Soyons tous raisonnables, je n’ai pas envie de tuer un enfant

Baissant sa lame, Ezra semblait avoir réussi à imposer un calme durable, il en valait de la vie du petit qui semblait être fortement aimé par sa famille et, il ne mentait nullement : le Wixend ne désirait pas causer la mort de son otage. Le rêveur n’était pas un meurtrier et il n’aspirait nullement à en devenir un, encore moins ainsi. Fort heureusement pour lui et, à sa plus grande joie, cette simple menace avait suffit à assurer une heure paisible malgré la tension pesante qui planait au-dessus de leurs têtes à tous, telle une épée de Damoclès prête à s’abattre sur le premier qui viendrait à commettre une faute. Ce n’est qu’après cette heure silencieuse que les deux bandits restants s’étaient décidés à bouger. Se regardant, ils commencèrent à reculer. Eylïn fut la première à prendre le chemin du retour, s’éloignant. Ezra lui, patienta une dizaine de minutes.

— Bien, je vais le relâcher, si vous nous suivez, vous mourez, entendu ?

Quelques secondes, un mouvement d’approbation du père de l’enfant et, Ezra relâchait le frêle enfant alors que son dernier gardien reculait, marchant dans les pas de ses acolytes sans quitter des yeux la famille désormais réunie. Quelques pas, encore quelques pas et Ezra se tournait, persuadé que tous avaient bien compris où étaient leurs intérêts. Pourtant, à peine était-il de dos que des pas lourds se firent entendre dans son ombre, des pas pressés. Dans un geste vif, sa main droite saisissait la garde de son glaive alors même qu’il pivotait sur son pied gauche. La suite était allé si vite, même lui n’avait pas eu le temps de tout contrôler et son réflexe fut guidé par l’adrénaline. Ezra n’avait jamais eu à se servir de son arme et ce malgré l’enseignement prodigué par son père et Hay’ïm, tous deux conscients que les routes pouvaient être dangereuses. Goutte après goutte, ce liquide s’écoulait le long de sa lame avant de s’écraser sur les pierres grises formant le pont d’Azgûl. Cette lame qui lui semblait alors si lourde, aussi bien physiquement que moralement. Tremblant, le rêveur regardait ses mains ferme sur la garde, relevant la tête, il croisait le regard du garçon, du malheureux crétin qui s’était précipité poignard en main pour se rendre justice, le pauvre adolescent qui peinait à respirer devant Ezra qui semblait tétanisé, effrayé par ce qui venait de se passer, ce qu’il venait de faire. Dans une lourdeur écrasante, ses genoux tombèrent au sol alors que sa victime s’effondrait devant lui, la lame quittant sa chair et laissant une plaie béante par laquelle s’écoulait ce précieux liquide carmin. Son visage penchait au-dessus de la malheureuse victime, il prenait tout juste conscience de ce qu’il venait de faire, de ce qui se passait en ce moment même. Plus rien n’avait de réelle importance, pas même son anonymat mise à mal alors qu’il baissait son masque afin de prendre des bouffées d’air frais, suffoquant sous la panique alors qu’il saisissait les épaules du jeune homme, le secouant légèrement dans un espoir vain de le ramener parmi les vivants.

— Petit ! Oh ! Petit ! Rouvre les yeux… Je ne voulais pas, je t'ai dit… Respire !

