n'est pas éternelle,

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IVAN TSAREVITCH, LE LOUP BLEU & L'OISELLE DE FEU

VYACHESLAV

Neige (2)


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[Moskva, arrêt au stand]


Ça a fini par se savoir. Tout se sait. Toujours.

Deux motos de flics en valdingue dans le décor. Un fourgon percuté lors du déploiement du barrage sur un pont, qui a fini à la baille. Quatre voitures méchamment froissées, mais pas autant que leur fierté. Vyacheslav se serait bien passé de cette gloire-là. L’a même pas l’âge de valider un permis.

Les Loups Bleus l’ont alpagué au fond du snack alors qu’il pensait être passé au travers. La tête au-dessus de la friteuse, il fait trois gouttes dans le caleçon.

— Le bordel avec l’ambulance, c’était toi ?

Il hoche la tête. Lentement. L’huile brûlante lui saute à la figure.

— Et l’ambulance, t’en as fait quoi ?

Sa barbe de puceau sent le grillé. Il résume : abandonnée dans le tunnel Lefortovo, là où l’essaim de drones n’a pas osé le suivre. Pour faire diversion. L’est pas sorti de la ville. Trop peur des fermetures autoroutières, de l’armada volante de drones et du reste. Il a préféré jouer à domicile avant le grand déballage de moyens. L’a tiré sur le stock batterie pour y foutre le feu. La nuit a englouti un piéton inoffensif, ivre d’adrénaline.

Il élude la vraie fin. Moins classe. Celle dans laquelle il ne dit rien à personne, ramasse la gueulante parce qu’il était en retard pour livrer la recette, en restant digne jusqu’au bout alors qu’il avait juste envie de se mettre en boule, et d’éponger ses émotions à la vodka. Ce qu’il a fait, pendant les trois jours suivants, à se planquer comme un chaton chez Lyubov. Puis l’est retourné bosser. Fallait bien.

— Un flic à moto est mort.

Le type n’a pas de visage, juste une gueule de crocs encrée sur sa gorge.

— J’ai loupé l’autre, désolé… J’le referais plus.

Ça rigole un peu gras. Lui aussi rit, mais nerveusement. Vyacheslav s’étonne de sa propre répartie. On le redresse par le colback. Meute de loups, plus effrayante encore que les condés. Bagues d’encre noire passée sur les mains. Roses des vents sur les clavicules. Vory v zakone. On lui caresse la tête comme à une petite bestiole.

— T’es un marrant, toi, hein ?! On a une chasse pour toi. Bien mieux payée que tes petites courses de merde…

Il y a la neige, dehors, dans laquelle il se roule comme un chien fou.


*

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* *


[Midipolia, 2244]

Pour ne pas tomber, il ne faut ne jamais s’arrêter.


Le répit est de courte durée. La retro caméra n’assure plus rien, définitivement grillée. Seul le radar permet d’estimer la proximité de la Corvette survivante, qui n’a pas dit son dernier mot. L’endurance de l’aéro jaune lui assure davantage de puissance qu’il ne pourrait en espérer de sa Fasty sur la distance restante. Et celle-ci taquine, sans économie, mais à distance de sécurité, consciente que l’exercice de voltige pourrait lui coûter plus cher que des rayures. Le virage au-dessus des flots entre les tourelles massives du quartier des affaires, plantées à même les profondeurs marines, de l’extrémité sud de la ville, lui signale le dernier tiers du circuit. Vyacheslav décharge le ferrofluide en latéral pour envoyer l’arrière de l’aéro vers l’extérieur de la courbe. La Fasty chasse en soulageant le stock batterie sans perte de vélocité. Neko Kawaii joue son rôle d’IA à la perfection même si en marche forcée, la puissante force de répulsion fait trembler les commandes.

