Chapitre 37 : La Perta

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Ernie tomba du gre-dromadaire dans un hurlement terrible. La douleur, instantanée et inattendue, était épouvantable et effaçait totalement les menues blessures qu’il se fit en atterrissant sur le sable du désert. Il avait l’impression qu’on lui enfonçait un clou dans la mâchoire à grands coups de marteau. Pourtant, il lui arrivait l’exact inverse puisque sa dent de sagesse inférieure droite, loin de s’enfoncer dans ses chairs, remuait pour s’extraire de son maxillaire et percer sa gencive.

Sur le coup, Ernie avait fermé les yeux par réflexe. Il les rouvrit très vite et ce qu’il vit l’effraya : il n’était plus dans le désert de la Perta mais à genoux dans une cave étonnamment luxueuse. Ses bras (mais étaient-ce vraiment les siens ?) étaient tendus en avant pour tenir un flacon rempli d’une eau sombre et tourbillonnante. En face de lui, le consul Cédric Vergne se tenait debout dans sa toge et assistait à la scène avec beaucoup de concentration. Au fond de la pièce, de nombreuses étagères contenaient des produits très bizarres.

« Ernie ! Où as-tu mal ? »

La voix de Perto semblait surgir de nulle part. Où qu’il tourne la tête, Ernie voyait toujours la même chose, il en fut pris de vertige.

« Gamin ! Je suis là ! Où as-tu mal ? »

Comme Ernie ne se sentait pas la force d’arrêter de crier, il fit des gestes pour montrer sa bouche, en bas à droite. Les bras qu’il se voyait ne bougèrent pas mais ses sensations lui indiquaient que les vrais lui avaient obéi.

« C’est dans la bouche ? »

Ernie opina du mieux qu’il put.

« La dent de tout derrière ? »

Oui. Perto pouvait dire « dent de sagesse », Ernie n’avait plus quatre ans !

« Alors ne la laisse surtout pas sortir ! SURTOUT PAS ! »

Comment Ernie était-il supposé faire ? Il sentait déjà sa gencive s’ouvrir…

« Résiste, gamin ! Si elle sort, tu es mort ! »

Perto essayait-il de l’encourager ? Dans les yeux d’Ernie, la panique et la souffrance formaient de petites perles qui coulaient sur ses joues. Pourtant, sa vision de la cave était toujours parfaite. Ces yeux-là ne devaient pas lui appartenir non plus.

« Et merde ! Ne referme surtout pas maintenant ! » lança Perto.

Ernie n’eut pas le temps de se demander de quoi le Géant lui parlait que deux doigts immenses lui entrèrent dans la bouche pour maintenir sa dent en place. En temps normal, il aurait mordu mais comme il hurlait sans discontinuer, il demeura la bouche ouverte, ses cris un peu atténués par les gros doigts de Perto.

Pendant bien trop longtemps à son goût, la dent d’Ernie se battit contre Perto qui répétait autant pour lui-même qu’autre chose :

« Tiens bon, gamin ! Tiens bon ! »

Enfin, les deux bras qui tenaient la potion s’effondrèrent et la bouche du consul Vergne se tordit de colère. Le supplice cessa alors et Ernie se laissa tomber sur le sable brûlant de la Perta.

« C’est bon, c’est fini, Ernie. » dit la voix d’un Perto extrêmement soulagé.

Exténué, Ernie resta inerte un moment, seulement concentré sur sa respiration saccadée et sur son cœur enflammé qui prouvaient qu’il était toujours en vie. Le Géant le porta ensuite sur le dromadaire et il se calma peu à peu quand ce vaisseau du désert reprit sa cadence régulière.

Après une petite heure de somnolence, Ernie se redressa et rouvrit les yeux. Le soleil était un peu plus bas que dans son dernier souvenir mais à part cela, rien n’avait changé : Benjamin était tout devant, assis entre les oreilles du gre-dromadaire, Lucie était à l’avant de la bosse, Perto au milieu et Ernie à l’arrière, juste au-dessus des maigres bagages.

« Perto, que s’est-il passé ? demanda Ernie.

— Une attaque de magie tribale.

— Pardon ? De la magie tribale ? Tu veux dire que c’est gigant ?

— Oui. Tu sais comme moi que les Gigants sont un peu à part. Ils ne sont pas reconnus par le Suprême Conseil ni par aucun peuple et ils sont en principe soumis à l’autorité de Togor. Mais en réalité, c’est plus complexe. Comme ils sont les seuls à habiter le désert de la Perta et que nous, les Géants, les laissons tranquilles, ils agissent de leur côté comme un vrai peuple.