Il ne savait que faire. En proie à la panique, jamais il n’aurait voulu en arriver là et dans un désespoir total, il ne cessait de le secouer, de remuer la dépouille tandis qu’il ne remarquait pas tout de suite la vive approche du patriarche et de son jeune fils qui ne faisaient preuve d’aucune discrétion. Les pas du vieillard étaient lourds et pleins de haine, de colère. La rancoeur et la tristesse se lisaient sur le visage de celui-ci alors qu’il s’agenouillait auprès du corps de sa progéniture, se lamentant dessus en le serrant contre lui. Ezra aurait aimé prononcer quelques mots, mais sa voix restait muette, il n’y parvenait pas. Tremblant, il se redressait et les scrutait. Sous le choc, la famille du défunt ne lui accordait aucune attention, ils pourraient vouloir se faire justice, se venger, se serait légitime, ils le voudraient sans doute, mais dans l’immédiat, ils étaient courbés au-dessus de la dépouille, larmoyant, sanglotant, à la simple vision de cette scène, le Wixend sentait son coeur se serrait dans sa poitrine. Il ne pouvait s’empêcher de suffoquer à nouveau, de ressentir cette pression qui venait accabler son corps et son esprit. C’est dans le but d’y échapper qu’il commençait à reculer, cherchant à s’en éloigner, cherchant à fuir son crime. Pour cette même raison, il leur tourna subitement le dos, ne prenant pas la peine de récupérer son arme, il se mit à courir. Il s’empressait de détaler tel un lapin apercevant les cabots des chasseurs.

Que pouvait-il faire de plus si ce n’est filer, prendre ses jambes à son cou comme si sa propre vie était en jeu. Il tentait inlassablement de se convaincre que tout ceci n’était pas de sa faute, pourtant ce sont bien ses mains qui tenaient le glaive. Ces mêmes mains qu’il n’osait pas regarder, celles-là même qui étaient encore couvertes du sang du pauvre enfant. Pourtant, à l’instant même où ses pupilles se posèrent sur ses paluches écarlates, ses jambes faiblirent et il s’écroulait à genoux tandis qu’il hurlait de rage, un cri qui se faisait déchirant, empli d’un désespoir et de remords évidents. Se jetant au sol, le visage contre la pierre, les mains derrière son crâne et le dos courbé, il restait ainsi quelques minutes. Les yeux clos, ressassant maintes fois ce geste, ces quelques secondes qui avaient suffit à mettre fin à une vie tout en changeant trois autres destinées tandis qu’il ne cessait de se maudire et d’en appeler aux dieux pour réclamer un pardon qui saurait l’apaiser. Pourtant, rien n’y fit, son coeur lui semblait plus douloureux, ses épaules lui semblaient plus lourdes et ses mains lui semblaient plus douloureuses et tandis qu’ill se redressait avec vigueur et colère, il hurlait en direction du voile nocturne, injuriant les mêmes dieux qu’il venait d’implorer, maudissant le destin qui lui avait réservé un tel sort. S’approchant du bord du pont, son regard se baissait vers l’océan en contrebas. Comme la veille, les vagues venaient s’abattre contre les piliers de l’édifice et, se laissait porter par celles-ci lui paraissait toujours aussi simple, bien plus envisageable cette fois. Pourtant, au moment où il s’apprêtait à faire le dernier pas après une grande inspiration, une main venait saisir le col de sa chemise et le tirait vers l’arrière avec force, le faisant chuter et le contraignant à s’asseoir sur le sol.

— Tu fais quoi là ?! Reprends toi !

Eylïn était là, debout face à lui, semblant essoufflée. Elle le regardait de toute sa hauteur tandis que lui, encore sous le choc, ne savait ni que dire, ni que faire. Durant de longues minutes, il resta silencieux et elle le contemplait, attendant une quelconque explication de sa part. Pourtant, aucun mot ne vint rompre le silence et les prunelles d’Ezra s’étaient chargées de larmes qui ne cessaient de s’écouler le long de son visage et en remarquant cela, la demoiselle s’était agenouillée face à lui, saisissant le rêveur et se liant à lui dans une étreinte chaleureuse et réconfortante.

