9

11 minutes de lecture

Bianca

Je ne m'étais pas levée aux aurores ce matin, je n’avais pas pu me réveiller. Enfin si, j’avais bien vu que le soleil levant me narguait à travers les persiennes, qu’il jouait a me caresser la peau nue du ventre, des seins, qu’il me parlait à sa façon, me disant, viens, le petit vent du sud caressera ta peau, je ferais rougir tes cuisses, ton dos. Mais je n’avais pas le gout de jouer avec lui, je voulais juste dormir encore un peu, me reposer, je m’étais tant dépensée la veille. C’était si grave que ça si pour une fois je ne me réfugiais pas sur le petit balcon qui surplombait la rivière alors que les falaises du Vercors en face de moi brillaient de mille feux .

Ce fut une odeur d'arabica, de brioche, de pain frais et de confiture qui me réveilla à nouveau, plus tard ! Je ne me rendais pas bien compte de la chance que j'avais d'avoir rencontré cet homme, mon mari. Ce mari , que dis-je, cette poutre maitresse qui soutenait ma vie depuis si longtemps.

À demi relevée, nue encore, alors que seul un drap couvrait le bas de mon corps, je jouais à la belle Hélenne narguant Agamemnon, juste après son escapade dans les bras de Pâris. Je l'admirais mon vieux roi qui depuis tout ce temps partageait ma vie. Il était assis, l’air de rien, un petit sourire énigmatique à la Joconde au coin de la lèvre, il m’attendait.

Jusqu'à hier, je ne lui avais jamais été infidèle. Je ne regrettais rien, car cela avait été merveilleux. Mais j'avais un peu honte cependant, j'avais honte, mais j'étais morte de faim. J'attrapais à la volée une nuisette qui trainait sur le lit, cette nuit, j'étais rentrée tard, il dormait déjà, je n'avais pas voulu fouiller les draps au risque de le réveiller. J'eus un petit rire malgré moi,oh je le savais bien où elle demeurait la nuisette, si je ne l'avais pas trouvée en rentrant, c'était tout simplement que je n'en voulais pas à ce moment-là. Je ne voulais pas le réveiller, mais je m'étais lovée contre lui, dès mon arrivée dans le lit conjugal, collant mes pieds glacés contre les siens bouillant. Que voulais-je donc à ce moment-là ?

Lui dire que j'étais enfin là, qu'il pouvait se rassurer, que je n'étais pas partie, que je tenais à lui plus que tout ?

Je ne pense pas, je ne m’en souvenais pas tout à fait, mais ce ne devait pas être tout à fait ça .

J'aurais voulu qu’il réagisse au contact de ma peau nue, qu'il soit tendre, qu’il soit brutal, qu'il efface les traces de l'autre... qu'il me pétrisse les seins, les fesses, les cuisses, le dos. Qu'il me redonne l'envie d'avoir envie, même si à ce moment précis je n’en avais pas vraiment envie. Je m’étais tant enivrée de l’autre, je m’étais tellement débattue.

Il ne comprit pas, cette nuit, ce que je voulais, mais moi, l'avais-je vraiment compris ce que je voulais à ce moment-là ?

Peut être n’ en avait il pas eu envie tout simplement, après tout, je l’avais réveillé. Sans doute me faisait-il un peu la gueule, ça pourrait se comprendre. Il n’a rien dit, il n’a pas parlé, je n’en saurais jamais rien. J’ai entendu son souffle régulier un peu plus tard, il ronflait un petit peu, je n’avais pas trouvé le sommeil tout de suite, j’étais encore trop excitée pour dormir.

J’aurais aimé qu’il parle, je lui en suis gré qu’il se taise.

Il me regarde toujours, son sourire énigmatique a fui ses lèvres, pas ses yeux ! Il me parle, je ne comprends pas tout de suite ce qu’il me dit.

