Le garçon se concentra sur la discussion quand il entendit l'héritier d'or demander :

-Pourquoi il a fait ça ?

Neghttris répondit :

-On sait pas. Ça vient de nulle part. A moins que t'ais fait quelque chose...

Elférad le coupa :

-Non, non j'ai pas le souvenir.

Lyert demanda avec le plus grand sérieux :

-Est-ce que t'es amnésique ?

-Quoi ?

-Bah oui, dans les livres ou dans les jeux, quand tu tombes sur la tête, t'es souvent amnésique.

Neghttris lui répliqua sur un ton fatigué :

-Tu crois vraiment que c'est le moment de rigoler ?

Elférad répondit malgré tout avec un sourire dans la voix :

-Pourquoi je te parlerais si je ne me souvenais plus de toi.

Lyert répondit du tac au tac :

-Parce que je suis adorable.

Matior se mit à rire, mais Neghttris recentra la discussion :

-Sérieusement, les gars. Indilk a voulu tuer Elférad, je vous rappelle !

L'héritier d'or tempéra :

-Me tuer ? Je ne crois pas. Tu ne penses pas qu'il m'aurait directement brisé la nuque avant que vous puissiez réagir ?

Neghttris soupira :

-Ce n'est pas si facile de briser la nuque de quelqu'un et puis, il était tellement furieux qu'il n'a sûrement pas réfléchi.

Matior intervint :

-Oui, mais c'est d'Indilk que l'on parle. S'il avait voulu le tuer, il l'aurait planté avec un couteau du réfectoire.

Lyert fit doucement remarquer :

-Ils sont en plastique.

-Tu crois que ça l'arrêterait ?

Xutik imagina aisément Neghttris lever les yeux au ciel d'exaspération car Elférad vint à son aide en disant comme pour l'apaiser :

-D'accord, d'accord. Première chose. Savoir pourquoi il a fait ça. Il y a forcément une raison. Il n'a pas soudainement pété un câble.

Neghttris demanda :

-Comment veux-tu que l'on procède ?

Elférad n'hésita pas :

-Posez lui la question.

Ce fut à Matior de s'opposer :

-Il t'a sauté dessus sans crier gare, je ne pense pas qu'il prendra le temps de répondre à nos questions.

Xutik, lui, réfléchissait à une manière d'envenimer la situation. S'ils arrivaient à ouvrir la discussion avec Indilk et à lui expliquer que les rumeurs étaient fausses, alors ses efforts auraient été vains. Il devait trouver un moyen de transformer la colère d'Indilk en haine pour Elférad et son clan. Comme il était clair pour lui qu'Elférad ne tenterait pas de se venger, Xutik sortit discrètement, fit le tour du bureau d'accueil pour que l'homme le croit sorti de la pharmacie et se rendit en classe. La pause n'étant pas encore terminée, il n'y avait que lui devant la porte. L'héritier d'or se sentit vaguement mal à l'aise en voyant Indilk qui venait s'asseoir sur le sol, adossé contre le mur de la classe.

Bon, c'est l'occasion de relancer le truc. L'air de rien. Il avait beau se répéter ses phrases, les yeux de néant d'Indilk l'intimidait trop pour qu'il ose se lancer. Agacé par sa propre hésitation, Xutik se secoua. Bouge-toi avant que la cloche sonne.

-In...

-Ta gueule.

-OK.

Xutik avait répondu par réflexe et en baissant les yeux. Qu'est-ce que tu fous putain ?! Emplissant ses poumons d'air, il réussit à lancer en même temps que la cloche sonnait :

-Elférad va mieux.

Le regard enflammé d'Indilk le transperça, lui coupant le souffle. Pendant une seconde, Xutik crut bien qu'il allait mourir. Au moins, ça a marché. Tandis que les élèves se rassemblaient dans le couloir, Indilk se leva pour se planter devant lui, crachant entre ses dents serrées :

-Pourquoi tu me dis ça, toi ? Qu'est-ce que tu veux ?