— Aide moi Eylïn, aide moi à l’enlever…

D’une voix en proie à la détresse, le Wixend implora l’aide de sa partenaire alors qu’il restait immobile. A ces mots, elle retirait délicatement la tunique tachée, mettant à jour le torse de son aimé. Dans un silence total, elle saisissait une outre à laquelle elle ôtait le bouchon. Dans un mouvement doux, elle attrapait le tissu qui lui servait de masque et y déversait un peu d’eau contenu dans l’outre avant d’en verser également sur les mains de son compagnon. Ce n’est qu’après cela qu’elle saisissait les mains de celui-ci et commença à les nettoyer délicatement, consciente de ce qui s’était probablement déroulé entre lui et les autres. Centimètre après centimètre, elle effaçait toute trace de ce malheureux incident. De ses mains, elle remonta jusque ses épaules, glissant sur son buste pour en retirer les dernières traces. Ezra ne bronchait pas, il la laissait faire, il la laissait pardonner son acte et son regard ne quittait à aucun moment le visage de sa tendre dulcinée.

Envoûtées, sous ce ciel étoilé, les deux âmes amoureuses ne sûrent guère se séparer et à défaut d’y parvenir, ils se rapprochèrent, leurs nez venant à se rencontrer. Ce n’était là qu’un prémice, un préambule à une toute autre danse. Dans les minutes qui suivaient, leurs lèvres se scellaient et une valse débutait. Cette fois, personne ne saurait les stopper et les mains se firent baladeuses, audacieuses. Ignorantes des dangers, les curieuses impertinentes se glissaient sur les formes de l’un et de l’autre, les mettant à jour peu à peu, retirant toutes formes de tissu afin d’offrir à leurs mirettes la vue qu’ils ne désiraient que trop. Dans une insomnie insolente, narguant la lune et les étoiles, se targuant de n’être guère endormis, les deux êtres se perdirent dans un rodéo au cours duquel chacun s’essayait en cavalier. La lutte était acharnée, les minutes étaient ardentes et les deux éveillés n’en étaient que plus enflammés. Virevoltant au gré de leurs volontés, aucun n’envisageait de s’avouer vaincus et tout était bon pour faire céder l’autre. Cette bataille comme toutes les précédentes, ne connut pas de vainqueur hélas et lorsque vint le grand final, les deux oiseaux de nuit semblaient tous deux exténués et pourtant satisfaits. Dans un dernier mouvement, ils s’étaient entrelacés, s’offrant à Delaï dans un sommeil imposteur, qui n’était que somnolence, pour les quelques prochaines heures. Ainsi, lorsque vint l'aube, les impétueux danseurs avaient déjà quitté la scène, ne laissant derrière eux qu’un souvenir invisible que seuls les flots et les étoiles pourront conter silencieusement durant les décennies à venir.

— Eylïn ! Ezra ! Que Loïphan soit béni, vous êtes vivants, on a entendu un hurlement et on a imaginé le pire… Il s’est passé quoi là-bas ? Où es ta tunique Ezra ? Vous avez fait des folies, sérieusement ?

Oïphan, dans une exclamation de joie et de curiosité nullement dissimulée, s’était précipité vers les deux arrivants. A en croire le feu tout juste éteint, les trois hommes avaient campés ici pour la nuit et il ne serait pas surprenant de penser qu’ils avaient fait demi-tour en cours de route, probablement à l’instant précis où Ezra avait poussé ce cri au cours de la nuit. Goran, encore assis sur un tronc mort haussait simplement les épaules en s’assurant que les dernières braises soient éteintes, quant à Akom, il serrait déjà sa fille dans ses bras. Ezra n’osait qu’à peine imaginer ce qu’avait pu ressentir le vieillard en ne les voyant pas arriver.

— On a eu…

Eylïn, après un fugace regard vers son tendre amour, semblait prête à parler, pourtant, levant la main devant le visage de celle-ci, Ezra inspirait longuement avec d’expirer le tout. Les yeux clos, lorsqu’il les rouvrit, son visage affichait un air grave.

— Le frère aîné de l’enfant s’est précipité sur moi. J’étais de dos et dans la précipitation j’ai brandit le glaive. Il s’est empalé dessus. C’est… Ce n’était pas voulu, j’ai eu un instant de panique et la seconde d’après, il relâchait son dernier souffle.