De la neige écarlate brouille sa vue. Plusieurs aller-retours sur son pare-brise (qui ne nettoient rien) lui font comprendre qu’il a peut-être abusé sur la dose. Des fourmis imaginaires cavalent sur ses jambes. Les variations d’intensité se sont espacées. Les bots stiddari ont plié les firewalls fédéraux. Le bras de fer a dû s’engager avec la Cyberdéfense. Leur objectif est simple : couper la circulation. Vyacheslav ne s’en fait pas. Il accuse un léger retard sur le chrono simulé mais reste dans la fenêtre des vingt à neuf-trente et quatre minutes ; modulo les caprices des hackers. Son doigt dégage le minuteur près du compteur vitesse pour éviter d’avoir l’œil dessus.

Il pousse l’aéro dans la montée qui trouvera sa fin près du parc Darwin. Une chicane, puis une autre, l’obligent à exercer sa dextérité en économisant la reprise. Son cœur bat sur un faux-rythme. La Corvette passe à l’offensive, accélère pour se placer dans sa trace. Neko Kawaii joue les devins : deux flux irréguliers à saturation, moyenne intensité, par l’arrière. Juste de quoi filer à ce salaud la puissance nécessaire pour rattraper l’écart et le doubler avant le final. Timing un peu trop parfait pour son adversaire. Non, Vyacheslav ne croit pas que les équipes informatiques soient en train de truquer le jeu. Pas du tout.

Putain ! Un ordre vocal ouvre la console de Neko Kawaii. Mise à niveau de l’équilibrateur, avantage à l’avant. Priorité absolue aux charges latérales. Arrêt des sécurités. L’icône de petit chat aux grands yeux exige une double validation. Le crépitement dans le tunnel trahit la Corvette en furie. Il n’hésite pas longtemps.

OK.

Attente. Il godille pour gagner un peu de temps, attaque l’ascension en collant l’aéro à la voie pour réduire les frictions de l’air dans cette partie non couverte – et surtout éviter qu’une poussée adverse ne le monte en l’air. À cinquante centimètres, soit moitié moins que de raison, le bas de caisse emporte quelques senseurs. Des alarmes illuminent la voie d’une menace rougeoyante. Surcharge centrale en approche. Il pousse sur les manettes pour rester bas. Les vibrations se répercutent dans ses bras, jusque dans son dos. Il tient bon. Les instruments de bord n’apprécient pas du tout la perturbation magnétique. Fine stratège, la Corvette reste à une saine altitude, toujours dans son sillage, dévore l’écart entre eux.

OK. Bis repetita.

Il remonte sec, se place bien au centre. Juste assez pour effrayer. L’autre pile, sort de son ombre. Non, il n’est pas assez dingue pour s’envoyer en l’air avec son adversaire. La tension sous ses doigts relâche le fauve sous le capot.

Les spots dégoutent presque de l’électricité. Des jets bleutés se déversent sur la carrosserie, éclaboussent ses yeux. L’accélération étrécit son champ de vision. Neko Kawaii signale : bouffées sur l’arrière droit. Vyacheslav n’a pas le temps de profiter de la vague de saturation que la Corvette a basculé, créant une déformation magnétique qui embourbe son aéro.

Joueur, Vyacheslav prend le pari. La Fasty valse sur le rail opposé avant que la Corvette ne puisse le dépasser complètement ni se rabattre devant. Neko Kawaii négocie le passage à quatre-vingt-dix degrés avec agilité. L’image en miroir brisé de son adversaire au-dessus de sa tête, presque toit contre toit, lui confère, un bref moment, l’étrange satisfaction de le surprendre véritablement.

Danger autonomie ! 10% de jus restant. Merde !

La ligne de côte s’efface alors, à l’apogée de la voie avant la dernière ligne droite. En sortie de tube, Midipolia déploie toute sa majesté d’acier, englobant une structure de verre et de verdure en contrebas. Un voile orangé projeté par des drones synchronisés signale l’arrivée.

