Matin

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- La pause est finie ! Allez tout le monde, on retourne bosser. Cynthia éteins moi cette clope et toi Sébastien… Sébastien ? Oh Sébastien !

- Que… quoi ?

- Tu t’étais endormi vieux. Merde, ça arrive souvent ces-derniers temps. T’as vu un docteur pour tes troubles de narcolepsie ?

- Je ne suis pas narcoleptique, putain ! J’ai juste du mal à dormir en ce moment à cause de Laura. Tu sais comment c’est n’est ce pas ?

- Non, je ne crois pas non.

- Eh bien tu devrais. Ca t’éviterait de faire des jugements hâtifs sur mon état. Ma fille n’arrête pas de s’éveiller toutes les deux heures chaque nuit. Je n’en peux plus !

- Mes condoléances, malgré tout je ne vais pas te secouer l’épaule tout les quarts d’heures pour vérifier si tu ne ronfle pas sur ton écran. Tu veux un congé ?

- Tu sais bien que j’adorerais… mais c’est pas le moment. On a encore tout le forum à coder et tu ne peux pas te permettre de te passer de qui que ce soit, même moi.

- Ca, c’est de la motivation ! Allez on retourne bouffer du code. Tout le monde, au boulot !

Je m’étire en poussant un profond soupir. La journée n’en finit pas. J’ai l’impression de passer ma vie entière dans ce bureau, alors qu’il n’est même pas midi. Depuis plusieurs mois, mes nuits étaient au moins aussi longues que mes journées. Les élans émotionnelles de ma fille érodaient chaque jour ma patience un peu plus. Sans Marguerite, mon épouse, j’aurais probablement déjà passer mes nerfs sur quelqu'un. Attention, je ne dis pas que j’extériorise toute mon aigreur sur ma femme. Non, je dis simplement qu’elle est ma soupape de sécurité.

Enfin, soupape ou non, ma tête est en ce moment sur le point d’exploser. Sur mon écran, les lignes de code se succèdent. Plus je regarde ce défilé de caractères superficiels, plus j’ai envie de tout balancer par la fenêtre. Comment ma vie avait pu devenir un tel traquenard ? A quel moment avais-je eu la très mauvaise idée de quitter l’exploitation agricole familial pour me lancer dans le digital marketing ?

Tss… Je savais à quoi m’attendre pourtant. Adieu la vie au grand air, bonjour celle au bureau… pardon à l’open space, respirant la rigolade apparente, mais diffusant les fières valeurs de la délation républicaine. Ici tout n’est que sourire de façade, tape racoleuse et tutoiement hypocrite. Dès que l’occasion se présente, mes collègues, que dis-je collaborateurs, se pâment devant les managers pour gratter un congé, quelques centimes ou des mots doux.

Heureusement Stéphane, le PDG, m’a à la bonne. Il faut dire que nous avons étudié dans la même université et avant ça, partagé notre amour commun pour la philatélie sur les bancs du lycée. Notre TPE avait d’ailleurs mis sur le cul le jury de l’époque, un vieux garçon grisonnant et une mégère peu amène. Bref, Stéphane avait parfaitement conscience de la teneur des courbettes de ses employés et, il faut le dire, se torchait complètement avec leur hypocrisie. A l’inverse, la familiarité sincère qu’il entretenait avec moi avait rapidement attisé la jalousie des autres “collaborateurs”. Pas en face bien entendu. Par contre sur Twitter il se lâchait tous les soirs. Enfin c’est ce qu’on disait, je n’étais pas sur cette horreur, ce qui sans doute les exaspérait davantage.

Quoi qu’il en soit, j’avais maintenant les deux pieds dans la start-up nation et je n’avais aucune intention d’abandonner dans l’immédiat. Reste que toute la superficialité de mon environnement me lasse. Je suppose… A bien y regarder, je n’y avais pas vraiment fait très attention jusqu’à présent. L’architecture rondouillards, faussement futuriste, bourgeonnant de plantes artificielles aux quatre coins de la pièce ne m’avait jamais marqué jusqu’à présent. Si je prenais le temps de réfléchir, j’avais l’impression que quelque chose clochait, mais quoi ?