Xutik joua l'étonnement :

-Eh bien, je pensais que peut-être, tu aurais des remords et que tu voulais savoir comment il allait.

L'enseignant arriva à cet instant, forçant Indilk à s'écarter :

-Je suppose que vous avez réglé le problème avec le directeur ?

L'adolescent acquiesça :

-Oui, monsieur.

-Bien. Allez, tout le monde en classe.

Xutik alla s'installer toujours insatisfait de ses progrès. Qu'est-ce qui peut le faire passer de la colère à la haine ?... Il faudrait que je trouve une preuve que le frère d'Elférad est impliqué dans la mort du sien. Et il recommença à se triturer la tête. L'adolescent pouvait demander à l'héritière d'argent de la dernière fois de mentir, moyennant rémunération, mais il n'était pas sûr de pouvoir la retrouver. Il avait bien entraperçu son blason, mais s'il commençait à courir partout en le décrivant, il finirait par se faire remarquer.

-Comment ça avance ?

L'héritier d'or soupira en se laissant aller contre le dossier de sa chaise :

-Je cherche quelque chose pour aller plus loin.

Gec-Nüj tenta de comprendre et écrivit sur un coin de son cahier :

-Quelque chose pour qu'Indilk aille plus loin ?

Xutik acquiesça après avoir lu le message et s'assura d'un coup d'œil rapide que l'enseignant ne leur prêtait pas attention.

-Tu devrais attendre. Si trop de choses arrivent dans un si court laps de temps, ils vont se poser des questions.

Xutik secoua la tête :

-Au contraire. Il faut battre le fer tant qu'il est chaud.

Il ne s'attendit pas à ce que Gec-Nüj cherche vraiment à l'aider, pourtant après quelques minutes de silence, il demanda par écrit :

-T'as une idée en particulier sur ce que tu veux faire ?

A ce stade, Xutik concéda qu'il était plus prudent de communiquer de cette manière en classe et écrivit sur son propre cahier :

-Il me faudrait une preuve.

-Une preuve de quoi ?

Xutik jeta de nouveau un regard à l'enseignant avant de répondre :

-Une preuve que le frère d'Elférad a tué celui d'Indilk.

Pendant encore de longues minutes, ils se plongèrent dans leurs pensées, puis l'héritier d'argent écrivit :

-La seule preuve irréfutable que tu puisses fournir, c'est un blason.

Xutik y avait déjà songé. Les héritiers d'or avaient en général un blason de rechange pour leur uniforme en cas de perte ou de vol, certains en avait même deux en fonction de leur économie. Hors, Elférad, lui, semblait l'héritier d'or typique qui n'avait pas assez pour se payer un blason d'avance. La disparition d'un blason de rechange pouvait passer inaperçu, mais celui d'utilisation, aucune chance. Sauf si je fais un faux. Mais Xutik doutait qu'il ait assez d'argent pour ça et il ne voulait pas inclure ses parents. Il finit par écrire pour répondre à son ami :

-Trop compliqué à récupérer.

La pause repas sonna sans qu'ils ne trouvent de nouvelles idées. Xutik ne se découragea pourtant pas et continua d'y réfléchir, alors que Gec-Nüj le laissait pour faire un tour à la bibliothèque. L'héritier d'or marchait vers le réfectoire quand il entendit des pas derrière lui. Se croyant d'abord paranoïaque, il continua son chemin. Des tas d'élèves vont au réfectoire, c'est l'heure de manger, crétin. Pourtant, ces pas lui semblaient vraiment proches. Lorsqu'il prit un plateau pour se placer dans la file devant les présentoirs, Xutik leva la tête et aperçut Indilk juste à côté de lui. Merde. Il tenta un sourire auquel le garçon ne répondit pas. Il ne peut pas savoir que tout ça est de ma faute. Il n'y a aucune chance qu'en deux heures de cours, il ait pu avoir le moindre soupçon. Il fit son possible pour se rassurer de cette manière, mais la présence oppressante de l'adolescent ne l'aidait pas beaucoup. Quand il alla s'asseoir, l'adolescent ne fut pas vraiment étonné de voir Indilk s'asseoir en face de lui. Xutik prit alors son courage à deux mains pour demander :

-Qu'est-ce qu'il y a ?

