Ruines

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Une nouvelle fois, la familiarité de l’environnement échappe à la perception. Cyclopéennes, majestueuses, drapées d’une aura de mystère antique, les statues régentes des lieux observent votre curieuse venue d’un regard impalpable. La pression de leur attention, gondole le sol pierreux et lézarde la haute voûte arrondie. Ce qui ressemble à un immense mausolée, bercé par l’obscurité, prend peu à peu une autre forme. Une nouvelle apparence plus contemplative, sans jamais ne représenter une quelconque menace. De hautes colonnades vous entourent, striées d’arabesques ébènes, alors que vous restez là, sur l’autel sacrificiel, abasourdi par les proportions invraisemblables des lieux.

Aucune âme ne semble plus vivre ici. Le mausolé, si tant est que cela en soit un, est désert depuis des lustres, des cycles d’existence. De fines particules de poussières fauves se déplacent dans l’air, comme mues d’une volonté propre. Si aucun bruit ne résonne, le silence n’est pour autant présent. En fait, l’endroit paraît envahi d’un étrange son guttural. En dépit de l’étrangeté de cet environnement inconnu, vous ne vous sentez pas menacé. Néanmoins, vous avez tôt fait, passé la surprise, de quitter cet endroit probablement maudit par une entité supérieure.

Une montagne de corps. Sur le parvis goudronné, fumant dans l’humidité ambiante, subsistent tristement les restes d’une civilisation dominante. Un assemblage organique de chairs, de membres osseux ou fibreux. Mélange d’armes poisseuses et de tristes entités, victimes de leurs propres démons. Leur peau noirâtre est striée de marquages ésotériques, scandant l’appel d’une créature au moins aussi ancienne que la gravité. Quoi qu’il se fût passé ici, leur prophète avait une vision bien différente de la paix, l’harmonie et la promiscuité des espèces du monde vivant.

En faisant le tour de l'amoncellement en putréfaction, vous apercevez une trainée sombre s’étirer jusqu’au bout de l’avenue ravagée. Si elle mène vers un potentiel auteur de pareille oeuvre d’art morbide, vous n’avez aucune envie d’en connaître l’apparence, ni d’en faire la rencontre. Seul et sans attache vous vous retournez pour contempler l’espace que vous venez de quitter.

Dieux… Sans doute est-ce là le mot le plus judicieux qui vous traverse l’esprit à la vue de l’abomination qui surplombe votre frêle enveloppe charnelle. Semblable à une ancienne cathédrale des confins lovecraftiens, l’édifice cauchemardesque présente un mélange de roches noires aiguisées et de liquides suintant entre ses cicatrices, s’élevant vers les profondeurs du vide céleste. Jusqu’à présent mue par la curiosité des rêves et des cauchemars, la peur envahit votre organisme, soumis à la pire des manifestations de l’esprit. Car cette église infernale, cette construction des enfers originelles vous fixe. Au fond des ténèbres, au-delà de la sphère du réelle un oeil tout grand ouvert vous scrute, sonde votre âme tourmentée.

Cet édifice n’est pas hanté ou maudit, mais bien vivant. Immobile, enraciné dans le sol crevassé, la chose domine les environs. En son coeur, frappe en cadence la colère trop longtemps contenue, trop souvent écrasée, d’esprits revanchards, hurlant aux astres une fureur millénaire.

Vous fuyez. A votre manière, vous fuyez ce lieu maudit. Si issue il y a, vous êtes prêt à la saisir quelle qu’en soit le prix. La civilisation mathusaleme qui gouvernait les mers et les terres n’est plus. Sans avoir parcouru plus de quelques kilomètres, vous avez la certitude qu’aucun être vivant ne peuple cette planète ou ce purgatoire. Déjà, votre esprit s’égare. Le sol se transforme en chair putréfiée, le ciel vide et noir se pare de nuances écarlates. De larges gueules ouvertes, à la langue râpeuse, s’ouvre dans le sol. A mesure que vous restez en contact avec le moindre élément de cet endroit, à chaque bouffée d’air inspirée, votre raison vous quitte.

Alors vous fuyez. Vite, toujours plus vite. Vous fuyez jusqu’à parvenir au sommet d’une falaise escarpée. Le sol est si lointain depuis le pic huileux. Il semble onduler comme une marée brune et polluée, ou déformé par d’obscènes vers monstrueux, avalant la terre de leurs gueules immondes. Pourtant, c’est là votre seul échappatoire. Un saut de la foi. L'innocence prendra-t-elle le pas sur l’Enfer ? Un simple pas suffit pour le savoir. Ce pas, si terrifiant soit-il, vous l’accomplissez, car derrière vous, résonne les grattements d’obscures manifestations cauchemardesques. En vous retournant, vous saviez que votre trépas vous tendait ses bras rougeoyants.

Et vous tombez. La chute est longue. A mesure que le sol se rapproche, vos membres s’amincissent. Vous ne rapetissez pas non. Vous êtes juste victime du temps sans maître. La folie nimbant les lieux a eu raison du bourreau le plus ancien du monde vivant. Vos membres se racornissent, votre peau se flétrit. La vue s’obscurcit tandis que la chaleur du sol souffreteux irradie sur votre visage émacié. Celui-ci s’ouvre en deux, telle une bouche démoniaque, dont les lèvres gercées de croûtes granuleuses raclent la roche de la falaise en quête de subsistance.

L’enfer est peut-être les autres, mais ici, il n’y a qu’un autre. Cet Autre est l’astre lui-même, celui que vous avez foulé de vos pas et souillé de votre esprit rêveur. Un Autre qui a fini par dévorer ses enfants, vaporiser les lois de la physique élémentaire, ravager le monde immatérielle d’une rage débordante. Cet Autre-ci ne connaît aucune pitié, ni merci. Il n’a maintenant qu’un seul but : vous avaler vous aussi.

Juste avant de fermer les yeux face à ce funeste destin, vous ne pouvez ignorer la vue des crocs acérés sortant des profondeurs. Vous aimeriez crier bien sûr, décharger votre terreur d’un long son perçant, mais votre bouche est scellée. Plutôt elle n’est plus. Votre visage fripé s’érode, disparait pour ne laisser qu’une peau lisse où commence à germer les escarres de la folie. Impuissant vous tombez dans les entrailles du monde en décomposition…

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