Incapables de trouver les mots à prononcer, tous se turent. Que dire de plus, un enfant était mort cette nuit et même si la majorité ne pensait pas Ezra fautif, sa responsabilité dans tout cela était indéniable. Malgré cela, suite à un soupir mêlant tristesse et compassion, Akom déposait sa main ridée sur l’épaule du coupable, le secouant légèrement d’une façon qui se voulait réconfortante.

— Je vois. Je comprends mieux ton accoutrement, nettoie ta tunique, quand c’est fait, toi et Eylïn reprenez la route pour Er’aïba; on ne doit pas nous voir ensemble.

Le vieillard n’avait que trop bien compris qu’il n’était pas nécessaire d’en parler plus, qu’Ezra lui-même se maudissait déjà de ne pas avoir su retenir son bras. Un sentiment alors partagé de tous, aucun ne semblait prompt à accabler le Wixend et dans une ambiance pesante, les deux nommés chargeaient sur leurs dos les cargaisons de minerais de la veille dès lors que la tunique du jeune homme fut nettoyée de ces tâches révélatrices. Nettoyées ou du moins qu’elles soient partiellement gommées. En vérité, elles ne semblaient pas vouloir disparaître et bien qu’il faille insister pour la percevoir, une certaine trace persistait malgré les frottements frénétiques et têtus du rêveur qui semblait plus que tout vouloir effacer cette preuve, censurer, éclipser cette souillure qui marquait désormais aussi bien la tunique que son âme. Des efforts vains hélas.

— Ezra, veille sur elle, compris ? On va se revoir, ne l’oublie pas.

La remarque d’Akom fit naître un léger sourire sur le visage du concerné qui disait au-revoir à Goran et Oïphan dans une accolade amicale. Pour eux, la chance tournait et bien que leur acolyte ait commis un acte terrible, ils possédaient des ressources qui se vendront à prix d’or sur le marché de la capitale; que pouvaient-ils espérer de plus. Saluant l’ancien d’un geste de la main, Ezra hochait la tête en signe d’affirmation tandis qu’Eylïn mettait fin à cette étreinte paternelle pour rejoindre son amant. Le regard tourné vers l’horizon, ensemble, ils se mettaient en route vers Er’aïba.

Sans la moindre surprise, le jeune homme n’avait eu de cesse de fuir ses propres pensées, de chercher à occuper son esprit dans le seul but de ne pas s’infliger les visions de son crime. Le soir, incapable de dormir, il errait sans but autour du campement avant qu’Eylïn ne l’incite à s’allonger à ses côtés. Il s’allongeait avec appréhension, les cernes sous ses yeux dénonçaient sans difficulté un sommeil difficile, peut-être même inexistant ces derniers jours et ce malgré les tendre attention de son aimée. Ce soir-là ne faisait point exception. Pas après pas, il vagabondait entre les bois, déambulant entre les arbres avec une démarche lourde et porteuse de maux. Ses mains glissaient le long des pins, caressant les écorces du bout des doigts. L’obscurité ne lui permettait pas de voir bien loin et ce malgré la lune qui brillait dans le voile nocturne et dont seul quelques bribes de lumière parvenaient à percer l’épais rideau que formaient les hautes branches.

C’est dans cette noirceur qu’il l’avait remarqué, cette silhouette allongée au sol. L’air était vicié, une senteur fétide se propageait rapidement dans l’atmosphère. Dans une panique soudaine, Ezra cherchait à revenir sur ses pas, la terreur se glissait bientôt en lui et qu’importe où son regard se posait, il la voyait, cette silhouette. Cette dépouille qui le hantait dans chacun de ses songes. Il tentait. Fuir. Fuir coûte que coûte, quitte à se couvrir d’ignominie. Il courait, filait comme le vent entre les arbres qui semblaient se mouvoir dans son délire, cherchant à le saisir, à le capturer. Il ne cessait de se faufiler sous leurs assauts, rien n’y faisait, la dépouille était là, encore et toujours là.

— Disparais !