— Mais pourquoi le consul utiliserait-il leur magie ?

— Quel consul ? demanda Benjamin qui avait déjà rappliqué.

— C’est Cédric Vergne qui m’a attaqué.

— Comment le sais-tu ? s’exclama Perto.

— Je l’ai vu, pardi !

— Ah bon ? Tout ce que nous avons vu, nous, c’était toi qui te tortillais sur le sol comme un moustique pris dans de la confiture, dit Lucie en se tournant vers eux.

— Eh bien moi, expliqua Ernie, j’ai vu Cédric Vergne debout dans une cave entouré d’objets et de fioles bizarres tandis que les bras de quelqu’un – dans les yeux de qui j’étais apparemment – tenaient une potion noire qui faisait des bulles. »

Le Géant, l’Hylve et l’Escureuil se regardèrent, incrédules.

« Cela ressemblait à l’antre d’un sorcier ? demanda Benjamin.

— Oui, mais drôlement bien organisé.

— Alors il se pourrait que Cédric Vergne ait été chez le Maître.

— Ou que ce soit lui, le Maître, remarqua Lucie. Mon père avait déjà émis cette hypothèse. Lui-même était captiste convaincu et, normalement, il aurait dû adorer le Maître. Mais ma mère et lui ne l’appréciaient pas vraiment car ils trouvaient que ses manières ressemblaient trop à celles de Cédric Vergne quand il était jeune.

— Tes parents connaissaient Cédric Vergne ? s’étonna Benjamin.

— Oui, mon père surtout. Il a fait l’école militaire avec lui et à cette époque-là, il fréquentait déjà ma mère – qui n’était pas dans cette école naturellement ! Il était très ami avec Vergne jusqu’au jour où cette ordure lui a dit de laisser tomber ma mère parce qu’elle n’était pas captiste. Les Vergne sont dérangés sur le sujet : Édouard a essayé de m’embrasser une fois !

— Oh, le… le… ! s’exclama Ernie.

— C’est ce que je lui ai dit, approuva Lucie. Mais revenons à nos moutons : à l’époque, Cédric Vergne était encore plus radical que mon père. C’est la raison pour laquelle ses débuts modérés en politique ont beaucoup surpris mon père. En fait, du point du vue de sa personnalité, Cédric Vergne ressemblait plus au Maître qu’il ne se ressemblait à lui-même. Tout serait expliqué s’il était ces deux personnes à la fois.

— On ne pourrait pas s’en servir contre lui au Suprême Conseil ? demanda Ernie.

— Surtout pas, dit Perto sans hésiter. Les conseillers ne supportent pas les accusations non étayées. Si nous n’avons pas de preuves, il faut nous taire à ce sujet. Sinon, ils croiront que nous essayons de discréditer un adversaire avec des arguments déloyaux. En revanche, il faut en retenir une chose importante : les Gigants sont peut-être à la solde de notre ennemi. Cette magie, Vergne – ou le Maître si ce n’est pas lui – ne peut la connaître que si les Gigants la lui ont enseignée.

— Mais comment en sais-tu autant sur les Gigants et la Perta ? s’enquit Ernie qui avait remarqué depuis le début de leur traversée du désert que Perto en connaissait encore plus sur ce peuple et cet endroit que sur n’importe quel autre.

— Rappelle-moi comment je m’appelle. »

Perto. Perta. Ernie se sentit stupide de ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt.

« Tu dis toujours que je te cache des choses alors je vais t’en dire une : je suis Perto, deuxième du nom, parce que mon père Perto, premier du nom, était le commissaire de Togor XV en Perta. Avant ma naissance et pendant mon enfance, il a été la cheville ouvrière du rapprochement pacifique entre Gigants et Géants. Quand il est mort, le roi lui a donné à titre posthume le nom de Perto et moi, je suis le deuxième à le porter.

— C’est la raison pour laquelle tu connais si bien les Gigants et leur magie ?

— Oui, ils ont des rites et des croyances variés. Selon eux, les dents de sagesse sont le réceptacle naturel de l’âme. Ils les vénèrent particulièrement mais certains mages les utilisent dans leurs potions et les plus superstitieux se les font arracher et réduire en poussière pour éviter qu’un autre ne prenne le contrôle de leur âme.

— Ils croient en d’autres dieux que…

— Oui, et si jamais nous en croisons, pas un mot sur la religion, et qu’aucun de vous ne m’appelle Perto devant eux, ce serait attirer des questions inutiles.

