Chapitre 38 : L’heure de témoigner

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Ernie, Perto, Lucie et Benjamin attendaient depuis dix minutes dans une vaste pièce rectangulaire éclairée de hautes fenêtres, parée de glaces brillantes et surplombée de lustres apparemment assez lourds pour écraser un Géant. Quelques sièges s’alignaient au pied des tapisseries et tout le reste n’était qu’un immense parquet ciré tout droit sorti de la marqueterie la plus prestigieuse qui fût. Ces indices suffirent à Ernie pour déduire qu’il patientait avec ses amis dans une salle de bal.

Dans un écho assourdissant, la porte s’ouvrit enfin et deux hommes entrèrent : un Géant qu’Ernie reconnut comme le maire du palais et un Magiver à l’air béat qu’il n’avait jamais vu.

« Excusez-nous pour le retard, dit le maire du palais dont les pas résonnaient sur le bois lustré. Monsieur Strabius a souffert de quelques désagréments à son départ et c’est la raison pour laquelle il vient tout juste de nous arriver. »

Le nom de Strabius rappela à Ernie un vague souvenir. N’était-ce pas l’un des médecins qui l’avaient soigné à l’hôpital de Montane ? Par acquit de conscience, il jeta un œil à Perto. En le voyant si crispé du menton, il sut qu’il avait vu juste et que le Magiver était plus précisément celui que le Géant avait eu envie de dépecer vif.

« Il n’y a pas de mal, répondit cependant Perto avec beaucoup de courtoisie. Mes amis et moi avons pu en profiter pour admirer la salle de bal. Les plafonds sont vraiment splendides ! »

Ernie se retint de lever les yeux pour vérifier. Il n’avait rien vu du tout, et pour cause : il n’avait pas regardé plus haut que les lustres. Pour l’instant, il fallait juste qu’il écoute pour savoir ce que Strabius faisait à la place de Malecura.

« Ce sont des peintures de maître Carminato, dit le maire du palais en souriant. Elles ont été commandées par Togor, Treizième du nom – paix à son âme – et elles n’ont pas eu besoin d’une seule réfection jusqu’à présent. C’est le joyau de cette pièce.

— Oui, approuva Strabius en se cassant le cou pour contempler les œuvres d’art qui étaient effectivement peintes sur toute la longueur du plafond, c’est vraiment somptueux ! Et d’autant plus remarquable quand on sait que l’artiste n’a pas le droit à l’erreur avec cette méthode… disons… ancestrale. Chez nous, toutes les décorations sont produites magiquement alors il nous manque ce charme du naturel, du geste artistique, de l’imperfection…

— Enfin, nous ne sommes pas en avance et le Conseil tient séance dans une demi-heure, reprit vivement le maire du palais. Je présume que vous êtes tous les deux témoins ? »

Lucie et Benjamin acquiescèrent.

« Le Suprême Conseil vous entendra tous les deux ainsi que monsieur Strabius ce matin. Ils réservent l’après-midi à l’audition de messieurs Perto et Thiry.

— Monsieur Strabius témoigne ? demanda Ernie.

— Oui, répondit l’intéressé, je vous expliquerai tout à l’heure.

— Et madame Vise ? Où est-elle ?

— Elle et les conseillers se sont déjà mis d’accord sur ce sujet, expliqua le maire du palais. Elle leur a dit ce qu’elle désirait. En tant que présidente du Conseil des Houloubées, elle peut communiquer avec eux hors audience.

— Elle n’est pas ici, donc ?

— Si, mais pas comme témoin : elle est venue de sa propre initiative.

— Vous savez pourquoi ?

— Non. Elle est souvent de passage pour une question ou pour une autre… »

Le maire du palais s’étendit ensuite sur des questions de protocoles et d’organisation avant de donner une lettre cachetée à Ernie en disant :

« Sa Majesté Togor a écrit ce message à votre attention. Je vous conseille de le lire avant de vous présenter au Conseil. »

Puis, le maire du palais s’éclipsa et Perto interrogea Strabius sans politesse :

« Pourrions-nous savoir ce que vous faites ici, à la place de Malecura ?

— C’est une longue histoire… »

Comme le menton de Perto menaçait de se fendiller sous la tension, le médecin ajouta :

« … que je peux vous résumer en quelques mots : quand le Dragon qui avait été payé pour transporter Malecura est arrivé, elle lui a dit qu’elle ne pourrait finalement pas venir…

— A cause de ses malades ? supposa Ernie.

— Non, de son fils.

— De son fils ? Elle a dit ne plus lui parler !

