LA FUGUE

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— Emmène-nous à Fatla, dit Lydia à Jean, le chauffeur, d’une voix déterminée. Nous devons quitter cette ville.

Jean hocha la tête et accéléra. Ils prenaient la route de l’incertitude, le vent de l’angoisse soufflant derrière eux. Le chaos régnait dans les rues de Pétion-Ville, mais cette fois, c’était elle qui fuyait — emportant avec elle ses derniers espoirs, ses rêves brisés, et ses enfants recroquevillées sur la banquette arrière.

La voiture s’enfonça dans des rues de plus en plus désertes. Les quartiers traversés portaient les marques de la colère : vitrines fracassées, barrages de fortune, gaz lacrymogènes dans l’air.

Mais l’esprit de Lydia était ailleurs. Le vacarme de la ville lui semblait lointain. Une seule pensée l’obsédait : Fatla.

Jean ralentit devant l’entrée de l’école. Les phares de la voiture balayèrent la façade sombre. L’école était fermée. Aucune trace de vie. Aucun cri d’enfants.

Le silence de l’endroit étouffait même les sirènes au loin. Tout semblait suspendu, comme si la ville entière retenait son souffle.

Lydia descendit précipitamment du véhicule, tenant ses filles par la main. Son cœur cognait contre sa poitrine.

Elle s’approcha du portail, scrutant l’ombre, espérant voir surgir sa fille.

— Peut-être qu’elle m’attend… peut-être qu’elle est encore là…

Elle frappa à la porte, puis l’ouvrit brusquement. À l’intérieur, tout était figé : des papiers jonchaient le sol, des bancs renversés, un silence épais, presque sacré.

Elle appela, sa voix se brisant dans l’écho du couloir désert :

— Fatla ! FATLA !

Elle sortit son téléphone, composa son numéro, les mains tremblantes. La sonnerie résonna… mais aucune réponse.

À bout de forces, elle tomba à genoux. L’angoisse montait comme une marée noire.

— Non… non… où es-tu ?

Jean, resté dehors, sentit l’urgence. Il entra et trouva Lydia effondrée, le regard vide.

— Nous devons partir, dit-il doucement. Je vais la retrouver. Je te le promets.

Elle leva vers lui un regard noyé de larmes, mais dans lequel brillait encore un éclat d’espoir :

— Retrouve-la. Peu importe le prix. Je veux savoir où elle est. Où qu’elle soit.

Jean hocha la tête et retourna à la voiture. Il écuma les rues, interrogea les passants, visita les hôpitaux, les abris, les postes de police de fortune. Mais le chaos de la ville rendait toute recherche presque impossible.

Quelques heures plus tard

Une rumeur. Une piste. Jean arriva dans une ruelle envahie par une petite foule. Il s’approcha, le souffle court, et vit une silhouette au sol.

Il se fraya un passage… et son cœur se brisa.

C’était elle. Fatla.

Elle était là, allongée sur le bitume, le corps meurtri. Une plaie béante à la tête. Des ecchymoses. Des traces de lutte.

Ses yeux étaient clos. Son visage calme, presque apaisé. Comme si la douleur avait enfin cessé.

Jean s’agenouilla, incapable de parler. Il posa une main tremblante sur l’épaule froide de la jeune fille.

La recherche s’achevait dans l’horreur.

Il détourna les yeux, incapable de rester plus longtemps. Il se releva, et avant de repartir, ferma les yeux une seconde pour murmurer une prière. Puis il reprit le volant.

Retour vers Lydia

Les enfants dormaient, inconscientes de la tragédie. Lydia attendait. Lorsqu’elle aperçut Jean, elle comprit aussitôt. Elle vit son regard, sa démarche, son silence.

— Fatla… souffla-t-il. Elle est morte.

Le monde de Lydia s’écroula.

Elle resta là, pétrifiée. Le mot la transperçait. Incompréhensible. Inacceptable.

— Non… Pas ma fille… Pas Fatla…

Elle tomba à genoux. Un hurlement déchirant sortit de sa gorge. Le genre de cri qu’aucun mot ne peut apaiser. Elle pleura pour sa fille. Pour l’enfance volée. Pour tous les matins qu’elles ne vivraient plus ensemble.

Jean ne dit rien. Il était là, témoin impuissant d’un chagrin qu’aucun homme ne devrait jamais avoir à annoncer.

Et à cet instant précis, le téléphone de Jean vibra.

L’appel

Il sortit l’appareil. Boursicot.

Jean hésita. Il jeta un coup d'œil à Lydia, toujours effondrée.

Puis il décrocha.

— Jean ? Où est ma femme ? Où sont mes enfants ?

La voix était froide. Tranchante. Sans émotion.

— Tu n’es pas à la maison. J’espère que tout va bien, parce que dehors, c’est la guerre.

Jean tenta de garder son calme.

— Ils sont avec moi. Mais la situation… est compliquée.

Un silence pesant. Puis :

— Je veux les voir. Tout de suite. Et ne fais pas d’erreurs, Jean. Sinon, tu le regretteras.

Jean raccrocha sans répondre. Il savait. Cet homme était capable de tout.

Il se tourna vers Lydia.

— Il les veut. Il TE veut. Il est prêt à tout pour te récupérer.

Lydia se leva lentement. L’air glacial s’infiltrait dans ses os. Ses yeux étaient secs maintenant. Quelque chose en elle s’était cassé… mais quelque chose d’autre venait de naître : la détermination.

— Jean, murmura-t-elle. On ne retourne pas là-bas. Je ne sais pas où aller, mais je ne rentrerai jamais chez lui.

Jean hocha la tête. Mais ses yeux trahissaient l’inquiétude.

— Où allons-nous ?

— Je ne sais pas… mais je dois fuir ce monstre. Je dois sauver mes filles.

Le message

Avant qu’ils ne puissent bouger, le téléphone de Lydia vibra.

Un message de Boursicot « Ne tentez rien. Je suis déjà là. Vous avez 15 minutes. »

Elle montra l’écran à Jean. Un frisson glacial la traversa.

Puis elle se redressa. Plus droite. Plus forte. Brisée, oui. Mais vivante.

— On doit partir. Maintenant.

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