Je ne sais pas pourquoi, mais là tout de suite, en cet instant précis, tout mes souvenirs semblent se fausser. Mon passé devient flou, au contraire de mon avenir qui me semble tout tracer. Un bref moment, j’ai la nette impression d’entrevoir ma mort. Un vieux souvenir se rappelle à moi. Une réminiscence du passé qui pourtant se trouve dans plusieurs années. Qu’est ce qui… Qu’est ce qui se passe ?

Sur le moment, mes belles années de l’adolescence m’ont sauté au visage. Maintenant, elles s’estompent comme un… comme un rêve ? Oui c’est cela, un rêve long, sur lequel ma vie semble s’écouler tranquillement, comme mue par une force extérieure, maitre de mon destin, malgré toute ma volonté pour m’y opposer.

- Sébastien !

Je sursaute. Elodie, ma collègue d’infortune venait de claquer ses doigts à deux centimètres de mon visage. Je cligne des yeux, sortant de ma trance. Mon regard s’accroche sur la pendule digitale du bureau : 12h17. Comment était-ce possible ? On revenait tous de notre pause cigarette il n’y a même pas cinq minutes !

Je frotte mes yeux, avant de me masser le crâne. Je dois vraiment aller consulter un médecin pour ces problèmes d’attention, quelque chose ne tourne vraiment pas rond chez moi ces-derniers temps ; d'autant que c’est n’est pas la première fois qu’une telle chose arrive. Tout de même, je me suis simplement posé quelques questions sur…

- Oh tu m’écoutes ?! Putain, mais qu’est ce qui t’arrives en ce moment ? J’ai l’impression de parler à un mur.

- Excuse-moi, j’étais… dans la lune je suppose.

- Tu supposes ?

- Oui.

- … Eh bien, redescends sur Terre Apollo. J’aurais besoin que tu retouche les méta-données de l’en-tête de la page de contact. Louis a modifié le widget des langues et il y a tout qui déconne depuis cinq minutes. Donc s’il te plaît concentre toi un peu.

- Je m’en occupe. Et Elodie ?

- Quoi ?

- Je… Ca va te paraître bizarre, mais… qu’est ce que je faisais à l’instant ?

- Comment veux-tu que je le sache ? T’étais en train de coder une partie du forum je suppose. T’avais l’air à fond dedans.

- Donc… j’étais en train d’écrire un truc ?

- Ou… Il y a quelque chose qui ne va pas aujourd’hui Sébastien ?

- Étrange… Non, tout va très bien. Je vais très bien et nous allons très bien. Je m’occupe des contacts tout de suite.

Elodie semble sur le point d’ajouter quelque chose mais s’interrompt. Je sens son regard peser sur mon épaule, alors que j’ouvre une nouvelle fenêtre sur mon écran. Elle finit par hausser les épaules, puis s’éloigner en marmonnant un camouflet que je n’ai malheureusement pas le plaisir d’entendre. De tous les collègues possibles, pourquoi suis-je tombé sur Miss Rognon ? Son humeur massacrante perpétuelle avait le chic pour la rendre détestable auprès de n’importe qui. Seules ses compétences informatiques exceptionnelles légitimaient sa présence toxique dans les locaux de la boîte.

Je soupire de nouveau pour me reconcentrer sur mon travail. Que c’est ennuyeux… Seigneur Dieu, il faut vraiment que Louis arrête de retoucher tout ce qui passe devant sa souris. Je me demande quelle excuse il a bien pu trouver pour remanier tout le code de son widget. Je sens que j’allais encore faire des heures sup’ à cause de ce crétin…

Attendez un petit instant… La monotonie reprend son cours, mais je viens quand même d’avoir une sorte de black out de plusieurs heures ! Je n’ai pas d’explication à ce qui vient de se passer et plus je me creuse la tête pour me rappeler de quoi que ce soit, plus mon environnement me paraît brumeux et plus ma tête me paraît lourde. Si lourde qu’elle bascule contre mon clavier. Je m’endors ou quoi ? Ah et c’est quoi ce foutu bruit ? On dirait le moteur d’...

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