— Justement, il s’est rapproché subitement et elle n’a pas voulu le perdre à nouveau – enfin, j’ai vu l’hurluberlu : à mon avis, elle ne perdait pas grand-chose.

— Ensuite ? commanda Perto.

— Elle m’a demandé d’y aller à sa place, et me voilà !

— Vous avez peut-être résumé votre explication un poil trop ! s’énerva Perto. Comment connaissiez-vous Malecura ? Depuis quand savez-vous qu’Ernie est un Homme ?

— Oh ! Malecura et moi nous connaissons depuis bien longtemps. La première fois que… bref ! Je suis allé la voir il y a quelques mois après avoir demandé à Februs des nouvelles d’Henri (Qui était Henri ? s’interrogea Ernie). Elle m’a dit qu’il avait guéri très vite grâce à des potions à base de framboise. (Strabius parlait-il de lui ?) Ensuite, nous avons discuté médecine – elle a des méthodes bizarres mais je suis très ouvert d’esprit. Et puis je lui ai demandé de voir les conclusions de Februs. Le taux de résistance magique ne laissait pas de doute : je lui ai dit que son patient, vous, Nérie, (Ah ben oui, c’était lui !) étiez sans doute un Homme. En fait, elle l’avait deviné aussi alors, de fil en aiguille, nous avons parlé de la Reportation…

— Et donc quand elle n’a pas pu venir, elle vous a demandé d’y aller à sa place ! coupa Perto. Merci, docteur. »

Ce point éclairci, Ernie passa un quart d’heure à parler avec les trois témoins du fond du sujet et des arguments à faire valoir devant le Suprême Conseil. Il conclut :

« Je ne vous demande donc surtout pas de mentir mais j’aimerais que vous vous concentriez sur les événements qui présentent les Hommes sous leur meilleur jour et sur les arguments en faveur de la Reportation. Essayez d’être vrais dans vos déclarations et faites-leur voir pourquoi vous avez décidé de venir jusqu’ici !

— Et si vous hésitez à dire quelque chose, préférez ne rien dire, conseilla Perto sans quitter Strabius des yeux.

— Quoi qu’il en soit, bonne chance ! » conclut Ernie en voyant le maire du palais entrer à nouveau dans la salle de bal pour emmener Lucie, Benjamin et Strabius devant les conseillers.

Quand ils furent seuls dans la pièce, Ernie et Perto ne s’y attardèrent pas et retournèrent dans l’aile ouest du château, où ils avaient leurs chambres. Ernie invita le Géant dans la sienne et, ayant fermé la porte derrière lui, prit son courage à deux mains : il était temps de dire à son ami qu’il était le descendant maudit de terlin.

« Euh, Perto…

— Oui, répondit le Géant en se grattant le bout du nez.

— Je me disais… Tu voudrais bien lire la lettre du roi avec moi ? »

Ernie serra les poings dans son dos, dépité de son propre manque de courage. Après tout, Perto n’allait pas le renier pour si peu, si ? Ernie sortit néanmoins de sa ceinture l’enveloppe que lui avait donnée le maire du palais, la décacheta et la lut à voix haute :

« Alors, Cher monsieur Thiry, J’espère patati-patata… Je suis très heureux patati-patata… J’ai été particulièrement attristé d’apprendre patati-patata… Ah ! voilà : C’est pourquoi je voudrais vous faire part de quelques éléments confidentiels qui pourraient vous servir à affiner votre stratégie devant le Suprême Conseil. En effet, nous avons tenu séance de préparation ce matin et je suis en mesure de vous dire que certains conseillers se laisseront plus facilement convaincre que d’autres. Sûrs d’eux et têtus comme des bourriques, le consul Vergne et l’empereur Sébaste ne sont pas de ceux que vous pourrez détourner de leur vote. Quant au sage-président des Magivers, sa situation politique l’empêche de faire autre chose que ce que les députés ont décidé pour lui (cette décision n’est hélas toujours pas publiée).

— Jusque-là, ronchonna Perto, il ne sous apprend pas grand-chose.

— La suite paraît plus intéressante, reprit Ernie. Tous les autres conseillers semblent en revanche pouvoir voter en votre faveur. J’ai moi-même été surpris de ce constat mais la consule des Escureuils n’a pas repoussé cette hypothèse, Pissenlit n’a rien dit (évidemment) mais je crois les Floralfées capables de voter pour une fois. Quant à John Volle, il a passé l’année à composer des plans pour réaliser la Reportation. Il va sans dire que la directrice Ténull vous accordera tout son soutien.

— Ce sont de bonnes nouvelles : le vote de l’Escureuille me semblait inespéré !

