36. Le printemps est merveilleux dans le Latium !
Marcello
Ma ! Bien entendu, qu'il n'y a pas que Stendhal dans la vie, elle s'est trahie en disant ça, elle aura sans doute oubliée que je connais Fabrice, Fabrice Del Dongo, dans la Chartreuse de Parme, puisqu'en plus c'est là où on va habiter bientôt. Là où nous vivions autrefois, du temps du bonheur, du temps du malheur. Mais je m'en fout, donner le nom de quelqu'un d'autre ne porte pas malheur, il se l'appropriera le prénom de Fabrizio mon poussin, de toute façon je parie qu'on le surnomera Fabro ou Fabbi, ou bien Fab tout simplement et pour les filles plus tard ce sera Fabrinou. Et puis surtout qui dans dix ou vingt ou trente ans parlera encore de ce bon vieux Stendhal a part une infime minorité de vieux snobinards comme nous ?
Non Fabrizio est un joli prénom. De toute façon, j'ai choisi il y a longtemps de ne pas vivre dans le passé, même si en terme de cinéma je préfére les De sica , De scotto et Rosselini, ça ce n'est pas vivre dans le passé, c'est juste des gouts de vieux con !
Je sens que bientôt ma cinémathéque va voler en morceaux et que ce bambino va tout révolutionner ici. Et, notre vie avait grand besoin de dépoussiérage !
C'est si bon d'être là, j'ai bien cru un instant ne jamais revenir dans le monde des vivants. Mais je sent la vie, l'odeur du basilic si forte, si pétillante... si, si au marché en bas elle en avait trouvé, il devait venir du fin fond de la Sicile, là bas, l'été est déjà là, ce ne doit pas être encore l'été vec les grosses chaleurs mais ça doit y ressembler. Mes ancêtres disaient que passé Naple, ce n'était plus l' Italie mais déjà l'Afrique . Ce qui ne serait pas totalement faux si ce n'était raciste, combien de kilométres séparent Marsalla sur la cote Sud de l'ile a Bizerte en Tunisie, trois cent bornes à tout casser, une misére à comparer avec les mille six cent qui les séparaient de Turin, en Europe... Euh en Italie ! Et ne parlons même pas de Lampédusa, plus au sud que Malte ! Non, non, l'italie est une et indivisible, ne donnons pas ce plaisir à ces idiots inutiles de la ligue du nord !
ça sent la marjolaine également dans la cuisine, le poivron séché et la tomate confite dans le vinaigre balsamique, le pécorino et la coppa... ça sent aussi la couche à changer, mais ça , ça ne sent pas mauvais, ce n'est pas grave. A l'hopital ça ne sentait que l'encaustique, le vieux et le rat mort. Heureusement que mon Ales ne m'y a pas oubliée, même si les discussions politiques avec ce renard de Salvini et nos parties d'échec me manqueront. Qui eut dit que je regretterais un vieux conservateur, un représentant d'une des plus riche famille de la ville. Il a des idées de merde, mais une discussion trés convenable, il connait Rome comme sa poche et m'a invité un jour dans sa villa, dans Sa Domus Comme disaient les patriciens d'autrefois. Et moi suis-je un plébien ? J'en ai les idées certes, mais je n'en suis plus un depuis belle lurette.
J'y irais ma fois, avec ma femme et mon fils, qui eut dit que ce vieux droitiste allait devenir mon ami ? On a raison de dire qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
justement voilà Amoré mio qui m'appelle, elle voudrait que nous allions nous balader du coté des berges du Tibre avec le petit qui ne veux pas dormir aprés la tétée...
- Eh oh ma puce faudrait le changer avant non ?
- Tu n'as qu'à venir me donner un coup de main, je lave les biberons là ! ça ne mord pas tu sais, ce n'est que de la merde, en plus sa part sur les mains avec un peu d'eau et de savon, allez vient me faire voir que tu es de la race des nouveaux péres !
Ma ! Bien sûr, que je vais lui donner la main à ma Bella ragazza, ce Bambino j'en croquerais, j'en suis déjà fou !
Mais la promesse d'une promenade au bord du Tibre: Ah ! cette promesse d'une belle aprés midi automnale, serions nous les seuls à avoir cette idée là, je ne penses pas ?
