L'Écho de la Tempête
La pluie martelait les toits de la ville, transformant les rues en rivières d’angoisse. Chaque goutte semblait porter en elle le tumulte d’une nation en flammes.
Lydia scrutait les documents étalés sur la table, le souffle court, l’esprit en proie à un tourment insoutenable. Les mots inscrits sur ces feuilles ne laissaient place à aucun doute : Fatla, sa fille, n’était pas morte à cause de la crise politique, mais à la suite d’un marché avorté entre Boursicot et un cartel de dealers.
Elle relut encore et encore ces fragments de vérité qui lui déchiraient le cœur. Comment avait-elle pu être aveugle si longtemps ? Comment avait-elle pu croire à la version officielle, à ces discours policés prétendant que Fatla était une victime collatérale de la contestation sociale ?
La réalité était bien plus sordide : Fatla avait été broyée dans un engrenage infernal, prise entre argent sale et pouvoir corrompu.
Lydia sentit monter en elle une rage froide. Elle se leva brusquement, projetant les papiers au sol. Son regard se perdit par la fenêtre, au-delà des éclairages tremblotants de la ville. La tempête dehors n’était qu’un écho pâle de celle qui rugissait en elle.
À des kilomètres de là, la mère de Jean ouvrit brusquement les yeux. Une sueur froide couvrait son front. Elle s’assit lentement sur son lit, le souffle coupé.
Jean était venu à elle dans un songe : son regard voilé, sa silhouette baignée dans une lumière déclinante. Il ne lui avait rien dit. Il n’en avait pas eu besoin.
Elle savait.
Son fils était mort.
Son intuition, affinée par des années de croyances et de rites anciens, ne pouvait se tromper. Son cœur se brisa en silence. Elle se leva, prit une bougie, et la posa sur l’autel familial, murmurant une prière pour guider l’âme de Jean vers l’autre rive.
Elle n’avait pas besoin de preuves. Son esprit l’avait déjà accepté. Le monde lui semblait soudain plus froid, plus vide. Elle se recroquevilla sur elle-même, laissant les larmes couler librement, priant pour que l’esprit de son fils trouve la paix.
Dans les rues, la colère grondait. Le peuple, lassé des promesses trahies, envahissait les avenues. Les manifestations, d’abord pacifiques, avaient viré au chaos.
Des voitures brûlaient, des vitrines volaient en éclats, des barricades s’élevaient à la hâte. Chaque cri, chaque coup de feu, chaque flamme était un témoignage du désespoir d’un peuple à bout.
Les forces de l’ordre ripostaient avec une brutalité aveugle, cherchant à noyer la révolte sous le gaz lacrymogène et les balles en caoutchouc. Mais c’était trop tard.
C’était une tempête humaine. Une déferlante de douleurs longtemps contenues.
Boursicot, lui, était paralysé.
Assis dans son bureau, les mains tremblantes, il fixait un verre de whisky sans y toucher. Dehors, la tempête faisait rage. En lui, c’était un naufrage.
Fuir à l’étranger ? Se venger ?
Il n’avait jamais été un homme sentimental, mais à cet instant, il n’était plus qu’un père brisé.
Il se leva d’un coup, renversa le verre, le cristal éclatant en mille morceaux. Il devait choisir. Mais il savait que, quel que soit le choix, son nom serait gravé dans l’Histoire : comme un homme en fuite ou un homme vengeur.
Lydia s’essuya les larmes du revers de la main. Son esprit se durcit. Elle ouvrit un tiroir et en sortit un revolver — un vestige d’une époque où elle croyait encore que l’amour pouvait tout réparer.
Elle fit tourner lentement le barillet.
Mais elle s’arrêta.
Non. Ce n’était pas le moment.
Pas encore.
Elle referma l’arme et la glissa dans son sac. Il y avait une autre voie : plus lente, plus précise.
Tuer Boursicot sur un coup de colère ne serait qu’un soulagement éphémère.
Le détruire patiemment, comme lui avait patiemment broyé sa vie, serait une punition bien plus savoureuse.
Les jours suivants, Lydia s’organisa.
Elle fouilla dans les comptes bancaires de son mari, traquant la moindre irrégularité. Dans son bureau, elle déterra des contrats signés avec des figures criminelles notoires. Chaque document devenait une arme.
Chaque découverte, une certitude.
Elle engagea discrètement un journaliste — avide de scandales — pour l’aider à faire fuiter les informations. Très vite, la presse flaira le scandale, et le sol commença à se dérober sous les pieds de Boursicot.
Mais ce n’était que le début.
Lydia savait que l’humilier publiquement ne suffirait pas. Elle fit circuler des rumeurs dans les cercles de pouvoir, insinua des trahisons, sema la méfiance.
Un homme puissant sans réseau n’est rien.
De son côté, la mère de Jean, guidée par ses visions, entama sa propre quête de justice.
Elle rassembla ceux qui, comme elle, croyaient que l’âme de Jean avait été trahie. Elle ne prônait pas la violence, mais elle savait que certaines vérités devaient éclater. Elle parlerait. Elle crierait. Elle brûlerait s’il le fallait.
Dans la ville, la tension atteignait son paroxysme.
La colère collective devenait incandescente. Le nom de Boursicot résonnait partout : sur les murs, les pancartes, les lèvres. Il n’était plus un homme : il était devenu un symbole à abattre.
Boursicot cessa de se cacher. Rongé par la rage, il comprit que sa survie passait désormais par la vengeance.
Il traqua les trafiquants responsables, ceux qui avaient scellé le destin de Fatla. Il voulait leur chute. Leur sang.
La mère de Jean, quant à elle, rassembla ses derniers fidèles.
La vérité était sortie de l’ombre. Et dans la nuit, ils mirent le feu aux bâtiments officiels — un cri de douleur devenu brasier de révolte.
Enfin, Lydia entra dans le bureau de Boursicot.
Le silence était lourd. Il l’attendait, assis derrière son bureau, un verre à la main, le regard noir.
Il n’y eut ni cris, ni larmes.
Juste un échange de regards.
Lydia posa les preuves sur la table.
— Tout est fini pour toi, murmura-t-elle.
Boursicot esquissa un sourire amer. Il prit une profonde inspiration, puis ouvrit lentement un tiroir. Lydia resta immobile.
Mais ce n’était pas une arme qu’il sortit.
C’était un vieux carnet, usé, rempli de noms et de secrets.
— Tu crois que je suis le seul monstre, Lydia ? Regarde autour de toi…
Dehors, le chaos s’intensifiait.
Le peuple ne voulait pas seulement Boursicot.
Il voulait tout brûler.
L’aube se leva sur une ville en flammes.
Et Lydia comprit enfin :
La vengeance a un prix.
Un prix qu’ils allaient tous payer.

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