Il a du me demander si j’allais bien, si j’avais bien dormi, habituellement c’est moi qui les pauses ces questions. Je n’ai pas son bagout, je n’ai pas son sens de la litote et de la périphrase alors que je réfléchis à ce que je vais répondre, il me prit de court,

  • Viens t’assoir ma belle, ce matin c’est moi qui ai fait le café, je t’attendais, je n’aime pas prendre mon café seul, dépêche-toi, je n’aime pas quand il est tiède, j’aime quand il est brulant comme la lave du Vésuve.

Heureuse de plaire à mon mari, affamée, je m’affalais sur la chaise plutôt que je m’y assis. Je lui remplis son bol d’un café très noir, anthracite, avant de me servir moi-même. Je fus heureuse de m’empiffrer de brioche au sucre et à la cannelle. Je découvris avec bonheur le panettone qu’il avait dû acheter hier au soir à la trattoria du coin, je m’en coupais un vaste quart que j’engloutis avec grand plaisir.

  • Ça fait plaisir de te voir manger ainsi, j’aime quand tu es heureuse ma Bianca.

La bouche pleine, je ne pus répondre. Je ne savais que dire, rien, sûrement, je voulais simplement profiter de l’instant présent. Je notais tout de même qu’il n’était pas encore habillé, pourtant l’horloge du salon pointait presque les onze heures, fichtre, il était bien tard, je pensais un moment lui demander s’il n’allait pas ouvrir le magazine ce matin, mais je me tus. Je n’étais pas pressée qu’il s’en aille, qu’il me laisse seule .

Comme je n’avais rien à dire, je portais à ma bouche le liquide fumant, je le fis couler à toutes petites gorgées que je faisais d’abord tourner dans ma bouche pour le faire refroidir, je n’aimais pas quand ça brulait la langue et la gorge. Je buvais parfois mon café tiède, presque froid, ça lui hérissait le poil à mon chéri, il ne comprenait pas, il disait alors.

  • Tu n’es pas une vraie Italienne, tu bois comme une Française !

Je ne sais pas où il allait chercher des idées pareilles ! Il ne dit rien ce matin, enfin pas encore, mais je voyais bien à sa mine, à la façon de danser sur sa chaise, de faire passer le poids de son corps d’une jambe à l’autre qu’il voulait me dire quelque chose. Soudain angoissée je faillis lui demander ce qui n’allait pas.

Il planta son beau regard d’ ancien brun ténébreux dans mes mirettes noisette et pris une grande goulée d’air avant d’ouvrir sa bouche, il aurait pu être avocat ou comédien, il savait capter l’attention de l’autre.

  • Je ne sais pas par où commencer, tu le sais, je n’aime pas beaucoup parler de moi, pourtant le temps des grandes décisions c’est maintenant !

Quelle solennité, j’en aurais souri bien volontiers, j’aurais pu me moquer gentiment de lui, lui faire remarquer son air pompeux. Mais je n’en eus pas le courage, l’heure semblant grave, je retenais mon souffle. Il reprit :

  • Je me suis souvent demandé si c’était raisonnable de retenir prisonnière une si jeune et jolie enfant.
  • Mais lui répondis-je soudain ulcérée, je ne suis pas une enfant et c’est moi qui t’ai choisi Mario, pour ta gentillesse, parce que tu avais de larges mains chaudes et douces, parce que ta poitrine était vaste et accueillante et que tes épaules auraient pu porter le monte entier, c’est moi qui t’ai choisi Mario, ce n’est pas le contraire.

Je me souvenais alors mes premiers émois dans ses bras. Quand je n’allais pas bien, que j’étais triste, qu’il me caressait les cheveux comme un père l’aurait fait. Mais il n’était pas mon père, mon père, lui, il m’avait abandonnée alors que je n’avais pas quinze ans, il avait rejoint ma mère dans le petit cimetière au bord du Pô. Sans Mario je serais morte, sans Mario, je ne serais jamais devenue la femme que je suis aujourd’hui, sans lui, je me serais laissée glisser dans l’eau boueuse du fleuve.