La Corvette pousse jusque dans ses derniers retranchements, à l’avantage de son stock batterie supérieur et finit par lui imposer sa ligne de feu arrière comme horizon. L’aéro jaune raccroche sur la voie principale, sans élégance mais efficacement, et se presse sur le dernier kilomètre dans l’élan d’une nouvelle vague surtendue.

Lucide sur les limitations de sa Fasty, Vyacheslav se rabat à contre-cœur presque instantanément pour ne pas perdre l’aspiration. Ils amorcent la descente. La Corvette fonce, presque hors de portée. Presque.

5% ; un coup de pressoir renvoie tout ce qu’il lui reste en désespoir de cause.

Il avise Neko Kawaii et les régulateurs sur son HUD. Ses doigts transpirants se crispent sur les palettes. La peur en embuscade, il remonte l’aéro à un mètre avant de réfléchir de trop aux conséquences de sa stratégie. Compensateurs éteints. Le bleu vacillant des rails latéraux de la voie gicle sur ses rétines, embue sa vision périphérique.

Vyacheslav envoie tout lorsque l’irrégularité salvatrice insuffle un peu de jus, rabat ses déflecteurs et arrache la R18 d’un coup en éteignant tout. Catapultée par l’élan et suspendue par la seule exclusion des longerons sur les rails latéraux de la voie, la Fasty décolle. Tête la première dans la nuit mouchetée de blanc. Le vent gifle le fuselage. La plongée, par-dessus la voie, fait siffler ses tympans.

Le bond l’envoie par-dessus la Corvette.

Tomber comme une masse le grise d’adrénaline. Le faisceau laser découpe tout autre sentiment que celui de la victoire.

Vyacheslav ne se relâche pas pour autant, redresse de toute ses forces. L’aéro se cabre comme un cobra pour freiner sur le mur d’air avant de plonger dans un tunnel. Il réenclenche le système auxiliaire. Maintenant, il doit rejoindre l’échangeur pour disparaitre des consoles contrôles fédérales.

Le ferrofluide peine à amortir. Son arrière racle la piste. Secousses violentes. Hurlements du métal et étincelles contre le sol.

Neko Kawaii le submerge d’erreurs système. Les jauges de ferrofluide tombent, trahissent une percée. Le système transvase ce qu’il reste dans les longerons vers l’arrière. Vyacheslav renvoie tout le jus pour récupérer la trajectoire et un brin d’altitude. Manque de puissance contre le poids de la Fasty.

Déséquilibre. La partie gauche est comme engloutie par le mur. Sa tête frappe le renfort du siège, le harnais lui scie la poitrine au point de lui couper le souffle. La collision entame tout le flanc du véhicule, qui se retrouve propulsée vers la paroi opposée. Le Moscovite récupère in extremis le contrôle à la main avant de frapper, encore, la bordure. Arcade entaillée. Rideau sanglant. Nausée. Conflit système entre la priorité latérale et le ferrofluide. Erreur batterie. Compensation en cours…

Ne fais pas ça !

Vyacheslav n’a pas le temps de stopper l’IA que la Fasty vire, agrippée par la voie basale et l’appel, irrésistible, de trois tonnes de métal sur une gangue magnétique.

Tout bascule. Toit en premier sur la voie, qui se voile sous l’énergie galvanisée. Le premier choc lui compresse les côtes. Ses poumons se vide dans un cri étranglé. La brèche tire l’aéro vers l’arrière, la Corvette restant le percute, soulève la carcasse comme un rien. Tonneau d’un chaton en boule dans un tourbillon d’acier qui ploie, broie son corps. La Fasty équarrie par les forces des rails, stridule lorsque ses plaques de métal se fendent puis se décollent comme des feuillets au vent. La morsure de l’électricité tétanise chacun de ses muscles.

Sensation inespérée que tout à une fin. Goût du fer. Vyacheslav lâche les manettes lorsque les flocons de la nuit midipolienne tombent en éclats de verre sur son visage.

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