37 : Tristesse

4 minutes de lecture

Le curé prononça les mots qu'il fallait. Mais avant de passer l'anneau, j'hésitai. Un frisson de signes troublants envahissait mon esprit.
Partir.
Prendre la poudre d'escampette et partir.
Voilà ce à quoi je songeais alors que tous, autour de nous, s'étaient réunis pour partager ce moment de joie et d'allégresse.
Partir ! Fuir !
La belle-sœur me regarda. Plongé dans son décolleté, je me remémorais quelques bribes de poésie déclamées envers ses seins que je palpais autrefois à pleines mains. Parfaits. Ronds et crus. J'adorais leur goût de câlins interdits. Je les ai cru ronds, ils semblaient parfaits, mais j'étais rond.
Le curé interrompit cette diversion. Il réitéra son annonce, moi mon désir.
Partir !
Insistance louvoyante d'une belle endimanchée.
Un bruit comme un murmure ricochait contre les voûtes. Ricochets. Ricochet. Ricoche. Ricoco. Riri. Ri. R. r. r. Les pierres emplirent la bouche de mon témoin de droite.
Je n'avais que faire de cette amicale inimitié ou de cette inamicale amitié formule à la dérive suivant le taux d'alcool fort ingurgité.
Serais-je suffisamment lâche ou courageux pour franchir le pas ou au moins le porche de l'église, libéré de toute cette pression ?
Partir.
Oui. Je devais agir avant de m'endormir.

***


— Qui ! Qui a gravé cette inscription ?
Main droite à plat sur le bureau, poing gauche fermé et tendu, la professeure éructait entre la croix de ses bras filiformes.
— "les mots... sont... comme... des caresse" sans s bien entendu !
Échassier immobile, elle emplissait notre espace d'une réelle menace. Son index rageur, pointé vers le plafond de la classe, stimulait notre appréhension.
— Alors ? interrogea-t-elle à la volée avec sa fabuleuse voix atteignant la tessiture d'un castra. Une femme castra, c'est possible ça ?
— Personne n'osera avouer son forfait ?

La question en forme d'injonction planait au-dessus de nos têtes. Sa robe de professeure composée de larges rayures jaunes et noires nous donnait l'impression de nous trouver en face du phare de Groac’h Bihan, La Plate en Français. Quand elle passait entre les rangs ça sentait la fin de la journée et la marée montante.
Glacial et froid comme une lame de rasoir, son regard scrutait nos réactions et discrètement son registre.
— Si j'en crois l'appel de ce matin, tous les élèves sont présents dans cette salle.
Silence lourd, pesant qu'elle interrompit en sussurant :
— Si j'en crois le silence affiché en ce moment, j'ai l'impression d'être isolée au milieu d'un océan de bravoure refoulée. Bref. Je n'obtiendrai donc pas le nom du responsable de cette citation, citation gravée dans le bois de ce bureau avec une lame... une lame de couteau... couteau suisse je suppose vu l'étroitesse des traits et de vos esprits mal affûtés ! Dommage, car il m'eût été agréable d'en féliciter l'auteur et de le punir, le cas échéant, pour dégradation de matériel scolaire.
Une félicitation vallait-elle une sanction ? À nous d'en apprécier la distinction.
— Or donc, disais-je en introduction, "les mots sont comme des caresses". Prêtresse, tigresse ou ogresse, je n'aurai de cesse de sanctionner les s oubliés avec allégresse, par paresse et ce, sans faiblesse ni mollesse, je le confesse.
Voilà qu'elle trouvait un bon prétexe pour un futur devoir de français.
— Revenons aux moutons que vous êtes. Môgendre au tableau ! Et que ça saute ! Écrivez-nous la phrase suivante :

Quand élève de sixième je me suis cassée la gueule au collège sur une plaque de verglas
pour atterrir sur les pieds du plus beau mec de l'école, un grand de troisième, dont j'étais amoureuse of course comme toutes les petites connes du coin, et que je n'osais même pas regarder...
ça l'a fait rire lui et ses copains, moi aussi ça me fait rire... aujourd'hui.

Cet extrait tiré des "Mémoires d'une fausse blonde", de feue Vanessa Paradise, démontre si besoin était, combien les informations contenues dans ce journal intime sont importantes, voire indispensables pour la bonne compréhension de la suite du roman.
Pour mardi prochain, vous me réécrirez ce texte sans utiliser un seul mot comportant de s. À vous de feuilleter le dictionnaire des synonymes, d'interroger votre imaginaire et de bousculer vos neurones.
La cloche libératrice fut ce jour-là, une des plus belles mélodies entendues de mon vivant.
— Soit. Il est l'heure de vous libérer. Profitez bien de votre samedi et dimanche pour travailler. Bon vent.
Lâche. Je n'étais qu'un lâche. Et en tant que lâche bien portant, je puis certifier avoir battu tous les records de vitesse pour regagner mon domicile sous la vindicte des camarades furibonds.

***

La cloche du bourg sonna.
Pourquoi ce souvenir remontait-il aussi précisement ?
Était-ce dû au fait que ce fut la toute première fois où j'avais vraiment voulu quitter l'île de Sein ?
Sur le bord de la route, j'attendais. J'attendais. Voitures, camions et autres véhicules motorisés ou non ne passaient jamais. À quoi bon vouloir s'enfuir une nouvelle fois ?
L'air me manquait. Libéré de ma corde au cou, je larguais les amares. Les invités auront la chance d'avoir à partager les délices d'un repas pantagruelique.

La poésie des mots ne pouvait plus m'aider. Je me devais de faire face à mes démons jusqu'à ce que ma vie cesse.

Annotations

Vous aimez lire bertrand môgendre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0