Le commencement par le feu

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  La lumière crue des néons tremblotait à travers les vitres sales du laboratoire. Une odeur de plastique brûlé et de chair carbonisée s’insinuait dans chaque recoin. Les alarmes stridentes vrillaient l’air. Les murs, jadis aseptisés, ruisselaient désormais d’un liquide noirâtre qui n’avait rien d’humain.


 Le feu avait commencé dans l’aile C. Là où les expériences les plus instables étaient conduites. Là où secret et dangerosité s’entrelaçaient dans une valse malsaine. Là où l’émerveillement du nouveau et l’effroi du dernier souffle s’accordait au rythme des expérience. La où Il était gardé.


 Le corps d’un adolescent gisait, la peau collée à la dalle encore glacée. Ses muscles convulsaient encore, secoués par les résidus chimiques injectés quelques heures auparavant. Son souffle, rauque, saccadé, n’était presque plus perceptible. Il ne savait pas qui il était. Ni où il se trouvait. Du moins… pas encore.


  Il était perdu. Abandonné. Ses seuls repères : les cris de souffrance, l’odeur de chair brûlée, et les effluves de produits de synthèse. Il ne ressentait rien. Rien, sauf une douleur sourde au creux du crâne… et une chaleur ardente parcourant ses veines.


 Ses souvenirs s’échappaient, s’envolant parmi la fumée. Seuls restèrent : Des éclats. Des flashs. Des hurlements. Des visages flous. Des injections. Des câbles. Et cette voix ! Cette voix résonnant dans son crâne. Répétant encore et encore la même phrase. Une tonalité toujours plus froide… Incisive … Inhumaine… :


— "Sujet 47, hautement réceptif. Prêt à l’étape suivante."


 Une larme coula – et s’évapora. L’air était brûlant. Le feu progressait. Tout allait disparaître. Et lui avec. Ses yeux ne reflétaient aucune peur. Juste le vide. sans but. Sans sens.


  Une porte explosa dans un fracas métallique. Des silhouettes en armures noires envahirent le couloir. Silencieux comme la mort, les Savedecar prirent position.


 Longue tunique noire opaque. Casques optiques intégrés sous leur capuche. Exosquelettes blindés. Protocoles chirurgicaux logés dans leurs protège-bras. À leur ceinture, des seringues, toutes plus inquiétantes les unes que les autres. Fusil d’assaut à l’épaule, arme de poing à la taille. D’innombrables lames dissimulées dans l’ombre de leur équipement.


 C’était une unité d’élite, préparée à préserver la vie… Ou à la prélever. Le feu se propageait vite. Mais ils progressaient plus vite encore. Comme une rafale de vent, surgie des ombres de la guerre.

 L’un d’eux repéra le garçon au sol. Après une analyse rapide de l’environnement, il s’approcha, s’agenouilla à ses côtés. D’une voix rauque, modifiée par le modulateur vocal :


— « Tu es vivant, gamin ? »


 Le garçon balaya de son regards vide l’écran teinté du casque de l’homme en noir à la recherche de réponse. Des réponses à des questions qu’il ne connaissait pas. Ses deux iris devinrent grises presque métallique. Un regard sans expression, perdu.


 Le Savedecar resta figé un instant. Quelque chose clochait. L’analyse de l’environnement indiquait une concentration létale de vapeur toxique, une fumée épaisse irrespirable, une chaleur inhumaine… Et pourtant, le cœur du garçon battait encore. Dans l’espace d’un instant, celui du Savedecar se serra.


Comment est-ce possible ? Ce gamin… il n’aurait jamais dû survivre.


 Il respirait, mais l’étincelle de vie avait quitté ses yeux. Il avait souffert — atrocement — et pourtant, il s’accrochait. Ce n’était plus un enfant. C’était une anomalie. Une énigme.


Cet enfant est… comme moi.


 Était-ce de la compassion ? Un transfert ? Une faiblesse ? Ou peut-être… un éclat de rédemption ? Une tentative désespérée de se sauver lui-même à travers un autre ? Qu’importe. Trell prit une décision. Cet enfant vivra. Et il s’en assurera.


 -  « On dégage. Il vient avec moi. »


 - « C’est un cobaye, Trell. Les ordres sont clairs. Aucun survivant. »


 Trell releva lentement la tête. S’approcha d’un pas assurer vers son frère d’armes. Planta son regard froid dans le sien.


 - « Syven. Ces ordres, tout comme toi, peuvent aller se faire foutre. »


  Syven l’arrêta d’une poigne ferme sur l’épaule. Autoritaire. Inutilement tendue.


 - « Si tu désobéis aux ordres, l’inquisiteur Nathanaëlle voudra des réponses. L’idée de ta tête sur une pique ne m’est pas désagréable… » Avec cette ironie huileuse dont il avait le secret.. « Tu t’es émoussé Trell. Devenu trop lâche. Même plus capable d’abréger les souffrances d’une pauvre bête agonisante. Je trouve ça presque cruel de ta part. Pousse-toi. Laisse-moi m’en occuper. »


 Trell s’arrêta. Un rictus se dessina sur le visage de Syven, son camarade. Non. Son frère. Celui avec qui il avait risqué sa vie. Semé la mort. Porté secours. Plongé dans les abysses.


