Marquer le Corps, Détruire l'Âme.

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Chaque matin, la route vers le collège est un supplice.

Loan la parcourt seul, l'angoisse nouant sa gorge, se demandant ce qui l'attend aujourd'hui.

Il sait que ses harceleurs seront toujours là, mais il ne sait jamais sous quelle forme leur cruauté va se manifester.

Une certitude : il sera seul face à eux. Seul dans sa douleur. Il ne peut en parler à personne, n'ose pas, car la honte d'une situation qu'il ne comprend même pas l’étouffe. Pire encore, il se sent coupable de ce qu’il pressent être.

Chaque nuit, il se reconnaît dans ce qu’il aimerait dissimuler, cette partie de lui qu’il garde secrète, presque inconsciente. Le jour, il la cache, se voile la face. Il n’accepte pas sa différence, car le monde autour de lui lui dit qu’il ne devrait pas. Et c’est peut-être pour ça qu’il se dit, dans une sorte de tourment intérieur, que ce qu’il subit est mérité. Comme si ces anciens amis, ses camarades d’enfance, avaient décelé ce qu’il était sans en avoir la conscience.

Alors ce jour, comme tous les autres, Loan se range dans la cour, au fond, espérant passer inaperçu. Mais c’est une illusion. Il se trompe le premier rang, près du professeur, le protégerait bien mieux. Ses harceleurs le connaissent, le voient. Dès que le professeur est hors de vue dans le couloir, le déferlement de haine commence. Loan essuie des coups de béquilles, des bousculades violentes. Il serre les dents. Chaque impact est un coup de plus à son âme. Ses yeux sont embués, mais il ne laisse rien paraître. Il encaisse. Sa résilience est son seul rempart, mais la douleur est là, chaque seconde plus pesante.

L’effort de ne pas céder est presque plus cruel que les coups eux-mêmes.

Et puis vient le moment du cours. Le seul moment où il pourrait peut-être espérer une pause, une parenthèse de calme. Mais hélas pour lui, il n’y a pas de répit pour Loan. Le professeur ne voit rien. Il est aveugle à la réalité de sa souffrance.

Là, commencent des attaques plus sournoises, plus insidieuses. Ses bourreaux prennent soin de ne pas éveiller les soupçons du professeur. Les rires étouffés, les chuchotements, les gestes invisibles sont dévastateurs. Ils se moquent de lui pour tout, pour rien. Un fil qui pend de sa chaussette, un épi dans ses cheveux, ses taches de rousseur.

Chaque détail est une arme contre lui.

Il essaie de se faire petit, de disparaître.

Mais comment disparaître quand toute la classe a les yeux braqués sur vous ?

Il voudrait ne plus être là, disparaître, s'évanouir, être ailleurs, fuir... n'importe où, tant que ce n’est pas ici. Mais il est là, figé, encaissant en silence, se repliant peu à peu sur lui-même, jusqu’à se sentir vidé, l’âme éclatée en tant de morceaux qu’aucun expert en puzzles ne pourrait la reconstituer sans un plan précis.

Le sport est le pire de tout. Le vestiaire est une épreuve à lui tout seul. Il traîne toujours, espérant être le dernier à se changer pour éviter qu’ils ne l’attendent. Mais ils sont toujours là. Prêts. Le moment est inéluctable.

Loan sait ce qui l’attend, mais il espère encore qu’il y a une échappatoire.

Il finit par entrer dans la pièce, essayant de se faire aussi invisible que possible en gagnant le banc. Mais c’est trop tard. Ils sont là. Les coups commencent. Béquilles, coups de poings dans le ventre, gifles… Chaque impact est un poids supplémentaire, un fardeau qu’il doit porter. Ses bras, ses cuisses sont marqués, les bleus se multiplient. Il voudrait s’effondrer, pleurer, mais il encaisse. Il se tait. Dans le silence de sa souffrance, il attend que ça passe. Quand il est enfin seul, il se précipite pour terminer de se changer, le corps douloureux.

Il inspire profondément avant le cours, comme un condamné qui sait qu’il se rend vers sa fin.

Ce professeur de sport, loin de l’aider, participe activement à la torture. Il l'appelle "Avrel", un surnom qu’il lui a donné et qu’il répète avec un dédain visible - comme si ce nom ridicule pouvait n'être qu'une blague. Avec ses trois principaux harceleurs, ils forment un groupe de quatre, à l’image des Daltons, et étant le plus grand, il est affublé de ce surnom "Avrel" – un surnom qui, chaque fois qu’il est prononcé, le dégrade un peu plus.

Pourtant, Avrel, tout comme lui, est le plus tendre, le plus gentil, mais ce n’est pas à cela que les autres pensent ; au contraire, ils le jugent comme étant le plus stupide ! Le professeur s’amuse avec ce surnom, le répète à voix haute, comme s’il était un spectacle, une marionnette qu’il utilise pour amuser les autres, qui se divertissent à ses dépens.