— Nous avons vraiment des chances de tomber dessus ? demanda Lucie.

— Je contourne leurs villes et leurs camps principaux mais ils sont nomades et il se peut que Vergne soit en contact avec eux. Donc je ne promets rien. »

La nuit qui suivit, Ernie dormit mal même après la rituelle discussion qu’il avait avec Lucie car il se sentait à nouveau comme une proie. Il avait cru ses ennemis derrière lui et cependant, il apprenait que les Gigants servaient Cédric Vergne. Ernie en avait assez : dès qu’il sortait d’une embûche, une autre repoussait. Pour lui, le mot de répit n’avait plus aucun sens. Lui qui avait toujours été peureux, faible et lâche, il commençait à croire que ce serait un miracle véritable s’il parvenait à Togorville en un seul morceau.

En bon croyant qui espérait un miracle, Ernie pria donc avec plus d’ardeur que jamais. Pas pour le monde, pas pour la paix, pas pour la justice, encore moins pour les Hommes, pour ses amis ou pour sa famille : il implora le Ciel pour lui, pour sa survie et pour sa santé. Et encore, la plupart de ses prières ne s’écoulaient pas en souhaits ou en demandes mais en déclarations et en promesses car il craignait toujours plus la déchéance que la mort et, employant la méthode de Lucie, il disait en gros :

« Tu m’as choisi, Tu m’as aimé et moi aujourd’hui et demain, je Te choisis et je T’aime. Alors sors-moi de là. »

Mais une fois encore, la prière que faisait Ernie s’avéra contre-productive : alors même qu’il avait désiré le repos jusqu’à Togorville, les quatre amis furent surpris par des Gigants, à la tombée de ce qui devait être leur dernière nuit dans la Perta.

Perto les vit le premier : ils étaient montés sur des gre-chameaux et se déplaçaient en une longue caravane depuis le sud-est vers le nord-ouest. Le Géant voulut d’abord accélérer quitte à ne pas dormir de la nuit mais les Gigants armés qui protégeaient le convoi les repérèrent et s’approchèrent.

Alors qu’ils étaient encore à quelques centaines de pas, l’un d’eux cria, les mains en porte-voix :

« Hé, vous là-bas ! Attendez un peu !

— Pourquoi ? répliqua Perto sur le même ton. Nous allons vers Togorville, nous ne souhaitons pas vous faire obstacle !

— Par précaution ! Nous remplissons une mission de la plus haute importance pour le roi Togor et nous arrêtons tous les voyageurs qui croisent notre route. Suivez-nous ! la caravane n’ira pas plus loin et vous non plus. »

Perto obéit civilement devant la loi du plus fort et les quatre amis montés sur le dromadaire prirent la direction des Gigants qui s’étaient effectivement immobilisés et dressaient leurs tentes. A voix basse, Lucie fit remarquer :

« Il a dit qu’ils servaient Togor, il me semble que c’est une bonne nouvelle.

— Il a pu mentir, répondit Perto. Mais ne dites rien, les Gigants ont des oreilles dans chaque dune. Et quand nous serons avec eux, laissez-moi parler pour éviter les pièges. »

Quand Ernie, Lucie, Perto et Benjamin arrivèrent, le soldat qui avait déjà pris la parole les fit attendre à l’extérieur du campement. De là, Ernie entendait les Gigants festoyer en petits groupes autour de feux de bois où ils faisaient griller leur nourriture. Enfin, on les introduisit au capitaine de la caravane qui les scruta attentivement.

« Comme je vous avais dit, mon capitaine, glissa le soldat à son supérieur, un Géant, un Escureuil, une Hylve et le… »

Un regard noir du capitaine empêcha Ernie de savoir comment on allait le qualifier.

« Je suis Gustavo Pereira Nouvas Sanorios Dessantis, commandant de cette caravane et humble serviteur de Sa Majesté Togor, roi des Géants et des Gigants.

— Enchanté de faire votre connaissance, dit Perto. Nous ne sommes que quatre amis en voyage. Je fais traverser la Perta à ces trois jeunes gens qui habitent les Horsylves et auxquels je voudrais montrer les splendeurs de notre royaume commun.

— C’est une excellente idée en effet. Vous passerez la nuit avec nous, bien sûr ?

— Avec grand plaisir.

— Et vous partagerez notre repas également ?

