L'EVEIL DE LA VENGEANCE
Elle s’était réfugiée dans un petit appartement prêté par une connaissance. Pas d’adresse officielle, pas de téléphone enregistré à son nom.
Elle prenait des chemins détournés, changeait de manteau trois fois par jour, portait des lunettes noires même sous la pluie.
Elle savait que les hommes de Boursicot la suivaient. Et quelque part, ça la rassurait presque. Elle les connaissait. Elle pouvait anticiper leurs méthodes.
Mais depuis deux jours, quelque chose avait changé.
Ce n’était pas qu’un regard dans son dos.
C’était une sensation sourde, comme un souffle derrière la nuque.
Un ascenseur qui s’ouvre pile à son étage.
Une ombre immobile quand elle s’arrête.
Un bruit de pas qu’elle n’entend qu’après coup.
Ce n’était pas un simple garde payé pour surveiller. C’était quelque chose pour l’effacer. Boursicot n’était ni impulsif ni désespéré. Il avait perdu la face, mais il connaissait le seul lien que Lydia ne couperait jamais : les enfants.
Des enfants nés dans le confort, élevés sous le vernis du luxe politique. Mais elle seule savait les calmer quand les cauchemars venaient. Elle seule comprenait leurs pleurs silencieux, leurs peurs cachées derrière les sourires de famille.
Il les regardait jouer dans le jardin de la résidence présidentielle. Et il souriait. Froidement.
— Elle reviendra, murmura-t-il à son conseiller. Elle ne tiendra pas. Elle a peut-être fui un mari, mais elle n’abandonnera jamais ses enfants. Pas elle.
Il savait exactement quoi faire : les montrer, les exposer, subtilement. Des vidéos “spontanées” envoyées à son ancienne adresse, des publications sur les réseaux où il apparaissait en père tendre, des rumeurs lancées dans les cercles qu’elle fréquentait.
Puis une dernière étape, plus sombre : interdire les appels, couper les contacts, créer le vide. Elle s’inquiéterait. Elle paniquerait. Et elle reviendrait.
Mais ce qu’elle ignorait… pendant son absence, il avait changé les règles. Les enfants n’étaient plus entourés de nounous habituelles. Ils étaient sous surveillance. Pas pour leur sécurité. Pour s’en servir. Comme appâts.
Elle était seule dans le petit appartement. Les murs blancs et froids, les rares meubles, le silence pesant. Mais dans son cœur, c’était un ouragan. Elle pensait à ses enfants : leurs rires qu’elle n’entendait plus, leurs visages qu’elle ne pouvait caresser, leurs peurs qu’elle sentait même à distance.
Elle avait peur pour eux. Peur de ce que cet homme pouvait leur faire, peur que l’innocence qu’elle avait juré de protéger soit brisée, peur qu’ils grandissent sans elle, dans un monde où l’amour se déguise en menace.
Et pourtant, elle savait qu’elle devait rester forte. Pour eux. Même si chaque nuit la peur lui nouait la gorge. Même si parfois la détresse lui volait le souffle.
Elle ferma les yeux et sentit ce creux invisible où l’amour maternel s’enracine. Une force sourde, profonde, indestructible. Elle n’était pas juste une femme battue. Elle était leur mère. Et ça, personne ne pouvait le lui enlever.
Alors, malgré la terreur, malgré la solitude, malgré les ombres qui la traquaient… elle se préparait.
À se battre.
À se relever.
À retrouver ses enfants.
Parce qu’au fond d’elle, elle savait une chose : l’amour d’une mère est plus puissant que toutes les prisons.
Boursicot avait toujours cru détenir toutes les clés. Les gens, les situations, même le temps. Quand Lydia claqua la porte, il n’avait pas paniqué. Pour lui, c’était un jeu de patience. Elle reviendrait. Il avait les enfants, le pouvoir, et pensait qu’elle était trop fragile pour s’en sortir seule.
— Laisse-la fuir, murmura-t-il à ses hommes. On la retrouvera. Toujours.
Mais les jours passaient. Les traces se perdaient, les faux indices se retournaient contre eux. Même ses hommes aguerris commençaient à faiblir. Les chemins se brouillaient. Lydia avait disparu dans un labyrinthe que personne ne pouvait percer.
Boursicot sentit l’inquiétude monter. Ce n’était pas seulement une question de contrôle. C’était une blessure dans son ego. Pour la première fois, il ressentit ce goût amer : la peur. Il n’était plus le maître de la partie. Peut-être sur le point de tout perdre.
Il regarda par la fenêtre de son bureau, vers la ville qu’il croyait conquise. Mais à l’intérieur, une tempête grondait. Lydia était libre. Et il ne savait pas comment la retrouver.
La nuit tombée enveloppait la ville d’un voile épais. Lydia savait que chaque pas comptait, que chaque seconde pouvait être la dernière avant la capture. Elle avançait doucement, le cœur battant, dans une ruelle étroite et mal éclairée. Derrière elle, les hommes de Boursicot fouillaient chaque coin, chaque ombre.
Mais Lydia avait préparé sa fuite avec minutie. Quelques jours plus tôt, elle avait repéré ce passage presque invisible entre deux vieux immeubles, un labyrinthe connu seulement des riverains.
Alors qu’un garde se rapprochait, elle disparut dans l’ombre, glissant entre les murs comme une ombre elle-même. Les radios grésillaient, les ordres se chevauchaient.
— Elle est passée par là ?
— Non, rien !
— Fouillez mieux !
Lydia s’était faufilée dans les sous-sols, remontant par des escaliers dérobés. La ville elle-même était son alliée : le bruit de la circulation, les passants pressés, le claquement des portes.
Une fois hors de portée, elle s’arrêta, reprenant son souffle, écoutant le tumulte s’éloigner. Elle avait gagné.
Chaque jour, les enfants posaient des questions à leur père, cherchant des réponses qu’il ne voulait pas donner.
— Papa, maman va revenir quand ?
— Pourquoi elle ne nous embrasse plus avant de partir ?
Boursicot, froid et distant, répondait toujours la même chose :
— Maman est en voyage d’affaires, elle reviendra bientôt.
Les mots sonnaient faux. Ria et Rina ne le croyaient pas. Elles savaient que maman ne partait jamais sans un bisou, sans un dernier regard tendre.
Quand les crises éclataient, ils hurlaient, frappaient les poings sur les murs, cherchant à réveiller une présence qui s’étiolait. Leurs petits cœurs battaient fort, noyés dans la peur et l’angoisse. Dans cette maison pourtant somptueuse, l’absence de Lydia pesait lourd. Un silence qui résonnait comme un appel à l’aide.

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