Chapitre 9 : Perto, deuxième du nom

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Ernie attendait depuis une bonne demi-heure quand un Géant entra dans l’antichambre du Conseil. Avec son air coincé et sa moustache sévère, le maire du palais ne passait pas inaperçu. Les gardes et l’aboyeur se mirent au garde-à-vous et Ernie se leva.

« Monsieur Thiry, salua le maire du palais après s’être beaucoup penché pour lui serrer la main, vous n’avez toujours pas été reçu par les conseillers ?

— Oh si, Monsieur le Maire du palais, mais il m’ont prié de sortir pour parler avec Perto.

— Perto ? Le Géant deuxième du nom qui vous a extrait du Département des Hommes et à qui j’ai ordonné au nom de Sa Majesté de rentrer chez lui ?

— Euh… oui.

— Le Suprême Conseil l’avait convoqué ?

— Non, mais…

— Les conseillers ont interrompu la séance pour l’envoyer chercher ?

— Non, il est entré et... »

Le maire du palais n’écouta pas plus longtemps les explications d’Ernie et se tourna vers les gardes et l’aboyeur.

« Lieutenant, préparez-vous à être dégradé dans la semaine. Vous n’êtes manifestement pas capable d’assumer vos fonctions. Je vous attends tous les trois dans mon bureau à quinze heures, ainsi que le responsable de garnison de la citadelle pour déterminer les responsabilités de chacun. Et si le Conseil tient séance cet après-midi, d’autres que vous rempliront votre office. En attendant, je vous interdis formellement de laisser entrer encore une fois une personne qui ne figure pas à l’ordre du jour dressé par le greffier.

« Votre comportement aurait pu coûter la vie à notre roi ou à n’importe quel conseiller. »

Le maire du palais ne s’était pas emporté pendant sa réprimande, son visage n’avait ni gagné ni perdu en sérieux, son ton était demeuré détaché, déclaratif mais le lieutenant n’osa pas répondre autre chose que :

« Oui, Monsieur le Maire du palais. »

L’autre garde et l’aboyeur baissèrent les yeux sans rien ajouter.

« Lieutenant, savez-vous si le Suprême Conseil est sur le point de terminer lever la séance ?

— Je l’ignore, Monsieur le Maire du palais. Les conseillers ne se sont pas manifestés depuis qu’ils sont entrés ce matin.

— Bien, j’attendrai. »

Le maire du palais reprit revint ensuite à Ernie et éclaira son visage d’un grand sourire comme si de rien n’était.

« Asseyons-nous et attendons ensemble. La séance s’est bien passée ?

— Oui, très bien, Monsieur le Maire du palais. Vos avertissements m’ont été très utiles. »

Ernie ne précisa pas qu’il avait failli tout faire capoter en refusant de remplir seul la mission que les conseillers avaient voulu lui confier et dit seulement :

« Apparemment le Suprême Conseil voudrait que moi et Perto…

— Chut ! taisez-vous, malheureux, on pourrait nous entendre, le coupa le maire du palais. En plus les délibération du Conseil sont secrètes tant qu’elles ne sont publiées. Je saurai en temps utile ce que le Conseil a décidé. »

Puis le maire du palais se plia en deux pour chuchoter à l’oreille d’Ernie :

« Enfin, entre nous, est-ce que je dois comprendre de ce que vous m’avez dit tout à l’heure que Perto, deuxième du nom, a interrompu le Conseil sans être inquiété ?

— Je crois qu’ils en discutent justement en ce moment.

— Alors c’est bon signe car le tradition veut que quiconque traverse ses portes sans autorisation ne les retraverse pas pour sortir.

— Comment ça ?

— En principe, le coupable est précipité par celui des vitraux qui est monté sur des gonds.

— C’est fréquent ? s’inquiéta Ernie.

— Pensez-vous ! Personne ne s’y est risqué depuis une éternité. Héhé, il n’y a pas de sanction plus efficace que celle qu’on met à exécution systématiquement. »

Ce précepte, observé par les Géants à l’encontre des Hommes, n’étonnait pas Ernie le moins du monde. Il espérait cependant que Perto serait plus chanceux et que les conseillers trouveraient cette sanction trop cruelle et désuète pour être appliquée. Voyant que le maire du palais se redressait et signifiait ainsi que le sujet sensible était clos, il sauta du coq à l’âne et demanda :

« Vous parlez de Perto en précisant qu’il est deuxième du nom, pourquoi ?

