Chapitre 8 : Pour l'amour d'Ernie
Note : Ce chapitre et le suivant ont été ajoutés au manusrit original pour étoffer un peu l'intrigue. Il s'agit donc de premiers jets, ce qui veut dire : moindre qualité (un peu répétitif je pense) et probable réécriture quand je trouverai le temps. Les remarques et conseils sont donc particulièrement bienvenus.
Pour ce qui était de souffrir de l'absence d'Ernie, Julien et sa mère s'y mirent vite et bien : lui songea tout de suite à un complot des Géants et elle sut immédiatement que son fils était en danger de mort ; lui enchaîna les nuits blanches et elle blanchit en une nuit ; lui maudit les Géants qu'il détestait depuis toujours et elle s'en remit à Dieu qu'elle priait depuis qu'Ernie avait survécu à la mort de son père.
Mais Julien, par ses imprécations répétées s'attira davantage de problèmes. Ce jour-là qu'Ernie avait comparaissait devant le Suprême Conseil, Julien s’assit docilement dans le fauteuil de marquage. Ledit fauteuil n’avait rien à voir avec ceux du Suprême Conseil. Ce n’était rien d’autre qu’une solide chaise à taille d’Homme, avec deux bras et quelques anneaux métalliques destinés à immobiliser le prisonnier. Les Géants n’avaient pas pris la peine de dépoussiérer cet instrument de torture de sorte que les vingt-cinq années passées dans une remise l’avaient couvert d’une épaisse couche grisâtre.
« C’est une chance que tu aies commis ton méfait ce mois-ci plutôt que le précédent, dit le Géant bourreau en refermant les deux premiers cercles de métal sur les chevilles de Julien. Quand je pense que j’ai pendu trois d’entre vous le trente-et-un août… Ah, c’était vraiment dommage. »
Julien se souvint alors de la colère qui l’avait rempli à l’exécution des trois pendus dont parlait le bourreau. Il ne les connaissait pas personnellement parce qu’ils habitaient une autre maison commune mais il avait été révolté qu’on les exécute la veille du premier jour d’une année d’Amendement. Un jour de plus et leur condamnation à immédiat trépas aurait été différée d’un an, comme la sienne.
Pourtant, l’indignation de Julien n’avait rien été en comparaison de la fureur qui l’avait saisi en découvrant la disparition l’Ernie.
« Alors comme ça tu es ici pour insubordination, continua le Géant comme s’il faisait la discussion à un client.
— Oui.
— C’est bête quand même. Depuis le temps que l’ordre des choses est établi, vous devriez avoir pris un peu de plomb dans la cervelle, non ? »
A ce semblant de question, Julien bouillit de répondre. De répondre que non, il ne prendrait jamais de plomb dans la cervelle ! que non, il n'avait pas commis de méfait qui justifie d'être marqué au fer rouge ! que non, Ernie non plus n'avait rien fait qui mérite la mort ! Ernie n'avait même jamais rien fait de mal, on ne pouvait pas lui faire le moindre reproche... Enfin si, il y avait cette fois où... et puis aussi sa manière de toujours... Bref, Ernie avait des tonnes de défauts… Mais c’était aussi pour eux qu’on l’aimait !
Mais Julien ne dit rien car le faire, cela aurait impliqué une torture plus longue, pire, cela aurait été découvrir ses sentiments intimes à un Géant, pire, cela aurait été courir le risque d'être condamné une nouvelle fois. Or, une année d'Amendement, la seconde condamnation valait immédiat trépas. Or, les condamnés à mort ne passaient pas par la case prison. Or, Julien espérait bien aller en prison. Ce fut donc pour pouvoir aller en prison qu'il se tut et se contenta, une fois le cou enserré dans l'affreux collier du fauteuil, de jeter un regard assassin au Géant qui s’en allait à la forge chercher le fer à marquer.
« Voilà, dit le bourreau en revenant, j’ai tout ce qu’il nous faut ! »
Il avait en effet à la main un grand tison dont l’extrémité avait été tellement chauffée qu’elle rayonnait d’un lueur jaune orangée.
« Je n’ai jamais fait ça sur un Homme, alors tu risques de déguster un peu mais surtout rappelle-toi de ne pas bouger. Ce serait un coup à t’éborgner sans le faire exprès. Pour évacuer la douleur, j’ai quand même prévu un bout de cuir. Mords là-dedans et tout se passera bien. »
Julien ouvrit donc la bouche et le Géant y introduisit un épais morceau de cuir, sans doute une chute grappillée chez le tanneur. Cette attention était destinée à calmer les nerfs de Julien, à lui éviter de crier si fort que tous les Hommes l'entendent et à l'empêcher de se briser les dents et serrant les mâchoires mais elle lui rappelait aussi à quel point il était en mauvaise posture : impuissant face à son bourreau et sur le point d'endurer un traitement qu'on répugnait à infliger aux animaux.
