Précédemment : Après s'être perdus de vue pendant vingt ans, Théo se rendit à la clinique de Jin pour remplacer sa cheville, mais semblait avoir une idée derrière la tête.

Jin et Théo s'installèrent chacun dans un fauteuil de cuir usé. Un robot serveur sur roulettes, modèle ancien mais fonctionnel, s’approcha de Jin. D’un léger signe de tête vers Théo, Jin indiqua au robot de servir son invité en premier.

Théo observa la machine avec amusement : “Je ne savais pas qu’on fabriquait encore ce modèle. Un café

Jin sourit à la remarque tandis qu’une tasse fumante émergeait du plateau : “On n’est pas aussi modernes que vous, là-bas dans la Plaine. Théo accepta la pique avec élégance.

- Comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu deviens ? demanda Jin

- Pas trop à me plaindre. Théo sirotait son café. “Je n’ai même pas eu besoin de te dire que j’habite dans la Plaine.

Jin fit un geste vague devant son visage de haut en bas : “Il n’y avait pas besoin. Ça se voit.

- Ouais, j’ai clairement besoin de soleil. Théo rit. “Et toi ? Comment ça va ? Tu as l’air en forme.”

Jin haussa les épaules, désignant diverses parties de son corps : “Eh bien, plus grand-chose ici ne m’appartient vraiment. Sinon, c’est un peu la routine, mais quand on regarde les infos, on se dit qu’il y a bien pire ailleurs.

- Toujours marié ?

Jin se raidit imperceptiblement : “Oui.”

- Avec Xiao ?

- Oui.

- J’aurais été surpris du contraire. Vous étiez fous l’un de l’autre la dernière fois que je vous ai vus. Théo posa sa tasse. “On pourrait dîner un de ces soirs, si ça vous dit.”

Le visage de Jin se ferma : “Ce n’est pas l’envie qui manque, mais ce ne sera pas possible.

- Ah bon ? Pourquoi ?

Jin prit une longue inspiration, comme s’il se préparait à rouvrir une blessure mal cicatrisée: “Xiao et notre fille ont été déportées il y a neuf ans vers la Communauté 5.”

Le choc sur le visage de Théo sembla authentique: “Quoi !? Pourquoi tu n’es pas parti avec elles ?

- C’est une longue histoire”. La voix de Jin se brisa légèrement. “Je te la raconterai une autre fois, si ça ne te dérange pas.

- Bien sûr. Désolé d’avoir abordé le sujet.

- Aucun souci. Jin se recomposa rapidement. ”Comment ça se passe dans la Plaine ? Tu travailles toujours ?

- Oui, je travaille encore. Ces derniers temps, c’est compliqué. Je bosse pour une entreprise appelée Omni, dit Théo

Jin hocha la tête. Il connaissait Omni. Tout le monde connaissait Omni.

- Il y a pas mal d’avantages à y travailler, continua Théo. “Mais c’est tendu en ce moment. Les locaux nous accusent de garder toutes les ressources pour nous et de ne rien partager.

- Ont-ils raison ?

Jin connaissait déjà la réponse, mais il voulait entendre Théo le dire.
- Ça, je ne peux pas le dire.

- Allez Théo, on est juste tous les deux ici... enfin, je crois. Jin jeta un regard méfiant autour de lui. “C’est compréhensible que les gens veuillent eux aussi une part du gâteau, non ?

La prudence de Jin était justifiée : les puces neuronales envoyaient et recevaient constamment des données. On ne savait jamais vraiment qui écoutait.

Théo esquissa un sourire, comme amusé par un message reçu à l’instant, mais reprit vite son sérieux : “Jin, tu sais bien que ces gens ne s’intéressent plus à rien. Ils ne travaillent plus. La plupart n’ont même plus de raison d’exister.

Jin ne put masquer son choc face au manque d’empathie de son ancien ami. Théo s’en rendit compte et tente de se rattraper : “Et puis, il faut reconnaître que le niveau de vie mondial s’est beaucoup amélioré grâce à Omni. Plus personne ne meurt de faim, on peut presque tout soigner, chaque partie du corps est remplaçable, on travaille seulement si on le veut, et il n’y a presque plus de fake news...

- Oui, le niveau de vie s’est amélioré. La voix de Jin se durcit. “Mais Omni a caché ses méthodes au début. Et maintenant qu’on connaît la vérité, je ne peux pas accepter de vivre mieux au détriment de ceux qui sont restés là-bas.

- Tu es resté quelqu’un de bien, Jin. Mais eux... Pourquoi restent-ils encore là ? C’est indécent.