Comme je me levais pour l’enlacer, l’embrasser, lui ébouriffer les cheveux, il me fit signe de ne pas bouger de ma chaise, qu’il n’avait pas fini de parler.

Il chantonna : oh ! je la connaissais bien cette chanson d’un chanteur transalpin d’un autre temps :

  • Elle est jolie, comment peut-il encore lui plaire, lui au printemps elle en hiver…

Je n’étais pas d’accord avec lui,bien entendu, je me doutais que ce n’était qu’une provocation de sa part... quoique ce que j’ai fait hier avec l’autre…

Non, je n’ai jamais regretté d’être avec Mario, il a toujours été un type formidable… sans doute, ce que je cherchais hier, c’était un Mario jeune, sportif, endurant… je le pensais infatigable, immortel… quelle merde cette maladie, il a chopé la même que ses amis, mes parents, comme si c’était contagieux, comme si c’était écrit dans les lignes de la main, dans le marc de café !

Tiens, je n’ai pas fini de le boire, il est plus que tiède maintenant, presque froid, mais je sirote pourtant à toutes petites gorgées, comme s’il était encore brulant ; je sais pourquoi j’agis ainsi, le liquide qui lentement coule dans mon gosier m’empêche de parler, de me ruer vers lui, de pleurer, je sais qu’il n’aime pas quand je pleure sur mon sort.

Doucement, une larme dévale ma joue, tombe dans le bol qui me sert de bouclier, bientôt c’est toute une pluie qui rejoint la goutte esseulée. Je ne poserai pas mon bol tout de suite, il pourra bien dire que je bois mon breuvage comme une Française, je n’en ai cure. Derrière mon paravent de céramique, j’écoute ce qu’il a à me dire, grouille-toi, Mario, je ne pourrais pas tenir cent sept ans comme ça.

  • Cette Putana de maladie, reprend-il. Oui je le sais. Je t’ai promis de ne jamais te quitter, de toujours être là. Je me battrais ma Bianca, je ne baisserai jamais les bras, je me soignerais, je la tiendrai le plus longtemps possible loin de moi la… celle dont il ne faut jamais dire le mot. Oh ! j’ai un peu de temps devant moi, pardon amer, nous avons du temps devant nous…

Malgré moi, les yeux inondés je chantonnais à mon tour, du Brassens, avant qu’il ne le fasse lui,

  • S’il faut aller au cimetière, j’prendrais le chemin le plus long, j’ferais la tombe buissonnière, j’quitterais la vie à reculons…

Mais il ne reprit pas ma boutade, mon trait d’humour ne le fit pas rire :

  • Oui, ne m’interromps plus, j’ai presque fini, j’ai 60 ans passés, je sais, je sais, je ne les faisais pas jusqu’à présent, mais là je sens l’âge peser sur mes épaules… Non, Bianca, laisse-moi finir, dit-il en me fusillant des yeux alors qu’il voyait du coin de l’oeil que j’allais encore ramener ma fraise. Je n’ai pas encore le droit de partir à la retraite… oui, je parle de partir à la retraite alors que ma femme est encore tellement jeune… quelle aberration, j’ai des économies, de l’argent placé, tu as toujours aussi l’argent de tes parents, tu ne seras jamais dans le besoin… Noooon Bianca, pour l’amour du ciel je n’ai pas fini.

je levais les yeux aux ciels, sûrement, ou grimaçais, brulant d’en découdre avec lui, de lui dire que ce qui était à moi était à lui ; il était de la vieille école,cependant, un homme doit protéger sa femme, toujours.

Sagement, je me calais sur ma chaise, les mains bien à plat sur la table, seules les veines du bras signifiaient leur nervosité… j’étais calme comme un volcan juste avant une éruption

  • Je vais vendre le magasin, j’ai commencé les démarches… dans deux mois, trois au plus, si tu le désires, nous partirons d’ici, nous irons nous installer à Rome, la ville éternelle, il y a de très bons docteurs là-bas, les meilleurs d’Italie… et il ya le pape qui fait des miracles quelquefois.

