Clefs
J'ai remis mon cahier dans mon cartable, les copies à corriger dans ma pochette noire, mes stylos dans ma trousse à fleurs. Je me suis apprêtée à partir, ... et j'ai constaté que mon trousseau de clefs avait disparu : il n'était ni sur le bureau, ni dans la poche de mon pantalon, ni dans celles de mon manteau noir ; j'ai même vérifié la doublure parce que la gauche est percée et que je n'ai toujours pas eu le temps de la réparer. La chaleur m'est montée aux joues, une sorte de panique. Bien sûr mon mari serait venu me chercher … mais le problème n'était pas là...
Mes clefs, c'est quelque chose. J'y tiens !
La petite jaune toute simple, c'est celle de ma salle de classe au mur azur et au parquet gris, où je travaille depuis vingt ans, mon antre professionnel ; si je la perdais, la concierge en ferait une maladie, elle qui oblige les remplaçants à lui rapporter leurs clefs tous les soirs pour les récupérer tous les matins... Si je la perdais je ne dirais rien, je ferais faire en douce un double de la clef de mon grenier (c'est la même : j'ai testé la fois où j'avais oublié ma clef jaune en Creuse, chez ma maman).
La plus grosse, en plastique noir, ouvre ma voiture presque neuve, changée il y a un an parce que je ne me sentais plus en sécurité dans ma petite fiat dont le compteur de vitesse était en panne (j'avais pris trois PV) et dont la mécanique lâchait de toutes part. Celle-ci, je l'avais jugée d'abord un peu grosse pour moi, mais je m'y étais faite rapidement. Il est vrai qu'elle est pourvu de la climatisation, d'un chauffage, d'une radio qui fonctionne, et même d'un volant tout à fait rotatif et de phares qui éclairent vraiment : c'est le grand luxe. J'ose même rouler la nuit !
La clef de sûreté, plate et argentée est celle de notre maison, notre foyer, où je retrouve mon mari et mon fils, où nous prenons nos repas et notre café, où nous pouvons rêver devant un feu de bois et dormir bien au chaud. La maison où l'on peut être soi sans faux semblant, la maison qui accueille nos joies et nos peines, qui berce nos larmes et sait tout de nous. La maison : une évidence, le refuge.
En mai, j'ai ajouté une grosse clef à l'ancienne : celle de la maison de ma maman, devenue mienne désormais. Il suffit que je la regarde pour franchir instantanément par la pensée les quelques deux-cents kilomètres qui nous séparent et avoir devant moi le buffet blanc et la nappe ornée de cœurs roses. Le décor familier du premier nid. J'en ai fait faire deux doubles, pour deux de mes cousines qui veillent sur elle en mon absence : porte-clefs licorne mauve pour Solange, licorne bleue pour Virginie. J'ai gardé pour moi la lanière en plastique rose où il est écrit « love » et avec laquelle je joue sans cesse bêtement pour passer mes nerfs...
Ceux-ci sont mis à rude épreuve pendant que je vide tour à tour, méthodiquement, mon sac à main, puis mon cartable. Heureusement, j'y pense tout-à-coup : c'est dans la poche haute de mon manteau que je les ai rangées tout à l'heure. Elles y sont toujours, leur contact, à travers l'étoffe, me rassure de suite : nul ne me les a prises !
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