- Je ne pense pas être quelqu’un de bien forcément, juste humain. Jin serre les poings. “Et je ne crois pas que ce soit vraiment leur choix. Avec la montée des eaux, les déportations, les révoltes et l’IA qui a pris le contrôle du quotidien... naître sous une bonne étoile n’a jamais été aussi déterminant.

- Tu n’as pas tort. Théo se pencha vers lui. “Mais toi ? Pourquoi es-tu encore ici ? Tu n’as jamais envisagé de venir dans la Plaine ?”

Jin plissa les yeux, soudain sur ses gardes. “Ah, on y arrive. Tu recrutes ?”

Théo ne nia pas : “Ce n’est pas si loin de la vérité. Le Conseil d’Administration veut officiellement que tu rejoignes Omni.

- Pourquoi moi ? Vous avez déjà d’excellents chirurgiens.

- Oui, mais aucun n’arrive à accomplir ce que veut le Conseil.

- Et que veulent-ils exactement ?

- Transférer un cerveau, ou au moins une conscience, dans un humanoïde.

Jin se cala dans son fauteuil, les implications de cette révélation se déployant dans son esprit comme les branches d’un arbre.

- Ah, donc ils ne veulent pas seulement des humanoïdes avec des émotions. Ils veulent l’immortalité. Est-ce vraiment bon pour l’humanité ?

- Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais tu as déjà travaillé là-dessus, non ?

- Oui... mais ça remonte.

Théo le fixa sans ciller. “Avec ton expertise et la technologie d’Omni, c’est faisable.

- Waouh, la pression. Jin tenta de plaisanter, mais sa voix trahit son malaise.

- Rien que le Jin que je connaissais ne puisse gérer.

- Alors si tu as gardé cette image de moi, tu sais aussi que je ne pourrais jamais travailler pour Omni. Trop d’avidité, trop peu de considération pour les autres.

- À ce sujet, le nouveau Conseil d’Administration a bien amélioré l’image d’Omni, je trouve.

- Pour moi, c’est juste de la communication. Dans les faits, ils n’ont rien changé à leur façon de faire.

- Là, je te trouve trop dur. Laisse-moi arranger une rencontre avec eux. Ça pourrait peut-être te faire changer d’avis. Théo se pencha davantage. “Ah, et inutile de te dire qu’ils te paieront très bien.

- Théo, ce n’est pas une question d’argent. Un scientifique peut travailler gratuitement s’il est convaincu du bien-fondé des travaux.

- C’est vrai”. Le ton de Théo se fit plus froid. “Garde juste à l’esprit que ce sont des gens extrêmement puissants. Annonce juste la couleur. Et là, je ne te demanda pas une réponse tout de suite, mais des offres comme celle-là ne se présentent pas tous les jours.”

Les neurones de Jin, amplifiés par sa puce neuronale, s’activèrent pour simuler tous les scénarios possibles. Images, probabilités, conséquences... tout défila à la vitesse de l’éclair dans son esprit augmenté.

- Tu as raison, Théo. C’est une offre intéressante. Il marqua une pause. “Mais je ne peux pas accepter.

- Ça marche, je n’insiste pas. Théo changea de sujet avec une désinvolture étudiée. “Dis-moi, si tu n’as pas travaillé sur le cerveau et la conscience, sur quoi bosses-tu ? Principalement des remplacements ?

- Oui, c’est ça. Des remplacements d’organes ou de membres. Ça va des fonctionnalités cybernétiques de base à des composants beaucoup plus évolués, évidemment dans la limite du légal.

- Évidemment. Théo sourit. “Donc tu as un permis ?

- Oui, bien sûr.

- Très bien. Théo se leva, imité par Jin. “Bon, je ne veux pas te déranger davantage, je vais y aller. Merci pour ton temps. Je suis encore en ville pour quelques jours. Si tu as des questions ou, mieux, si tu changes d’avis, n’hésite pas à me contacter. On peut aussi aller manger un morceau si ça te dit.

- Ça roule, merci bien. C’était bon de te revoir.

- Pareillement.

Les deux hommes se serrèrent la main, mais au moment où Jin tenta de se dégager, Théo maintint sa prise, le regardant droit dans les yeux avec une intensité troublante.

- Euh... ça va, Théo ?

- Euh, oui, désolé. Théo finit par relâcher la main de Jin, mais ses yeux gardèrent cette lueur étrange. “Réfléchis-y, s’il te plaît. Carte blanche. Merci encore.

Il quitta le bureau, laissant Jin avec un sentiment de malaise qu’il n’arrive pas à dissiper.

Prochainement : vivez le debrief de Théo avec son assistant dans ce futur lointain.

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