— Parce qu’il l’est.

— S’agit-il là d’un titre ?

— Non, pas à proprement parler. Les titres n’existent plus en dehors de ceux de la famille royale. Vous savez comment se donnent les noms chez nous ?

— Dans les grandes lignes. Si j’ai bien compris, le fils porte le nom de son père avec un diminutif en -ion jusqu’à la mort de son père. Et ensuite, il porte le nom de son père. ce qui fait qu’il n’y pas de prénom mais seulement un nom de famille.

— Tout à fait. Et le fils cadet ?

— Le cadet prend le nom de sa mère en remplaçant le -a par un -o. Et pour les filles, c’est l’inverse.

— Très bien, mais que fait-on si un couple a trois filles ou trois fils ?

— Je ne sais pas, répondit Ernie qui ne se souvenait pas que Perto soit assez aussi loin dans ses explications. J’imagine qu’on doit créer un nouveau nom ou donner un nom déjà porté par d’autres Géants.

— Pas du tout. Les benjamins prennent un nom disparu mais qui a déjà existé. »

Le Géant regarda Ernie comme s’il attendait une déduction particulière.

« Dans ce cas, tenta Ernie, aucun nouveau nom n’est jamais créer. Donc on ne devrait pas pouvoir être le deuxième Géant à porter un nom,

— Effectivement. Porter un nom récent est donc quelque chose de rare. Cela ne se produit que quand le roi crée un nouveau nom, pour récompenser un sujet.

— Donc le roi a récompensé le père ou la mère de Perto.

— Oui, mais je ne vous en dirai pas plus. Seul Perto pourra le faire s’il le désire. »

Ernie attendit donc avec encore plus d’impatience le retour de Perto même si, cette fois, l’attente fut beaucoup plus courte puisque bientôt les portes s’ouvraient sur le Géant. Celui-ci s’avança et salua le maire du palais qui s’en allait vers la Salle du Conseil, sans doute pour parler avec Togor.

« Alors ! s’exclama Perto en soulevant Ernie pour l’embrasser, tout va pour le mieux finalement !

— Oui, je… commença Ernie.

— Tais-toi pour l’instant, l’interrompit Perto, nous parlerons quand nous serons seuls. »

Des yeux, il désignait les deux gardes et l’aboyeur qui étaient toujours en faction dans son dos. Sans perdre de temps, ils allèrent donc dans la chambre luxueuse d’Ernie que Perto fouilla rapidement avant de reprendre à voix basse :

« Désolé mais à présent il faudra toujours prendre garde à ne pas dire n’importe quoi devant n’importe qui. Les secrets du Suprême Conseil doivent le rester.

— Tu avais peur que les soldats nous espionnent ?

— Eux ou n’importe qui. Ernie, il faut que tu comprennes qu’il y a des fous dangereux parmi les Hylves – ceux qu’on appelle captistes – qui cherchent tout prix à faire la peau aux Hommes, et donc à toi. Je ne veux prendre aucun risque.

— Mais ils ne peuvent pas savoir. Et puis, il n’y a que des Géants ici.

— Premièrement, les captistes ne sont pas exclusivement des Hylves et, deuxièmement, ils disposent de réseaux de renseignements très développés et très puissants. Tous les Hommes évadés au cours des derniers siècles ont été capturés, exposés en place publique, torturés pendant très longtemps pour certains et tués. Tous tués, Ernie, tu m’entends ?

— Et vous ne nous l’avez jamais dit ! s’exclama Ernie qui s’imaginait tout à coup le sort de gens un sanguins comme son frère Julien qui parlait fréquemment d’organiser la révolution ou une évasion.

— Le dire serait admettre qu’il y a des évasions et les Hommes s’imagineraient que ce sont des mensonges pour les dissuader de s’évader.

— Attends, il y en a eu beaucoup des évasions ?

— Depuis une bonne quinzaine d’années, toutes les tentatives ont été arrêtées par les Géants. Mais autrefois, la surveillance était moins efficace et il y en avait régulièrement.