Julien mordit donc dans le cuir qui lui sembla comme salé et ferma les yeux par anticipation. Puis, il sentit deux gros doigts lui saisir le menton pour essayer de le maintenir en place en même temps que le métal ardent brûla son front sans prévenir. Aussitôt, ses dents s'enfoncèrent dans le cuir, ses bras tirèrent comme des forcenés sur les anneaux du fauteuil et ses jambes furent secouées de spasmes. Il lui fallut toute sa concentration pour ne pas se tordre comme un ver ni tourner la tête dans tous les sens.
La douleur résonnait dans tout le crâne de Julien et éclipsait totalement la souffrance de ses maxillaires crispés ou de ses poignets entamés par les entraves de métal. Quand le tison se retira, la peau calcinée s'arracha mais la douleur ne cessa pas. L'incendie continuait dans les chairs de Julien et avait même la fâcheuse tendance de se répandre.
Enfin, quand Julien rouvrit les yeux, les cils collés par les larmes, il vit la silhouette floue du Géant accroupi lui appliquer un linge mouillé sur le front. Ceci apaisa sa douleur et lui évita de perdre somplètement ses moyens. Le bourreau crut bon d'ajouter à ses soins quelques compliments :
« Bravo, petit bonhomme, tu n'as pas du tout bougé ! C'est très bien. Tu as été très courageux. »
En d'autres cironstances, Julien aurait crié qu'il avait passé l'âge de ce genre de remarques, que les Hommes n'étaient pas des enfants... Mais cette fois-ci, au milieu de la souffrance, il n'avait qu'une pensée : Tiens bon, Ernie, j'arrive.
Après avoir rincé le linge plusieurs fois, le Géant pansa la plaie de Julien et lui recommanda de n'y toucher sous aucun prétexte avant de le libérer et de l'envoyer aux champs. Travailler en cette chaude journée de septembre avec une telle blessure était au-delà des forces de Julien mais il savait savait pouvoir compter sur les autres pour faire sa part de corvées. Il passa donc l'après-midi avachi bien à l'ombre dans la cabane à outils, à moitié inconscient.
Le soir, le Géant bourreau, qui était aussi geôlier, l'escorta jusqu'à la prison, située dans les sous-sols de l'administration. Il n’avait jamais mis les pieds dans cette partie souterraine du bâtiment mais il avait entendu dire que tous ceux qui y étaient passés, c’est-à-dire essentiellement des condamnés à immédiat trépas ou des prisonniers pendant les années d’Amendement, avaient trouvé le lieu humide, obscur et infesté de bestioles effrayantes.
Il constata vite que le couloir dans lequel il avançait, était seulement éclairé de quelques soupiraux et puait la moisissure. Mais, pour le moment, il ne voyait pas de vermine et il en était soulagé, surtout pour son frère : jamais Ernie n’aurait supporté d’être enfermé avec de gros cafards ou des gre-rats.
« Et voici tes nouveaux appartements, Monsieur, ironisa le Géant en ouvrant l’épaisse porte en bois de la seule cellule de Témor-la-Petite. Je viendrai te chercher demain matin pour te laisser travailler. Je t’ai mis une miche de pain à côté de la porte pour ce soir. »
Julien prit une grande respiration et entra. Derrière lui, la porte se ferma et tout fut noir. Enfin, il allait en avoir le coeur net car, en toute hypothèse, soit les Géants avaient dit la vérité et Erniemoisissait dans cettecellule depuis près d'une semaine, soit les Géants l'avaient tué et se fabriquaient un mensonge pour annoncer sa mort.
« Ernie ? Ernie ? »
Les murs absorbèrent les appels de Julien et aucun Ernie ne lui répondit. A tâtons, il fit le tour de la pièce qui était assez grande pour accueillir dix ou douze personnes et où ils seraient certainement une trentaine en août. Trois fois il la parcourut dans chaque sens de rotation avant de se mettre à quatre pattes puis sonder tous les murs à la recherche d'un recoin. Mais partout il n’y avait que la pierre nue et, par terre, de la paille moisie où couraient les petites pattes de bestioles effrayées.
Alors Julien se résigna et s'assit au milieu de la pièce borgne, le menton sur la poitrine. Une larme unique roula sur sa joue et disparut dans son cou. A partir de ce jour, commença le deuil de son frère. Julien en effet connaissait trop bien Enie pour svoir qu'il ne s'était pas évadé et qu'ilétait donc forcément mort.
Ce soir-là, Corine pleura l'enfermement de son Julien et, dès le lendemain, quand celui-ci confirma qu'Ernie n'avait pas été emprisonné, elle n'arrêta plus de pier pour le retour de Perto. Le Géant l'avait en effet prévenue le matin même du jour où Ernie avait disparu et lui avait recommandé de ne pas s'inquiéter avant de disparaître à son tour. Et le lendemain matin, il était réapparu, exténué d'un dur voyage à pied. Perto avait alors promis à Corine de ne pas revenir sans son fils et il était aussitôt reparti sur un gre-cheval qu'il avait acheté à prix d'or.
Julien disait que Perto avait fait une fausse promesse et qu'il ne faisait pas exception à la cruauté proverbiale des Géants mais Corine croyait l'inverse et s'attachait à ce dernier espoir comme un naufragé à la branche morte qui retarde sa noyade.
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