— Ah bon ? s’étonna Ernie. Elle m’avait paru sympathique dès le départ.

— Oui mais les Escureuils sont plutôt réservés pour la Reportation traditionnellement. Ils se sont toujours opposés à l’extermination des Hommes mais ce sont eux qui ont proposé le compromis de l’enfermement.

De ces éléments, acheva Ernie, je dégage un conseil qui pourrait vous être utile : ne vous lancez pas dans d’infertiles débats avec Sébaste, Vergne ou même Telsius mais concentrez-vous sur les questions de madame Lechêne et de Pissenlit (si elle en pose !). Pour les autres, essayez de préserver l’estime dans laquelle ils vous tiennent. Détruisez cette lettre quand vous l’aurez lue. Je vous souhaite patati-patata… Signé : Sa Majesté Togor, Seizième du nom, roi des Géants et des Gigants, conseiller au Suprême Conseil.

— J’aurais fait les mêmes recommandations que lui, nota Perto. Convaincs Mathilde Lechêne, fais voter Pissenlit, et l’affaire est dans le sac !

— Pourquoi ? Il faut combien de voix ?

— En principe, le Suprême Conseil ne prend pas de décision sans avoir plus de votes favorables que défavorables. Comme il y a actuellement huit conseillers, il t’en faut cinq voire quatre s’il y a une abstention.

— Donc Togor, Ténull, Volle, Pissenlit et Lechêne suffiront.

— Tout à fait. Et il est même possible que tu aies d’office le vote de Telsius puisque l’on ne sait pas quelles sont ses consignes. »

Tout ceci ressemblait beaucoup aux pronostics qu’Ernie échangeait avec ses amis ou avec Julien pendant les rencontres sportives du dimanche. Qui sait ? Peut-être reverrait-il Julien très vite. Ernie fronça les sourcils : il ne devait pas y penser car c’était courir le risque d’une grande déception. Il fallait rester concentré pour cette dernière ligne droite. Et pour le moment, Ernie devait avouer à Perto ce qu’il était.

« Euh, Perto…

— Oui, répondit Perto qui relisait la lettre du roi comme pour vérifier si Ernie n’avait rien oublié d’important.

— Je me disais… Est-ce qu’on ne pourrait pas aller attendre Lucie et les autres dans l’antichambre de la salle du Conseil? »

Ernie s’écrasa un pied avec l’autre. Toutes les épreuves qu’il avait traversées ne l’avaient-elles toujours pas rendu courageux ?

« Si, si, ce doit être possible, approuva le Géant sans remarquer les états d’âme de son ami. Je pense que le maire du palais n’y verra pas d’objection. »

Effectivement, le maire du palais ne trouva rien à redire de sorte que, dix minutes plus tard, (c’est-à-dire le temps de traverser le château de part en part et de se faire admettre dans l’antichambre) Ernie et Perto se trouvaient à nouveau dans cette salle où régnait un silence de mort, seulement habité par les bruissements que faisaient les gardes et l’aboyeur en bougeant de temps à autre.

Ernie était assis à côté de Perto sur un banc trop haut pour que ses pieds touchent le sol, même la pointe. Plusieurs fois il ouvrit et ferma la bouche, toujours coupé dans son élan par les mêmes ténèbres que celles qui l’avaient étreint au fond de la mine désaffectée, dans les Horsylves. Et si Perto voyait aussi le monstre tapi dans Ernie, et si Perto voyait les serpents en réserve au fond du gosier d’Ernie, et si Perto décidait purement et simplement de tuer Ernie ? Ce n’était pas impossible, le Géant avait déjà fait de grands sacrifices pour ce qu’il estimait être le bien du plus grand nombre.

« Perto tu te souviens de ton désaccord avec Miranda Vise à propos d’un certain poème ? »

Les mots s’étaient fracassés hors d’Ernie. Il ne les avait pas retenus et le Géant semblait ne pas les avoir assimilés.

« Hein ? » demanda ce dernier en se retournant vers lui et en le regardant avec intensité.

Ernie coula un regard vers les gardes et l’aboyeur pour lui faire comprendre qu’il ne pouvait pas parler trop clairement. Ah ! pourquoi n’avait-il pas parlé quand ils bavardaient tranquillement dans sa chambre ?

« Tu craignais un poème, chuchota-t-il, et Miranda te disait que ce n’était qu’un épouvantail…

— Oui, approuva Perto en fronçant les sourcils.

— Miranda se trompait. En fait, je le suis.

— Qui est-ce que tu suis ?

— Non, je suis celui qu’annonce le méchant poète. Je l’étais, je le suis, je le serai. Jusqu’à la mort.