Traverser le Ponte Fabricio le plus vieux pont de la ville éternelle, déambuler sur des trottoirs encombrés de piétons, finir sur l'ile Tibérine, noire de monde rentrer par le Ponte Garibaldi, le héros de l'Italie moderne : du fond de mon esprit monte un texte de je ne sais plus quel auteur, enfouie là depuis je ne sais combien de décénies :
Il faut voir comment il se moque du Tibre tant vanté ! comme il l'appelle mauvais petit fleuve, va-nu-pieds de fleuve, fleuve de rien, qui se donne les gants d'avoir des ponts comme s'il y en avait besoin pour le passer ! Comment ! c'est là ce Tibre qui fait si belle rime à libre; qu'on s'attend à voir avec des flots de cristal, un sablon d'or, une urne de porcelaine et une belle couronne de nymphéa sur la tête*
Mais, c'est François René de Chateaubriant qui en parlait le mieux de ce fleuve :
Peu à peu la fiévre des ruines me gagne, et je finis, comme mille autres voyageurs, par adorer ce qui m'a laissé froid d'abord. La nostalgie est le regret du pays natal : aux rives du Tibre on a aussi le mal du pays, mais il produit un effet opposé à son effet accoutumé : on est saisi de l'amour des solitudes et du dégôut de la patrie.*
Et même si le premier des deux textes sortis du tréfond de mon cerveaux posséde une jolie musique, c'est du second dont je me sent le plus proche. La nostalgie, ça tord les tripes , ça ramone l'oesophage comme un café trop chaud ou un aliment astringeant, un vin trop jeune par exemple ou une capre trop vinaigrée. Et tout est fade à coté des belles années passées, du bonheur enfoui sous d'épaisses strates de souvenirs forcéments gais, forcéments roses. Le nostalgique n'est pas un homme du passé, il est plutôt un espéce d'archéologue qui fouillerai dans les limons, ne rammenant à la surface que les bons souvenirs, les mauvais devants reter enfouis dans la vase du fond où nagent poissons nécrophages et monstres velus.
Mais elle m'appelle à nouveau la mére de mon enfant, je ne suis pas perdu ma chérie, dans un si petit appartement ce serait impossible. A l'extréme limite, je me serais perdu dans mes souvenirs, devrais-je dire, nos souvenirs ?
A t'on toujours la même vision de la vie elle et moi ?
La même vision de l'avenir, puisqu'il faut lire dans la vase du passé pour connaitre l'avenir, qu'y verrais -elle , elle ?
Un vieux décrépit qui meurt de trouille devant une armée de blouses blanches, qui imagine avoir vaincu la bête alors qu'il n'a reçu que l'assurance de quelques mois ou années supplémentaires de vie.
Une photo, une date,
C'est à n'y pas croire
C'était pourtant hier,
Mentirait ma mémoire
Et ces visages d'enfants,
Et le mien dans ce miroir
Oh, c'est pas pour me plaindre,
Ca vous n'avez rien à craindre
La vie m'a tellement gâtée
J'ai plutôt du mal à l'éteindre
Ô, mon dieu j'ai eu ma part
Et bien plus à tant d'égards
Mais quand on vit trop beau trop fort
On en oublie le temps qui passe
Comme on perd un peu le Nord
Au milieu de trop vastes espaces
A peine le temps de s'y faire
A peine on doit laisser la place
Ô, si je pouvais...*
ô si je pouvais, encore un peu... mais déja je confonds le Tibre et le Styx, oû te caches-tu Charon dans ta sinistre barque, à moins que ce ne soit Osiris qui viendra peser mon âme ?
Car, je ne l'ai pas dit à la madone qui tient mon enfant sur son sein, la camarde n'est pas partie au loin, elle est juste tapie au coin de la rue, attendant le plus mauvais moment pour fondre sur moi et m'emporter dans un ailleurs oû ils ne seront pas.
Il me reste quelques mois à vivre, c'est Salvini, ce vieux fou qui me l'a dit... ô pas directement, pas de but en blanc, non... Je le vois encore, la mine basse, le rire trop haut de celui qui doit mentir et ne sait pas le faire, pourtant ne dit on pas que le romain est un comédien né ?