Loan, lui, se sent dépossédé de son identité. Chaque fois qu’on l’appelle ainsi, c’est un peu de lui qui disparaît, de sa dignité. Il voudrait hurler, s'enfuir, mais il se tait. Il se force à sourire, à rire avec eux, pour donner le change et ne pas leur donner la satisfaction de voir qu’il est brisé.

Puis vient le moment fatidique. Le professeur annonce son tour. Loan doit passer sur les barres parallèles. Mais il ne sait pas comment faire. Il ne comprend pas la technique, son esprit est trop troublé pour cela. Il est au bord du gouffre, perdu dans sa douleur. Il a mal, il est épuisé, mentalement et physiquement. Le professeur tape dans ses mains, interrompant les autres élèves pour souligner, d’un ton sarcastique :

— Ça va être un grand moment, c'est à Avrel de passer, arrêtez vous pour regarder, tous !

Loan est forcé de se mettre en position. Il roule. Il tombe. Entre les barres. Il s’écrase au sol, les tapis ne suffisent même pas à amortir la violence de la chute. Son corps se heurte violemment au sol. Mais ce n’est pas la douleur physique qui le tue. C’est le regard des autres. Les rires. Les moqueries. La classe entière se tord de rire, et lui, il reste là, sous les regards, sous les rires, perdu dans une humiliation sans fin. Quand il relève la tête, il croise les yeux de ses camarades, ces yeux pleins de moqueries, ces rires qui le brisent encore un peu plus. C’est comme si le monde entier s’était ligué contre lui.

Et pourtant, il doit sourire. Il doit rire avec eux, comme si de rien n’était, pour ne pas leur laisser voir qu’il est détruit, que chaque mot, chaque regard, chaque geste lui fait plus mal que tout ce qu’il a jamais ressenti. C’est une torture permanente, une épreuve qu’il doit vivre à chaque cours, à chaque mouvement. Il voudrait disparaître, être n’importe où, n'importe qui, mais il est là, obligé de subir cette humiliation, encore et encore...

Ce mercredi matin-là, la souffrance de Loan atteint son paroxysme.

Alors qu’il marche vers le collège, il n’a qu’une idée en tête : éviter le sport, échapper à la violence de ces instants. Il cherche une solution. Il avance lentement, beaucoup plus lentement qu'à son habitude. Inoxerablement, chaque pas le rapproche de ce qu'il redoute avec une violence qui le heurte si durement ce jour-là. Il sent l'urgence, il doit trouver. Il le faut, il ne supportera pas une opprobre de plus.

C'est une question de survie !

Le destin lui parle alors. Au bout de sa barre d'immeuble, il doit traverser deux rues séparées par un terre-plein munie d'une fontaine. Alors qu'il est perdu dans ses tourments, une voiture passe à vive allure. Il se dit : pffff, même là, à deux secondes, je rate une occasion d'éviter le collège.

Une fois de l'autre côté, son regard est attiré par un éclat subtil. Il trouve un morceau de métal acéré sous un échafaudage, et, dans un dernier geste désespéré, il le frotte contre son front, jusqu’à ce que le sang coule. Une douleur bien plus supportable que celle qu’il s’apprête à vivre.

Ironie du sort ! Son environnement vient de l'aider à échafauder un plan.

Il s'imagine pouvoir raconter au collège qu’il a dû se jeter en arrière pour éviter d'être percuté par un chauffard. Il espère que cela suffira pour qu’on le dispense du cours de sport. La douleur physique ne l’atteint même plus. Ce qui compte, c’est ce soulagement, ce répit temporaire qu’il vient de s'acheter.

Et, ça a fonctionné !

En permanence, il a terriblement mal à la tête suites aux blessures qu'il s'est infligées. Pourtant, il pousse un profond soupir de soulagement : il a échappé au supplice du cours de M. Andrer, il ne sera pas son bouc émissaire, pas cette fois.

Un autre matin, il feint d’être très malade. Sa mère lui tend le thermomètre. Dès qu’elle quitte la chambre, il met l’objet contre sa lampe de chevet. La température grimpe alors à 42°C, mais Loan sent bien que c’est trop élevé. Il le secoue pour la faire redescendre entre 38,5 et 39°C, puis le place où il est censé être. Lorsque sa mère revient. Surprise, elle touche son front.

— Pourtant tu n’es pas chaud, mais bon, tu as de la fièvre, alors repose-toi, je vais appeler le collège.

Loan affiche une mine fatiguée, feignant la maladie. À l’intérieur de lui, il est soulagé, mais il sait que cette situation ne durera pas. Il ne doit surtout pas aller chez le médecin, car il découvrirait son stratagème. Alors, miraculeusement, il se remet dans la journée, reprenant des forces. Dès le lendemain, il retourne au collège.

Ces moments de répit, qu'il réussit à s'offrir, sont essentiels pour lui. Ils l’aident à éviter de commettre l'irréparable. Il se ressource, à l'écart de ses harceleurs, s’offrant un instant vital de calme et surtout profitant de la solitude pour laisser couler son flot de chagrin contenu trop, bien trop longtemps...

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