— Ah. »

Rien ne suivit le « ah » de Perto pendant un bon bout de temps. Le Géant dévisageait Ernie comme s’il le voyait pour la première fois.

« Tu es sûr ? demanda-t-il enfin.

— Sûr de chez sûr.

— Ah. »

A nouveau, Perto posa longuement les yeux sur Ernie mais différemment. Ernie lisait comme un nouvel amour dans ce regard. Le Géant semblait prendre acte et accepter. Il ne dévisageait plus Ernie, il l’envisageait. Avec ce nouveau paramètre, avec cette nouvelle facette. Il y avait finalement encore quelque chose d’autre à aimer en Ernie. Du moins c’est ainsi qu’il le comprit.

« Quelle bonne nouvelle, conclut Perto. Je préfère que ce soit toi que n’importe qui d’autre. »

Vers midi, Lucie, Benjamin et Strabius sortirent de la Salle du Conseil et allèrent manger avec Perto et Ernie dans une petite salle à manger que l’on avait apprêtée pour eux seuls. Au cours du repas, les questions et les récits s’enchevêtrèrent sur le thème du « Alors, comment c’était ? » et du « En fait, ils étaient beaucoup plus… ». De tout cela, Ernie ne retint pas grand-chose à part que « grosso modo, ça s’était bien passé » et il ne parla que par habitude, pour oublier que bientôt ce serait bientôt son tour.

Pour l’audition de l’après-midi, les conseillers, entendirent d’abord Perto seul pendant deux bonnes heures, avant de faire entrer Ernie en même temps qu’ils pressaient le Géant de sortir. Quand il s’installa, il constata que ses interlocuteurs le dévoraient du regard encore plus que la première fois mais il soutint leur examen sans ciller. Dans son esprit, il ne pensait plus qu’à l’instant présent, à la performance qu’il devait accomplir.

Président de la séance du jour, le Dragon John Volle se lança dans l’énoncé liminaire légal :

« La séance numéro 249-4 est reprise. »

Tous se rassirent sauf lui-même.

« Devant nous est présenté ce jour monsieur Ernald Thiry, du peuple des Hommes.

« Comparaissant comme témoin et non comme partie, Monsieur Ernald Thiry, je vous demanderai de lever la main droite et de répéter après moi (Ernie leva sa main) : Je jure sur mon honneur et ma conscience…

— Je jure sur mon honneur et ma conscience…

— … de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité et de répondre honnêtement aux questions qui me seront posées. »

Ernie répéta encore.

« Vous pouvez vous asseoir.

« En tant que président de séance, je rappelle à tous que le Suprême Conseil est une enceinte de débats dans laquelle la parole de chacun doit pouvoir être écoutée sans interruption. Plus particulièrement, il s’agit aujourd’hui d’interroger Monsieur Ernald Thiry sur l’opportunité d’une éventuelle Reportation. Les questions, les réponses et les déclarations devront donc toutes avoir trait à ce sujet, sous peine d’irrecevabilité. L’un de vous veut-il commencer ?

— Je peux le faire, répondit le voisin du Dragon, le sage-président Telsius. J’ai une question rédigée par l’assemblée du Nordaire : en quoi votre voyage au Nordaire vous a-t-il permis de mieux appréhender les problèmes de géopolitique globale et plus particulièrement la question de la Reportation ? »

Ernie aurait pleuré de rire si la situation n’avait pas été si sérieuse. Cinq cent soixante-dix-sept députés s’étaient mis d’accord sur cette question ! Pouvait-on imaginer plus plat, plus inutile ? Il essaya de répondre le plus poliment possible et profita de l’occasion pour rattacher ses premiers arguments :

« Je suis passé par le Nordaire au début de mon voyage et je passais l’essentiel de mes journées sur un gre-cheval à apprendre les rudiments des mathématiques et de l’histoire. Je n’ai donc vraiment saisi l’identité du Nordaire qu’en arrivant à Montane.

— Ah, Montane ! soupira Telsius avec des yeux d’amoureux.

— J’ai beaucoup admiré la magie et les monuments de votre capitale, Monsieur le Sage-Président. Mais ma plus grande découverte a été celle de la légitimité magique. »

Ernie laissa le temps d’une petite respiration pour que les conseillers retiennent mieux ce qui allait suivre.

« Le hasard – ou plutôt le guet-apens de Vengeance affamée – a fait que j’ai logé chez un couple libérien.

— Oh ? compatit Telsius.