— Oh, vous n’avez pas mangé ? s’exclama Perto. Pour notre part, nous avons déjà pris notre repas du soir et je crois que mes amis sont fatigués. »

Perto mentait, le capitaine sembla le deviner et insista, Perto campa sur ses positions, le Gigant continua… Aller, retour, aller, retour… Ernie arrêta de compter à treize échanges de politesses. Enfin, le capitaine plia et ses quatre invités obtinrent l’insigne privilège de dormir le ventre vide.

Quand ils furent seuls, Perto planta sa torche dans le sol et écrivit sur le sable pour éviter les oreilles des dunes :

IL SAIT, VEUT NOUS TUER A L’AUBE.

? répondit Ernie.

CROYANCE GIGANT : PAS FAIRE COULER DE SANG AVANT LEVER SOLEIL.

?? COMMENT ? POURQUOI ? inscrivit Benjamin en dansant sur le sol.

Perto effaça toutes les lettres et écrivit plus longuement :

REMARQUE DU SOLDAT : IL NOUS CHERCHAIT ET NOUS A RECONNU. (Ernie ajouta un S pour l’accord du participe) PLUS : NOUS FAIT DORMIR ICI POUR NOUS SURVEILLER ET A PRIS NOTRE DROMADAIRE POUR NOUS EMPÊCHER DE PARTIR. NOUS A PROPOSE MANGER POUR EMPOISONNER (FAIT PAS COULER DE SANG SI NOUS TUE PAR POISON).

QUE FAIT-ON ? demanda Lucie.

PAS LE CHOIX : FUITE AU MILIEU DE LA NUIT. ASSOMMER GARDES ET VOLER CHAMEAU.

J’AI UN MEILLEUR MOYEN, écrivit Benjamin aussitôt dévisagé par les autres.

PAS D’OBODINE ? vérifia Ernie.

NON ! BOTTE SECRÈTE FAMILIALE. JE PARTIRAI EN AVANT PUIS QUAND VOUS ENTENDREZ DE L’AGITATION, VOUS ME REJOINDREZ A L’ENCEINTE DU CAMP, DU CÔTÉ DE LA LUNE.

Comme de bien entendu, Ernie ne ferma pas l’œil pendant que le Perto veillait en attendant le milieu de la nuit. Quand le Géant fit enfin signe que le moment était venu, Benjamin sortit en passant sous un pan de la tente et disparut sans aucun bruit. Quelques minutes angoissantes s’écoulèrent pendant lesquelles Ernie se concentrait sur le chemin qu’il faudrait parcourir entre la tente et l’enclos.

Soudain la nuit perdit de son silence et on entendit des piétinements, des cris étouffés, un bestiau qui blatérait. Puis des ordres commencèrent à fuser dans le camp et l’éclat des armes attrapées en hâte se répéta tandis que des soldats de plus en plus nombreux couraient entre les tentes. Ernie bouillait de sortir de la tente car il redoutait que la diversion de Benjamin ne finisse d’un moment à l’autre et que leur chance disparaisse aussi sec. Mais Perto refusait de bouger, attendant que les deux gardes à l’entrée de leur tente se mêlent au désordre général.

« Hé, vous deux ! cria tout-à-coup un officier à proximité de la tente, ça ne vous dérange pas de regarder les autres courir sans rien faire ?

— Nous surveillons… commença l’un des gardes.

— Je n’en ai rien à faire, vous venez et vous mettez la main à la pâte comme tout le monde ! »

Aussitôt, les trois amis entendirent les gardes suivre leur supérieur. Ils attendirent un peu et Lucie écarta doucement les pans de la tente. A l’extérieur, il n’y avait pas de grandes flammes comme l’avait craint Ernie mais simplement des soldats gigants et des chameaux qui s’entre-poursuivaient ainsi que des femmes et des enfants gigants dont la tente avait dû être piétinée qui se mettaient à l’abri autant que possible.

Ernie, Perto et Lucie ne perdirent donc pas une seconde et s’élancèrent hors de la tente, seulement guidés par la lune. Dans la cohue, ils slalomèrent entre les soldats et les bêtes, assez chanceux pour ne pas tomber sur ceux qui les gardaient ni sur le capitaine qui les avait fait surveiller. Le camp n’était pas grand ; ils arrivèrent vite à sa limite, matérialisée par des toiles lin tendues entre des poteaux.

