Chapitre 13 : Un juste plan
Chapitre 13 : Un juste plan
Édouard Vergne fronça le nez quand il sentit la morsure du froid. La douce chaleur du Lion d’or lui manquait déjà. Devant lui, le couple Hauton ouvrait la marche avec une torche et derrière lui, Maxime Hachorre, un jeune Hylve qui était boucher depuis quelques années, refermait déjà la porte de l’auberge.
Stéphane Hauton commanda :
« Maxime, fais ce que tu as à faire avec la gre-bestiole et tous les trois nous allons chercher les chevaux et harnacher le traîneau. »
Aussitôt dit aussitôt fait, Édouard et les Hauton allèrent prendre leurs bêtes tandis que Maxime s’éloignait de l’autre côté, là où se reposait la jument de l’évadé et de son Géant de compagnie. Édouard entendit un hennissement s’élever de derrière l’auberge : le jeune boucher avait rempli son office. En principe, il devait blesser la bête à la jambe, de manière assez profonde pour être efficace mais assez légère pour que ni l’évadé ni le Géant ne s’en rendent compte et qu’ils puissent prendre la route le lendemain.
Maxime surgit quelques secondes plus tard :
« C’est fait !
— Alors en route, nous n’avons pas de temps à perdre ! » lança Stéphane Hauton qui avait pris place dans son traîneau avec sa femme tandis que Maxime et Édouard se mettaient en selle.
Et ils partirent tous les quatre en direction des ruines de l’Ours grelotteux.
Édouard ne pouvait pas s’empêcher de fulminer intérieurement. Si le Maître lui avait fait confiance, ils auraient attaqué bien avant : à la Muraille bleue par exemple, où ils avaient trouvé l’évadé pour la première fois ou dans n’importe quelle auberge, quitte à les suivre à la trace. Mais non, le Maître préférait Stéphane Hauton, le grand stratège de la République, qui avait repoussé l’attaque jusqu’au Lion d’or et dont la philosophie se résumait à progresser lentement pour avancer sûrement.
Quand Stéphane avait annoncé ce plan stupide par lequel il entendait diviser ses propres forces pour prendre l’évadé en étau dans le Hochstenberg, Édouard lui avait pourtant fait part de ses réticences, entre quatre yeux.
« Mon petit Édouard, avait répondu Stéphane comme l’aurait fait le Maître, tu as encore beaucoup à apprendre en stratégie. Ton plan – si l’on peut vraiment parler de plan – n’est pas mauvais en soi : à quatorze, nous aurions de bonnes chances de l’emporter. Mais la taille des Géants fait leur force et celui qui accompagne l’évadé est particulièrement… géant. Un bon chef ne peut pas envoyer ses hommes au combat s’il sait que la plupart risquent d’y perdre la vie. Surtout quand il connaît des moyens beaucoup plus sûrs. Une stratégie, c’est comme un discours : on croit qu’il suffit de connaître l’idée à faire passer pour le construire mais en réalité, ce n’est pas la destination qui importe : c’est l’itinéraire choisi.
— Un itinéraire dans un discours ? avait répété Édouard dubitativement.
— Oui, il y a même des milliers d’itinéraires possibles. Par exemple, imaginons que je veuille convaincre un homme de brûler la maison de son voisin parce qu’il est mon pire ennemi…
— Tu voudrais te servir d’un autre pour tes propres fins ? avait coupé Édouard en pensant à ce que lui avait dit le Maître.
— Oui, bien sûr, c’est élémentaire d’avancer couvert. Mais revenons à mon discours : pour convaincre cet homme – le résultat – il faut que j’utilise toute une palette d’émotions pour le faire passer à l’action – ce sont les itinéraires. Je dois alors les étudier et choisir le meilleur. Par exemple : un petit peu de haine, de l’injustice, de nouveau de la haine, un peu de d’invulnérabilité, beaucoup d’injustice, de la banalisation et enfin de la haine. Mais on aurait pu ajouter de la révolte contre la République incapable de sanctionner les délinquants comme le voisin et ainsi de suite…
— C’est machiavélique !
— C’est toi qui le dis. Mais attends, je n’ai pas fini. Parmi le peu de gens qui savent façonner un discours ou une stratégie militaire convenablement, il y en a encore une bonne partie qui oublient la dernière étape, comme toi : il faut aussi étudier tous les itinéraires de secours. Parfois, un plan peut sembler excellent, mais il recèle une faiblesse en lui-même, comme le tien, qui ne peut pas être vaincue. Dans ton cas, la faiblesse se trouve à deux niveau : premièrement, il y a beaucoup d’incertitudes sur la manière dont se déroulerait ton attaque et sur tout ce qui pourrait la faire échouer et deuxièmement, ton plan ne tolérerait pas l’échec. Si tu échouais, tu perdrais peut-être la moitié des Vengeurs et surtout, l’évadé ne se comporterait plus jamais de la même manière. Il deviendrait quasi impossible à attraper.
— Et ce n’est pas le cas de ton plan ?
— Non. Mon attaque surviendra après des heures de marche dans le froid donc le Géant ne sera qu’à moitié en état de se battre. Ensuite, s’il décide de descendre avec l’évadé, ils tomberont sur huit Vengeurs en pleine forme et cachés dans un défilé : aucune chance pour eux. Et s’ils continuent de monter, leur effort sera encore plus grand surtout pour le gros balourd contre qui sa taille se retournera, ils passeront alors devant l’Ours grelotteux et là, ma femme les accueillera avec des flèches. Et il y aura nous trois au cas où il faudrait un corps à corps. Enfin, si, par extraordinaire, ils passent par un autre chemin, ils ne se douteront même pas qu’un piège leur était tendu et nous pourrons les attaquer plus tard. D’ailleurs, j’ai déjà prévu ce genre de cas de figure et j’ai pour l’instant quatre autres manières de reprendre le contrôle des événements en cas d’échec. »
Malgré cette démonstration, Édouard avait refusé de considérer que le plan était parfait. Cependant, il ne lui voyait pas beaucoup de points faibles.
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