- Allez, je vous laisse sortir mon brave ami, vous n'oublierez pas de venir me voir si...
- Si quoi lui avais-je demandé ?
- Si...
C'était donc si difficile , qu'avais-il à dire ?
- A mais tu es là mon amour, dois-je mettre un voile sur le carosse de Fabrizio ? le soleil du Printemps est-il trop fort pour la peau de mon fils ? Mais qu'as tu ? tu es tout pâle, tu es sûr que ça va ? N'es-tu pas sorti trop tôt de ton hopital... et si tu restais là à te reposer, mon amour ?
Vous voyez, ce que je veux dire, le temps le passé, le futur, les souvenirs, le reste à vivre n'es pas le même pour tout le monde... entre deux faux semblants, deux demi mensonges, entre les blancs les silences et les toussotements, il m'a lancé, comme s'il avait enfin osé desserer la main qui tenait la grenade dont il avait oté la goupille, tout en osant pas la jeter au loin... Comme s'il pressentait qu'elle allait déchiqueter mon corps
- Vous, vous croyez en sécurité...oh non, Elle n'est pas partie au bout de la planéte, la salope, tout au plus est-elle dans une vallée reculée du Tessin dans le nord !
- Je ne comprend rien à ce que vous dites !
- Je dis que vous avez un peu de sursis, mais à la moindre alerte, vous reviendrez me voir !
- Vous m'effrayez avec votre charabia de conspirateur. Verrais-je grandir mon fils ?
- Vous le verrez marcher pour la premiére fois, dire papa, peut être aller à la maternelle, mais vous ne le verrez pas devenir un adulte, cela m'étonnerait... mais on se battra, je la tiendrai éloignée cette salope...
- Ah, mais c'est sûr, je ne suis plus un jeune homme !
- Ne faites pas celui qui ne comprends pas, je sais quevous pouvez être fin et lire entre les lignes, dois_je vraiment mettre des majuscules et des points à mes phrases
- Ah mais voilà que vous continuez votre charabia de carabin Ah, mais je ne suis plus un gosse qui croit au petit jésus, au pére noel à la bafana, dites moi sans embages ce qui ne colle pas qu'on en finisse !
- J'ai enlevé la tumeur, mais je n'ai pas pu tout enlever, il y a encore des cellules infectées dans d'autres coins de votre corps, c'est un peu trop tôt pour parler de métastase... mais ça y est, j'ai dit le mot tabou, oui, vous reviendrez me voir dans trois mois, on a pas tout essayé, on se battra... Pour l'instant je vous rend à votre famille, essayez de profiter pleinement du temps qui vous reste, vous verrez, le Printemps est merveilleux dans le Latium !
Ah mais non ! Je ne veux plus y aller dans cet hopital, il est gentil Salvini, je mangerais ses drogues trés gentiment, j'essairai de faire du sport sans trop me fatiguer... il m'a dit que je le verrais marcher pour la premiére fois, me dire papa, allez , il est temps pour moi d'enfiler une veste demi saison
- Oui Alessandra, on lui met un voile sur sa poussette, le printemps est merveilleux dans le Latium et le soleil un peu fort ! C'est moi qui vais pousser le bambino, laisse moi être fier d'être pére, que les gens s'extasient et disent, regardez ce vieux con, il proméne son petit fils avec sa fille !
- Ah mais tu es bête, je t'embrasserais en route, sur le coin de tes lêvres, là où ta barbe m'arrache la peau, comme ça ils verront bien que tu n'es pas le grand-pére mais l'amoureux, et puis moi je te vois, jeune et fort comme au tout début, quand je n'étais encore qu'une jeune sotte, et que toi toutes les femmes te mangeaient des yeux et que tu ne les voyais pas.
Oui, je ne retournerais pas dans cet hopital quid sent l'encaustique, le vieux rat crevé, qui sent la peur et la souffrance. Je me jetterais dans le Tibre ou dans un autre fleuve quand le temps sera venu... pour l'instant je veux profiter de ce merveilleux printemps romain avec ceux que j'aime.
* Tnéophile Gautier, Les grotesques ( 1856)
*François-René de Chateaubriand, Mémoire d'outre-Tombe
*Céline Dion, Encore un soir
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