Comme ils cherchaient Benjamin des yeux, ils entendirent siffler et aperçurent un peu plus loin le long de l’enceinte un gre-chameau étrangement calme. Il fallait savoir quoi chercher pour distinguer la forme de l’Escureuil entre les oreilles de l’animal. Ils le rejoignirent aussitôt et Perto arracha l’une des parois en tissu pour faire passer le gre-chameau. Ils s’enfuirent alors tous les quatre sans demander leur reste.

« C’est l’un de leurs bestiaux, expliqua Benjamin, il est bien entraîné et ira plus vite que notre ancien gre-dromadaire.

— En parlant de vitesse, vous feriez mieux de vider ses sacoches pour l’alléger ! » ordonna Perto qui s’était assis entre les deux bosses de l’animal et avait pris les rênes.

Ernie et Lucie, assis sur la deuxième bosse, hissèrent chacun la sacoche qui pendait de son côté.

« Qu’est-ce que c’est lourd ! » s’exclamèrent-ils presque en même temps.

De fait, elles avaient beau ne pas paraître très remplies, chacune pesait quasiment la moitié du poids d’Ernie. Lucie ouvrit la sienne et la renversa pour la vider dans le désert sans même regarder son contenu. Quant à Ernie, il plongea la main dans la sienne et en ressortit un objet froid, dur et lisse, de la taille d’un lingot d’or. Il le regarda dans le clair de lune : il avait aussi la brillance et la couleur de l’or.

« De l’or ! s’écria-t-il. C’est de l’or.

— Lance-le quand même, commanda Perto. Nous ne pouvons pas prendre le risque d’être rattrapés ! »

Ernie obtempéra et jeta un à un tous les lingots qui tombaient avec un bruit métallique dans le sable sombre. Ensuite, plus personne n’osa parler et les cinq amis ainsi que leur monture s’enfoncèrent silencieusement dans le froid qui habite toujours la Perta à la fin de la nuit. Au loin, un cor d’alarme retentit fébrilement quand les Gigants se mirent à poursuivre leurs prisonniers qui avaient disparu dans l’obscurité.

Au petit jour, le petit groupe était assurément hors de portée des nomades quand Perto arrêta le chameau et laissa tout le monde se dégourdir les jambes et la langue.

« Je me demande bien pourquoi les Gigants transportaient de l’or vers Togorville, déclara le Géant

— C’est à ce point étonnant ? demanda Ernie.

— Dans ce sens, oui ! L’or vient de chez nous en principe, dit Perto.

— Sauf s’ils ont fait demi-tour pour nous mettre la main dessus, objecta Lucie. Je pense qu’ils transportaient l’or vers les Horsylves et que le consul Vergne leur a demandé de rebrousser chemin parce qu’il avait échoué à arracher la dent d’Ernie.

— Oui mais pourquoi toute la caravane aurait-elle fait route vers l’ouest ? objecta Benjamin. Il aurait suffi de quelques chameaux pour nous rattraper.

— Ils ne voulaient sans doute pas laisser l’or et leurs familles sans défense, avança Perto qui semblait convaincu par la théorie de Lucie.

— Et ils obéissent sans doute à Vergne en échange d’une petite commission sur la livraison ou quelque chose comme ça, proposa encore Lucie. Si Cédric Vergne est vraiment le Maître, il est les deux Hylves les plus riches des Horsylves à la fois ! Ce qui lui donne des moyens incroyables. »

Ce mystère résolu, Ernie demanda à Benjamin comment il avait fait pour semer le chaos dans le campement des Gigants.

« Je suis un De Frane, répondit-il. Je sais comment parler à l’oreille des animaux. J’ai donc excité les gre-chameaux pour qu’ils s’échappent de leur enclos et perturbent tout le camp. Il suffisait en aiguillonner quelques-uns pour que la nervosité s’étende à tous les autres. J’ai seulement calmé celui-ci pour que nous puissions nous enfuir tandis que nos poursuivants devraient faire des pieds et des mains pour récupérer leurs montures.

— Et tu dis que cette faculté est propre à ta famille ?

— A ma gens plus exactement. Cela représente une centaine de familles dans les Horsylves. Mais aujourd’hui, de plus en plus d’Escureuils maîtrisent cet art. Bientôt, ce sera monnaie courante. »

Ernie resta songeur en imaginant tout ce qu’il pourrait faire s’il avait lui aussi ce talent.

Les jours suivants, Ernie vit enfin les choses tourner en sa faveur de telle sorte qu’il fut à Togorville à la date convenue, sans avance ni retard. Au bout du compte, ce qui restait à faire était sans doute le plus simple. Les aventures, dont Ernie avait plus qu’assez, étaient enfin derrière lui.

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