Le Poids du Silence

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Comment vivre avec un tel secret ? Le poids d’un mensonge qui ronge l’âme et lacère le cœur.

Comment dénoncer quelqu’un que l’on ne peut pas dénoncer ? Comment devenir complice de celui qu’on ne souhaite que fuir ?

Comment encaisser toutes ces douleurs, tous ces cris étouffés, ces colères camouflées, ces soupçons qui, en silence, grandissent jusqu’à étouffer ?

Lydia, figée, ne savait plus quoi faire.

Comme si de rien n’était, Boursicot posa une question qui, en un instant, alourdit encore le fardeau qu’elle portait :

— Mes enfants… elles sont où ? demanda-t-il d’une voix rauque, presque inhumaine.

Il la fixait, attendant une réponse logique. Une explication qui donnerait sens à ce chaos qui s’étendait.

— Je te parle. Arrête de faire semblant… C’est la première fois que tu vois un cadavre ou quoi ?

Le visage de Lydia se crispa. Elle tenta de retenir ses émotions, mais ses yeux parlaient pour elle. Elle secoua lentement la tête.

Boursicot comprit immédiatement.

— Quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Où sont-elle?

Pris de panique, il courut vers la voiture. Il sentait que quelque chose n’allait pas. Quelque chose d’horrible.

À l’arrière, les jumelles étaient là. Vivantes. Endormies. Mais une absence glaçante frappait l’œil et le cœur : Fatla était introuvable.

Un cri déchirant s’échappa de Boursicot :

— Non ! Pas elle ! Pas celle que j’aimais plus que tout au monde ! Pas ma chérie, pas mon bébé ! Elle est où ?!

Et soudain, ce fut irréel : ses larmes, noires comme l’abîme, coulaient avec une rage pure. Une douleur qui dévorait.

— Amène-moi à elle ! Je veux voir son corps. Je veux la voir maintenant !

Ses gardes du corps, paniqués, se dispersèrent. Mais aucun ne put lui donner de réponse. Alors, sans attendre, Boursicot monta dans sa voiture. Seul. Brûlant de certitudes.

L’obscurité de la nuit engloutissait la ville. Les rues, autrefois bruyantes, semblaient à présent figées, muettes comme le deuil.

Arrivé à la morgue, il descendit, le regard vide mais la démarche pleine d’une rage glacée. Un de ses hommes tenta une objection :

— Patron, vous ne devriez pas conduire dans cet état…

— Qui t’a demandé ton avis ? lança-t-il, sans même le regarder.

Il avançait, porté par un seul désir : la vérité.

— Où est ma fille ?! hurla-t-il, d’une voix qui fendit la nuit.

Une silhouette s’avança, calme. Trop calme.

— Bonsoir, Monsieur Boursicot. Je suis l’assistante médicale…

Il la transperça du regard.

— Garde ton bonsoir. Conduis-moi. J’ai un corps à identifier.

Elle hocha la tête, tremblante, et appuya sur un bouton. Le responsable de la morgue arriva aussitôt et les guida à l’intérieur.

— Par ici, Monsieur.

Chaque pas enfonçait Boursicot dans l’obscurité. Son visage, d’abord dur, se décomposait. Sa respiration devenait difficile. Ses larmes, incontrôlables.

— Monsieur Boursicot, souhaitez-vous qu’on la découvre ?

— Qu’est-ce que t’attends ? Découvre-la, bordel !

Quand le drap fut retiré, il chancela. Un souffle. Un trou noir.

Il s’approcha. Toucha son visage. La serra contre lui.

Et un cri déchirant, ancestral, sortit de ses entrailles.

— Pourquoi ? Pourquoi elle ?!

Puis, doucement, il posa ses lèvres sur son front glacé :

— Je te le promets, ma fille… Je vais faire payer ces salauds. Un par un.

Mais au fond, il le savait : cette mort n’était pas un hasard. C’était le prix d’un pacte. Le prix de ses deals. De ses alliances avec des monstres. Des hommes sans foi ni cœur. Des fantômes de pouvoir.

Pendant ce temps, ses hommes s’activaient dans l’ombre. Ils récupéraient le corps de Jean, le garde du corps de Lydia. Une panique froide guidait leurs gestes. Ils savaient. Si tout cela venait à se savoir, ce serait la chute. Prison. Ruine. Trahison. Le monde qu’ils avaient bâti s’effondrait, pierre après pierre.

Lydia, elle, portait un secret encore plus noir.

Un secret inavouable.

Si elle parlait, elle perdrait tout : son foyer, ses enfants… sa liberté.

De retour à la maison, le silence était abyssal. Boursicot ne disait plus un mot.

Le ménage avait été fait. Les preuves effacées. Les murs étaient propres, mais son âme en ruines.

Un garde lui remit un rapport. Il ne le lut même pas. Il était ailleurs. Écrasé par un chagrin qui ne connaissait pas de mot.

Fatla était morte. Et avec elle, un bout de lui-même.

Lydia, elle, survivait comme elle pouvait.

Elle entra dans la chambre des jumelles. Elles dormaient, paisibles. Innocentes.

Elle les contempla longuement, les larmes aux yeux. Elles étaient tout ce qui lui restait.

Et elle se fit une promesse, dans un silence brûlant : les protéger, quoi qu’il en coûte.

En traversant le salon, ses yeux tombèrent sur la télévision. Allumée.

Elle n’y prêta d’abord aucune attention. Puis, elle lut un nom.

Fatla Boursicot.

Elle s’arrêta. Le cœur battant.

Un journaliste récitait la tragédie. Un ton glacial. Des mots qui lacéraient.

Les images de sa fille défilèrent : enfant, adolescente, jeune femme. Des fragments de mémoire.

Lydia vacilla.

Puis, son téléphone vibra. La Mère de Jean.

— Lydia… Je suis désolée de te déranger. Jean ne m’a pas apporté mes médicaments ce soir. Il passe toujours… Tu sais s’il va bien ?

La voix tremblait. Une inquiétude sincère. Une intuition silencieuse.

Lydia, d’une voix brisée, répondit :

— La journée a été longue… Je n’étais pas chez moi…

Mensonge bancal. La mère de Jean ne fut pas convaincue. Mais elle raccrocha, polie.

Lydia resta là, figée. Le téléphone toujours contre l’oreille. Les larmes tombèrent.

Comment vivre avec ce secret ?

Chaque respiration était un supplice. Elle savait qu’à la moindre erreur, tout exploserait.

Mais si elle parlait… ce serait la fin.

Elle retourna dans la chambre des jumelles, se laissa glisser au sol, recroquevillée, secouée de sanglots.

Elle voulait les protéger. Mais elle perdait tout. Son mari. Sa fille. Sa paix. Sa vérité.

Elle était seule.

Seule avec un secret qui la rongeait.

Seule face à la noirceur.

Et elle ne voyait plus d’issue.

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