Ah le vieux communiste, il ne pouvait pas s’empêcher de tacler Il papa di Roma nous n’en avons jamais parlés, si ça se trouve-t-il croit en dieu à sa façon, un peu comme j’y crois, sans aller à l’église, en priant furtivement quelques fois, en me disant que là-haut il y a forcément quelque chose

  • Nous avons largement de quoi voir venir… et, le plus important, tu ne seras jamais dans le besoin, tu pourras, nous pourrons entre deux traitements visiter la péninsule, Naples, Venise, Florence, Capoue, Vérone, le lac majeur… la Sicile, la Sardaigne… ça fait longtemps que tu voulais le faire non ? Nous irons fleurir la tombe de tes parents, il est grand temps qu’on foute une stèle et une croix dessus… même si Giuliano n’en voulait pas...ça aurait fait plaisir à ta mère…

S’en fut trop pour moi, trop de montagnes russes entre hier et aujourd’hui, ne pouvant pas me réfugier sur le balcon d’où il m’aurait vue m’écrouler, pleurer comme une madeleine, je prétextais une envie subite et pressante pour m’enfermer dans les toilettes.

Là les larmes amères pouvaient couler tant qu’elles voulaient… c’est à ce moment-là que le téléphone couina, tiens, il a attendu vachement longtemps pour m’envoyer un SMS, je pensais en avoir un au saut du lit. il voudrait qu’on aille manger ensemble quelque part

J’aimerais bien… Mais que lui dirais-je ?

Je lui avais dit que notre histoire n’avait aucun avenir ! Mais je suis contente qu’il ne m’ait pas écoutée, l’autre con lui a bien transmis mon adresse comme je le lui avais demandé.

J’aimerais bien le voir encore un peu, j’aimerais bien qu’il me rende un service, s’il le peut…

j’aimerais qu’il reste quelque chose de Mario plus tard, j’aimerais lui offrir, ce que je n’ai jamais pu lui offrir, à moins que ce ne soit lui…

j’aimerais lui offrir un enfant à mon Mario, avant qu’il s’en aille !

Mais pour l’instant je ne peux accepter son invitation, peut être plus tard

allez j’envoie, s’il sait lire entre les lignes il comprendra, une femme qui ne voudrait plus le voir jamais, pour de vrai, ne lui répondrait pas au mieux, lui aurait bloqué son numéro au pire !

Allez, j’envoie

  • On avait dit qu'on ne se reverrait pas il me semble, oublie-moi, c'est mieux pour tout le monde !

Et je rajoute

  • Ne m'écris plus, ne me téléphone pas, oublie ce numéro…

J’espère que je ne me suis pas trompée, qu’il me recontactera, de toute façon, c’était trop fort entre nous, hier, ce n’est pas que pour Mario que je le veux ce gosse… à trente-cinq ans, ce serait un cadeau du ciel ! Si le Bon Dieu existe, il me doit bien ça !

Allez, je ferme le téléphone, je ferais la morte avec Claudio pendant un ou deux jours, c’est moi qui reprendrais l’initiative… Si tu me fuis, je te suis, si je te fuis, tu me suis…

Non, non, avec Claudio, c’est juste sexuel, enfin, en suis-je vraiment sûre ?

Oh oui ! Mon amour pour Mario est indestructible. Non, il n’y a aucun souci à avoir, cet homme, ce Fabrice, ce Julien ne sera qu’un outil, ensuite si le bon dieu existe, il me doit bien ça, j’éléverais cet enfant. Ce sera l’enfant que j’aurais du avoir avec Mario.

Juste un enfant, rien d’autre, Claudio ne le saura jamais !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 11 versions.

Vous aimez lire Etienne Ycart ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0