Jin et Théo patientèrent dans l'antichambre silencieuse. Soudain, un voyant lumineux au-dessus de la porte du bureau de Nathan passa au vert.

- Allons-y, annonça Theo.

Les deux hommes pénétrèrent dans le saint des saints. Jin remarqua immédiatement les deux gardes du corps imposants postés dans chaque angle de la pièce. Le mur du fond diffusait un paysage urbain si réaliste qu'on croyait la pièce située au sommet d'un gratte-ciel plutôt qu'à cinq kilomètres sous l'océan.

Nathan se leva pour les accueillir, sa voix calme contrastant avec l'atmosphère tendue.

- Bonjour messieurs. Il serra d’abord la main de Jin avec une courtoisie étudiée. “Ravi de faire votre connaissance, Docteur.

- Enchanté, Monsieur Jackson.

- Docteur Garnier, merci de nous avoir menés jusqu’ici. Laissez-nous maintenant.

- D’accord, répondit Théo, visiblement décontenancé par cette éviction soudaine.

Une fois seuls, Nathan et Jin prirent place dans les fauteuils de cuir.

- Tout d’abord, veuillez m’excuser pour l’incident de l’autre jour. Ce n’était définitivement pas une bonne idée d’essayer de vous amener ici par la force.

- Très bien, n’y pensons plus.

- Merci. Que pensez-vous de la Plaine jusqu’ici ? Avez-vous eu le temps de découvrir les alentours ?

- C’est vraiment magnifique, très loin de ce que j’imaginais initialement. C’est incroyable ce qu’on peut accomplir lorsqu’on ne se soucie pas d’autrui.

Nathan esquissa un sourire face à l’audace de Jin.

- Je peux comprendre votre point de vue et, croyez-moi, c’est une préoccupation constante pour moi. Je travaille avec le Conseil d’Administration d’Omni sur un plan qui corrigera cette situation. Nous aurons l’occasion d’en reparler plus tard.

- Monsieur Jackson, je sais que vous êtes un homme très occupé. Nous pourrions éviter les banalités et aller droit à l’essentiel.

- Très bien, Docteur Wu, je serai direct. Nathan se redresse, son masque de politesse tombant.

- Il me reste seulement quelques années à vivre. Les médecins ne sont pas certains du délai exact. Comme vous, j’ai survécu à la Sombre Peste, mais contrairement à vous, je ne peux pas me débarrasser des séquelles. Ne vous inquiétez pas, ce n’est plus contagieux. Cette maladie m’a dévoré vivant et la seule partie biologique qu’il me reste est mon cerveau.

Jin resta impassible, mais son regard s'intensifia.

- Vous aviez écrit un jour : Le cerveau est la dernière frontière. Aidez-moi à la franchir. Seriez-vous assez aimable de me dire votre prix ? ajouta Nathan.

Un silence pesant s’installa. Jin prit le temps de digérer cette révélation avant de répondre.

- Avant de parler de prix, ou plus simplement de mes demandes, j’ai une question personnelle à vous poser. Vous êtes déjà extrêmement fortuné, vous détenez un pouvoir immense et une zone d’influence sans égal. Pourquoi ne pas vous arrêter là ? Si je ne me trompe pas, vous avez une formation scientifique. Vous pourriez tout simplement mener vos recherches bénévolement, pour la beauté intrinsèque de la découverte. Pourquoi continuer à répondre aux actionnaires ?

Nathan, surpris par la profondeur de cette question, se laissa un moment de réflexion.

- Je dois vous avouer que… je ne sais pas. Peut-être est-ce l’habitude. Ou la peur du vide.

- Monsieur Jackson, merci pour votre honnêteté, répondit Jin, comprenant mieux le contexte du stress décrit par Théo la veille.

- Avant de poser mes conditions, par respect, je dois vous avertir qu’il n’y a aucune certitude dans cette recherche. Aucune promesse quant à la réussite du transfert de votre conscience.

- L’humilité dont vous faites preuve devrait vous aider dans cette quête, observe Nathan, visiblement satisfait d’entendre quelqu’un qui ne promet pas l’impossible.

- Cela dit, je peux essayer. Mes conditions sont simples. Première condition : je dois pouvoir travailler depuis chez moi. Nous pouvons convenir d’une fréquence de rapports réguliers. Deuxième condition : j’ai besoin de votre aide pour obtenir un vaisseau et l’autorisation d’atterrir sur la Communauté 5.

- D’accord pour la première condition. Concernant la seconde, je peux vous fournir un vaisseau. Mais je ne peux pas promettre d’obtenir l’autorisation d’atterrissage, car cela ne dépend pas entièrement de moi. Je peux essayer, bien sûr.

- C’est tout ce que je demande.

- Puis-je vous demander pourquoi un vaisseau ?

- En toute transparence, pour retrouver ma famille.

- Vous réalisez que vous avez dix ans de retard sur eux en termes de voyage spatial, sans même compter qu’ils continuent d’avancer pendant tout ce temps ?

- Bien sûr, mais les dernières avancées techniques permettent aux vaisseaux d’aller deux fois plus vite.

- C’était juste pour être certain, donc vous voulez nous quitter après avoir trouvé ?

- Oui. Jin s’arrêta et reprit : “À quoi pensiez-vous initialement lorsque vous avez évoqué le directeur de la Communauté 5 ?

- Je pensais davantage à un rapatriement de votre famille ici, répondit Nathan.

- Je préfère les revoir dans cinq ans que dans dix.

La vérité était surtout que Jin préférait être maître de son destin plutôt que de faire confiance à quelqu'un d'autre, qui plus est sans doute la dernière personne sur terre à qui faire confiance.

- Oui, mais que ferez-vous lorsque vous les aurez retrouvées ?

- Ça, l’espoir nous le dira.

- Ok, je vois, dit Nathan sceptique. “D’autres exigences ?

- Non, c’est déjà beaucoup. Je vous remercie pour votre temps.

Jin avait bien d'autres exigences plus philanthropiques, mais il savait que Nathan ne chercherait jamais à les honorer. Jin se leva donc et tendit la main pour prendre congé. Nathan se leva également et saisit la main tendue.

- C’est moi qui vous remercie, Docteur Wu.

Alors que leurs mains se serrèrent, Nathan ajouta d’une voix neutre :

- Maintenant, Julios.

En un mouvement d'une rapidité surnaturelle, l'un des humanoïdes se retrouva derrière Jin, le maintenant fermement par l'arrière du cou. Avant que Jin ne pût réagir, l'index droit de l'humanoïde s'allongea pour former une seringue et injecta un liquide métallique dans la partie supérieure gauche du muscle trapèze. La douleur fut si intense que Jin s'évanouit et s'effondra en arrière sur le fauteuil. Sous sa peau, le métal liquide se solidifiait sans laisser de cicatrice. Ce traceur permettrait à Nathan de localiser Jin et d'entendre tout ce qu'il dirait.

- Docteur Wu, vous ne pensiez tout de même pas que je vous laisserais repartir sans aucun moyen de vous suivre.

Ce qui terrifia le plus Jin, alors que la conscience l'abandonnait, ce n'était pas la trahison. C'était la facilité avec laquelle Nathan lui avait fait croire, même un instant, qu'il était encore humain. Nathan se tourna vers Julios : “Ramène-le à son bureau et préviens le Docteur Garnier et Alfonso de le retrouver dans une heure.

Prochainement : Sinesol émerveille Xiao et Mei : géante aux camaieux rouge et pourpre. Mais cette splendeur errante cache un secret effroyable.

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