Chapitre 33 : Le drame de Stéphane Hauton
Clac ! Clac ! Clac !
Lucie agrippa l’épaule de Papa. Il l’avait soulevée bien haut pour qu’elle voie par-dessus les adultes le méchant Homme qu’on fouettait.
Clac ! Clac !
Le fouet fendait les airs tellement vite qu’il disparaissait presque et il claquait tellement fort que Lucie était obligée de se boucher les oreilles.
Clac ! Clac ! Clac !
Au début, Lucie avait eu du mal à comprendre en quoi consistait cette punition – la flagellation, disait Papa. Le méchant Homme ne criait pas, ne pleurait pas : on entendait à peine quelques gémissements entre les coups. Et puis Lucie avait enfin saisi quand elle avait aperçu le machin-truc dans lequel le méchant Homme enfonçait les crocs comme un chien enragé. Ce devait être pour ne pas hurler ou pour ne pas se mordre la langue.
Clac !
Cette fois, Lucie remarqua que le dos de l’Homme se cambrait et se raidissait à chaque fois que le fouet léchait sa peau nue et déchirée. Alors Lucie eut l’exacte sensation de ce qu’elle voyait.
Clac !
La douleur était instantanée ; elle glissait le long du dos en diagonale, de l’épaule à la hanche ; elle arrachait tout ; elle brûlait les chairs ; elle irradiait toute la colonne vertébrale ; elle remplaçait tout le reste et elle hurlait au cerveau quelque chose qui ressemblait à : Souffrance !
Clac ! Clac…
Au premier hurlement de mort s’en joignait un second, un troisième : Souffrance ! Souffrance ! Lucie se mit alors à pleurer toutes les larmes de son corps. Papa râla et Maman, à côté, murmura des mots gentils mais Lucie était trop envahie de compassion pour s’en rendre compte.
***
Le désarroi de Stéphane Hauton était à son comble.
« Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ! On l’a bien éduquée, non ?
— Je ne pense pas que ce soit une question d’éducation, répondit Louise en enfilant sa chemise de nuit. Elle a quatre ans, et son esprit est encore très impressionnable.
— Mais il y avait d’autres mômes à la cérémonie. Ils n’ont pas chialé, eux !
— Heureusement que tous les enfants ne sont pas pareils !
— Sur ce point, c’est un peu dommage quand même. C’est ma fille punaise, elle pourrait me ressembler un peu quand même !
— Ne crie pas comme ça, tu vas la réveiller.
— A quatre ans, elle me trahit déjà, pesta Stéphane en baissant un peu le ton. A croire que la fidélité n’existe plus !
— Hé ! »
Cette fois, ce fut Louise qui éleva la voix et Stéphane devait reconnaître qu’elle n’avait pas tort d’être vexée : elle l’avait toujours soutenu et avait mérité plus d’égards.
« Pardon, je ne voulais pas dire ça.
— Tais-toi, ça vaudra mieux, répliqua Louise. Lucie est ton trésor autant que le mien et tu te comportes avec elle comme un juge. Pourquoi est-ce que tu ne te contentes pas de l’aimer ? Pourquoi faut-il que tu te plaignes tout le temps ? Et surtout, pourquoi toujours en revenir nos vieux souvenirs ? Nous nous sommes choisis et nous avons envoyé promener ceux qui ont voulu nous en dissuader, voilà tout. Et maintenant nous sommes tous les trois avec Lucie et nous nous aimons. Que veux-tu de plus ?
— C’est seulement que j’ai… »
Stéphane n’était pas sûr de son sentiment mais Louise comprit avant lui :
« Tu as peur, c’est ça ? Tu as peur que ça se reproduise, tu as peur de devoir te séparer de celles que tu aimes ?
— Oui, je t’ai choisie et je te préfère plus que tout ; et Lucie aussi. Qu’est-ce que je vais faire si…
— Si Lucie devient anticaptiste et que je le redeviens à son contact ? »
Cette hypothèse déchirait le cœur de Stéphane comme une boule de pain. Au milieu, la chair était à l’air, vulnérable comme jamais. Stéphane avait déjà renoncé à une carrière politique et à son meilleur ami pour s’unir à Louise mais comment pourrait-il un jour renoncer au captisme ? C’était son identité…
« Écoute mon amour, ne te tracasse pas avec tout ça et mets plutôt le captisme entre parenthèses. Maintenant que l’évadé a été attrapé, le captisme est au point mort ; profite plutôt de ta famille en attendant. Il sera bien assez tôt pour se faire de la bile le jour où Lucie nous fera une crise d’adolescence. »
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