 Mais actuellement, Trell ne ressentit que du dégoût envers cet homme. Celui qu’il admirait autrefois. Syven lâcha son emprise et en profita pour lui tapoter l’épaule.


 - « C’est bien mon frère. Comme quoi la raison ne t’a pas encore totalement abandonnée. »


  Satisfait, il dégaina son arme. Son Voltar M2, l’arme de poings signature des Savedecar. Le pointa au niveau de la nuque du jeune homme. Entama la pression sur la détente.

  - « Tu vois Trell… Tu fais encore parti des … »


  Le bruit de la charge magnétique se fit entendre. Et la mort répondit à l’appel.


  Syven se retourna vers son ancien camarade. La capsule entre la C1 et la C2. Un tir précis. Une signature. Celle d’un maitre.


 - « Co.. Comment … ? »


  Le cerveau se déconnecta. Le corps tomba. Trell, sans trembler, s’agenouilla près du cadavre et retira la capsule. Un geste de chirurgical. Pas de munition, pas de preuve. Il lui ferma les yeux, le reflet de sa trahison.


 - « Tu étais déjà mort. Je n’ai fait que l’affirmer. »


  Il se dirigea rapidement vers l’enfant car les langues de feu venaient leur effleurer l’échine. Il souleva le garçon avec précaution. L’enroula dans son manteau ignifugé. Se détourna du brasier.


  Derrière lui, le plafond commença à s’effondrer, avalant les couloirs dans une gerbe de feu et de gravats. Bientôt, sa traitrise allait rejoindre les ruines d’un passé prêt à partir en fumée. Trell activa la communication.


  - « Unité 3, agent Trell au rapport : Nous avons a été attaquer par un cobaye en fuite. Mission prioritaire : élimination du parasite. Agent Syven à terre. Absence de pouls. Décédé. Pas de demande de renfort. Mission sous contrôle. Terminé. »

 - « Unité 2, Agent Sellor au rapport : Zone aile B6 en cours nettoyage. Possibilité de rejoindra la traque. »

 - « Unité 1, Agent Valor au rapport : Zone aile A3 nettoyer. Passage à l’aile C afin de terminer le travail. Ordre pour unité 2 : Rejoignez-nous une fois l’aile B nettoyer, renfort à prévoir. Ordre pour unité 3 : Poursuivez le cobaye. Trouver le. Tuer le. Et rejoignez-nous. Terminé »


  La radio se coupa. Trell soupira.


Pourquoi l’unité 1 vient-elle nettoyer notre secteur ? Pourquoi auraient-ils besoin de renfort ? Il n’y a que des scientifiques… des cobayes… aucune résistance. Alors pourquoi ? Ils savent quelque chose que j’ignore. Merde… Ils peuvent tomber sur le corps de Syven. Qu’est-ce que je fais ? J’y retourne ?


  Il regarda le gamin dans ses bras. Il devait survivre ! Le doute n’était pas un choix.


Et merde ! L’engrenage est déjà en marche. Trop tard pour faire marche arrière. Il faut que je trouve une sortie. Vite.


  Passant de couloir en couloir, il contempla le chaos. Des scientifiques tentaient de rassembler des documents à la hâte. Les cobayes tapaient aux vitres de leurs cellules, suppliant d’être libérés. La panique était palpable.


  Ils ne savaient pas encore que le glas allait sonner. La mission était claire : aucun survivant. Ils ne survivraient pas au jugement dernier des Savedecar. L’ordre était donné. Il serait exécuté.


  Dans sa course, Trell se retrouva face à un choix. Deux couloirs. Gauche ou droite. Habituellement, il n’aurait pas hésité. Mais cette fois, son instinct lui interdit de tourner à gauche. Un frisson. Une sueur glacée. Pourquoi ? Pas le temps. Il tourna à droite.


  Quelques mètres plus loin, une baie vitrée. Il sauta à travers et retrouva enfin l’extérieur. L’air, saturé de cendres, lui brûla les poumons. L’enfant toussa, secoué de spasmes. Il leva les yeux vers l’homme qui venait de lui sauver la vie.


 - « Qui… je suis ? »


  Le Savedecar baissa les yeux. Il hésita. Tu es un spectre. Une anomalie. Une bombe à retardement. Il se ravisa. Était-ce pour protéger l’enfant… ou s’accorder le droit d’être autre chose que ce que le système avait fait de lui ?


  Il souffla. Hésita encore. Puis répondit, lentement :


 - « Tu n’as pas de nom. Pas encore. Mais tu es vivant. Et c’est tout ce qui compte. »


  Trell en était certain : il avait fui quelque chose – Ou quelqu’un. Quelque chose que son instinct refusait d’affronter. Était-ce de la peur ? Ou le premier signe d’un esprit qui se fissure ?


  Dans les cendres, quelque chose survivra. Et les flammes le regretteront.

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