— J’ai commencé par être déçu de ne pas pouvoir observer la magie à l’œuvre mais, après quelques jours, je me suis aperçu que cette situation me permettait d’être au plus près de cette tension dont les Magivers communs ne parlent que peu mais qui divise bel et bien la société nordienne. Or, j’ai été touché par l’unité du peuple magiver au-delà de cette différence pourtant si primordiale : on se taquine, on se critique… on est persuadé de détenir l’unique vérité. Mais finalement on se respecte, et la très grande majorité se définit avant tout comme Magiver et, ensuite, comme libérien ou non-libérien.

« Je crois que ce devait être la même chose entre le peuple des Hommes et les vôtres, Mesdames, Messieurs les Conseillers. Comme vous, nous sommes les habitants de Magninsule. Nous avons commis des crimes – ce sera l’occasion de questions ultérieures, j’imagine – mais nous avons plus de points communs que de différences. Nous avons tous plus à nous apporter mutuellement qu’à nous reprocher les uns les autres. »

Le Suprême Conseil accueillit cette première déclaration en silence. Le ton était posé, Ernie avait marqué son opinion. La suite parut interminable : Sébaste posa une infinité de questions qui tournaient toutes autour des crimes de la Dernière Guerre et qui furent pour la plupart rejetées comme irrecevables, chaque irrecevabilité n’intervenant qu’après une longue discussion en îlien classique que les conseillers croyaient incompréhensible pour Ernie ; Clémence Ténull et Togor lui tendirent mille perches pour le favoriser ; John Volle exposa un millier de problèmes logistiques et pratiques qu’Ernie comprenait à peine et jugeait (mais il était le seul) irrecevables ; Mathilde Lechêne l’interrogea longuement sur son épopée dans les Horsylves et son opinion à propos des Escureuils, des Hylves et du captisme ; Cédric Vergne et Pisenlit ne soufflèrent mot.

Alors que le soleil était bas et illuminait les vitraux horizontalement, Telsius sortit de son silence prolongé dû à un manque de questions de la part de son Parlement et crut avoir une excellente idée en remarquant :

« Vous aviez choisi trois femmes parmi vos témoins, pourquoi ?

— Pour rien. Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à ce que vous me posiez la question, Monsieur le Conseiller.

— Vraiment ? Trois sur quatre, tout de même, cela interroge. Regardez ce Conseil : la gent féminine ne représente qu’un conseiller sur quatre.

— Eh bien c’était la même chose pour la gent masculine parmi les témoins que j’ai choisis, répliqua Ernie en se souvenant ensuite que les Magivers étaient très à cheval sur l’absence des femmes dans toutes leurs institutions publiques (sinon comme secrétaires).

— Je ne suis pas sûr de voir où vous voulez en venir, Sage-Président, intervint Mathilde Lechêne avec l’approbation manifeste de Clémence Ténull.

— Le choix de Miranda Vise semblait très logique, approuva John Volle. Et je pense que Monsieur Thiry a demandé son concours à Madame Malecura parce qu’il la connaissait bien.

— Peut-être que le sage-président pensait à la troisième femme, dit alors la grosse voix paternelle de Cédric Vergne. Mademoiselle Hauton est à peine majeure et il se peut que…

— Inconveniens argumentum hoc est ! coupa Clémence Ténull. Non decernimus reportationem propter personales passiones ! »

Ernie était suffisamment calé en îlien classique pour saisir l’argument d’irrecevabilité que faisait valoir Clémence Ténull : personales passiones, les sentiments personnels. Il n’y avait pas besoin de dessin. Ernie ne retint pas les mots qui lui sortirent de la bouche :

« C’est une Hylve enfin ! Et je suis un Homme ! Je n’ai jamais pensé…

— Je n’insinuais pas que vous l’aimiez, Monsieur Thiry, l’interrompit Vergne. En fait, je n’y avais même pas pensé jusqu’à maintenant. Mais votre teint semble montrer que je me suis trompé.

— Mais je… commença Ernie avant de reprendre le contrôle sur ce qu’il disait. Qu’est-ce que vous insinuiez ?

— Vu votre lenteur d’esprit, je crois que je m’étais trompé de toute manière mais je songeais que vous aviez pu exploiter sa jeunesse et son impressionnabilité pour la convaincre.

— Elle n’est pas impressionnable ! »

Ernie se tut après ce cri du cœur : il s’enfonçait et à présent, tous les conseillers penseraient qu’une idylle existait entre lui et Lucie, ce qui risquait de discréditer leurs propos à tous les deux.

« Y a-t-il d’autres questions ? demanda John Volle. Non ? Dans ce cas, nous allons interrompre les débats et nous reprendrons ce soir à huis clos pour déterminer les modalités du délibéré et du vote.

« La séance est suspendue. »

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