Dans un cri semblable à une détresse, le fuyard essayait tant bien que mal de faire décliner cette silhouette, de dissiper cette ombre qui planait derrière lui. Une tentative qu’il pensait vaine et semblait en mesure de lui montrer jusqu’où le désespoir pouvait le conduire. Pourtant, un sursaut venait le saisir. Il eut cette sensation de chuter dans le vide avant d’être brusquement ramené à la réalité.

— Ezra ! Ezra ! Rouvre les yeux, je t’en prie… Réveille toi…

Les yeux clos, la voix d’Eylïn résonnait et semblait le sortir de sa torpeur tandis qu’une douleur insoutenable venait le saisir au niveau de l’arcade gauche. Difficilement, il venait poser sa main dessus, constatant les faits avec effroi. Il se trouvait incapable de dire pourquoi ni même comment, mais il avait saigné, pour preuve, la présence de ce précieux liquide carmin sur sa main qu’il venait alors reposer sur le sol avant d’ouvrir les yeux. Devant lui, ou plutôt au-dessus de lui, Eylïn sanglotait à chaudes larmes et ne semblait pas avoir remarqué son retour.

— Qu’est-ce que…

La voix du Wixend eut un effet immédiat sur la demoiselle qui relevait la tête et venait se serrer contre lui. Elle le pensait sans doute déjà condamné. Posant son index sur la bouche du blessé, elle l’incitait à se taire, craignant qu’il ne s’épuise et perdre à nouveau connaissance.

— Chut… j’ai eu si peur. Tu t’es mis à courir en me voyant avant de t’assommer contre une branche et de t’écrouler.

Récit invraisemblable, cette vérité lui semblait être si surprenante. Tout ceci n’était donc qu’un autre de ses songes macabres et il ne parvenait pas à s’y faire. Tout lui avait paru si réel, si consistant et malgré tout ça n’avait été que le fruit de son âme torturée par sa conscience et ses remords.

— Tu peux pas le garder pour toi… Ce n’est pas ta faute, il s’est jeté sur toi, ça va te tuer si tu persistes comme ça. Ezra, tu m’as fuit…

Aux yeux d’Ezra, le constat était aussi effrayant que ce qu’il venait de vivre. Eylïn avait raison et sur tous les plans. Le regard larmoyant, il glissait sa main sur celle de la rouquine, la caressant tendrement.

— Eylïn… pardonne moi, je n’arrive pas à me débarasser de ce poids. J’ai commis l’irréparable, c’était qu’un gosse à peine adulte… un gosse…

Le Wixend tentait tant bien que mal de contenir des sanglots insistants, pourtant certaines larmes parvenaient à se frayer un passage et venaient couler sur son visage. A cet instant le pauvre homme semblait n’être qu’un enfant apeuré, attristé, finalement, il semblait être humain. Pleine de promesse et de réconfort, la nuit fut courte pour eux, un tissu autour du crâne afin de soigner sa plaie, Ezra s’était finalement endormi aux côtés de sa dulcinée qui en avait fait de même, épuisée par les émotions. Il n’était donc pas surprenant que tout deux ne rouvrirent les yeux que tard dans la matinée, reprenant la route qu’à l’heure où le soleil était à son zénith. Fort heureusement pour eux, ils virent bien vite la cité se dessiner au loin. Elle était là, imposante, encerclée de ces hautes murailles de pierres grises présentes depuis plus d’un siècle. Elle paraissait impénétrable et de mémoire d’Homme elle l’était. Les escarmouches entre groupuscules par le passé n’avaient jamais permis une conquête de cette cité qui avait toujours su rester neutre et solidement défendue par ses occupants. Ezra ne le nierait pas, la cité était éblouissante. Plus encore quand il la voyait de ces hauteurs d’où il pouvait voir l’océan combler l’horizon à perte de vue. Un regard vers Eylïn, elle hochait la tête avec un sourire émerveillé. C’était la première fois qu’elle se rendait à Er’aïba et elle ne parvenait plus à en détourner ce regard empli de moult étoiles, pétillant d’un émerveillement enfantin. Aucun d’eux ne se doutant nullement de ce qui les y attendait.

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