— Mais combien de divisions y a-t-il eu ?

— Très peu, seulement quand les Hommes du villages savaient qu’il y avait eu une évasion ou une tentative d’évasion. Le reste du temps, le fugitif arrêté était pendu en cachette et les Hommes étaient avisés d’un décès accidentel. »

Ernie mit du temps à digérer la nouvelle. Certes, il était heureux que les Géants n’aient pas divisé tous les villages d’évadés. Mais savoir qu’il y avait eu de nombreuses exécutions pour garder ce secret et dissuader les Hommes de faire le mur l’attristait beaucoup. Si seulement on avait pu leur dire la vérité tout en s’assurant qu’ils n’imaginent pas un complot…

« Et donc tu dis que les évadés sont exposés et torturés…

— Oui, la plupart des organisations captistes attrapent l’Homme évadé et le ramènent jusqu’à leur capitale d’Elfcureuil où ils l’attachent aux poteaux de la grand-place et lui font endurer des mauvais traitements pendant des jours ou des semaines voire des années, jusqu’à la mort.

— Et ils veulent ma peau, quelle bonne nouvelle !

— Depuis quelques années, certaines organisations sont encore plus extrêmes et veulent tuer l’évadé de leurs propres mains. Paradoxalement, c’est moins douloureux pour la victime.

— C’est supposé me remonter le moral ?

— Non, il ne faut pas trop t’en faire non plus : ta situation est très différente puisque tu es sorti du Département sans bruit et le Suprême Conseil n’éventera pas le secret. En plus, tu voyageras avec moi donc tu éviteras de commettre les mêmes bourdes que les évadés précédents qui se sont probablement tous jetés dans la gueule du loup. »

De tous ces arguments, seul le fait d’être escorté de Perto rassurait vraiment Ernie car le Géant était vraiment digne de confiance. N’avait-il pas risqué sa vie en volant au secours d’Ernie devant le Suprême Conseil ? A cette question, Perto répondit modestement :

« Je me doutais bien qu’ils ne me défenestreraient pas pour si peu et il fallait que je me rattrape vis-à-vis de toi…

— Mais comment as-tu su ce que nous disions ? s’enquit Ernie. Tu espionnais derrière la porte ?

— Non, en fait, je me suis faufilé jusqu’à la citadelle puis jusqu’à l’antichambre grâce à la lettre du roi qui disait que je devais te ramener. Et ensuite, j’ai attendu devant la Salle du Conseil. Je n’entendais rien de ce qui se disait car je suppose que tu étais assis à la table du Conseil et que vous parliez normalement. C’est seulement quand tu t’es rapproché de la sortie et que tu as interpellé les conseillers que j’ai entendu vos éclats de voix.

— Je crois que tu m’as sauvé la vie sur ce coup-là. »

Perto ne répondit rien, il n’était pas du genre à s’étendre, surtout quand il avait agi pour se faire pardonner. Puis Ernie repensa à sa discussion avec le maire du palais et dit :

« Le roi semblait bien te connaître. C’est parce que tu es deuxième du nom ? »

Perto parut surpris et dévisagea Ernie avant de répondre :

« Oui, mais ce n’est pas vraiment important. Le roi connaissait surtout mon père. »

Ce qui signifiait pour Ernie : c’est important pour moi mais pas pour toi, ce sont des affaires de famille que je n’aime pas raconter. Et pour marquer son intention, le Géant changea de sujet :

« Au fait, le Conseil a décidé que tu devrais t’occuper pendant ton voyage de trouver des gens qui viennent témoigner l’an prochain que la Reportation des Hommes serait une bonne idée. Pour bien faire, il faudrait que tu trouves des gens de pays différents, surtout ceux dont les conseillers sont indécis.

— Et je suis sensé faire comment si je ne peux pas dire que je suis un Homme ?

— A toi de voir. Les conseillers ont insisté sur le fait que je devais m’en mêler le moins possible. Mais je te conseillerais de demander d’abord leur opinion aux gens que tu penses susceptibles de témoigner avant de leur exposer ton cas. »

Ernie soupira : pourquoi fallait-il toujours ajouter de la difficulté à la difficulté ?

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