Indilk le dévisagea un instant de ses yeux sombres et glacés, ce qui augmenta le malaise de son interlocuteur.

-Tu as dis qu'Elférad allait bien.

C'est juste ça ?

-Oui. C'est vrai.

Le garçon présenta sa main avec deux doigts dressés :

-Très bien. J'ai deux questions. Une, comment tu le sais ? Deux, depuis quand le bien-être des autres t'intéresse ?

Xutik réfléchit rapidement à une réponse plausible :

-Je suis passé à l'hôpital à la pause parce que j'avais mal à la tête. J'ai entendu Matior, Neghttris et Lyert parler.

Aucune expression ne passa sur le visage d'Indilk, si bien que Xutik ne sut s'il croyait à son explication. D'un ton morne, Indilk se contenta de dire :

-Et pour le numéro deux ?

Xutik hésita. Il n'avait pas vraiment de raison valable pour expliquer son soudain intérêt pour Elférad et lui, si ce n'est à cause de ce qu'il essayait de faire. Au désespoir, il para comme il put :

-C'est à cause du Second. De ce qu'il m'a dit.

L'adolescent lui répliqua aussitôt et d'une traite :

-Je sais ce qu'il t'a dit, tu me l'as dit et je ne vois pas le rapport.

Pris de cours, Xutik bafouilla un instant avant de trouver une porte de sortie :

-Je ne t'ai pas tout dit. En fait, il y a quelque chose que j'ai caché parce que j'avais peur de ta réaction.

Il vit qu'il avait piqué la curiosité de son interlocuteur :

-Quoi donc ?

Xutik regarda alentours comme s'il s'apprêtait à lui révéler un important secret. Il se pencha ensuite pour murmurer :

-Je ne sais pas comment il le sait, mais il semblerait que ton frère ait été assassiné.

Indilk changea de couleur. Ça doit lui en mettre un coup de voir ses soupçons confirmés comme ça. Il ne s'arrêta pas là et ajouta :

-Apparemment, il avait fait un duel avec le frère d'Elférad. Tu sais qu'il est mort aussi, hein ?

Indilk n'avait pas écouté la fin, il le voyait. Les poings serrés, il quitta la table sans avoir touché à son plat et se dirigea vers la sortie. Ce serait con qu'il attaque de nouveau Elférad maintenant, alors qu'il vient juste d'être soigné. On me dira, au moins, il est déjà sur place. Il rit à ses pensées et reprit le cour de son repas.

Il n'y eut pas de bagarre comme il s'y attendait. Elférad assista au cours de l'après-midi, mais, en revanche, Indilk se trouva absent. Xutik n'aimait pas vraiment cela. S'il décide d'aller voir le Second et que celui-ci lui répète ce qu'il m'a dit, je suis dans la merde. Il avait brodé au fur et à mesure, sur le moment et il veillait bien à se répéter ce qu'il avait dit pour ne pas l'oublier. Que je lui serve au moins la même version s'il m'interroge de nouveau. L'héritier d'or vit les heures de l'après-midi s'écouler avec une angoisse grandissante. Si Indilk était vraiment parti enquêté, s'il trouvait d'une manière ou d'une autre l'implication de Xutik, s'il revenait.... s'il découvre tout ça, je ne sortirais pas de cette pièce en vie. Il sentit son cœur s'affoler au fur et à mesure des minutes qui s'écoulaient sur l'horloge. Pourtant, la fin des cours arriva sans qu'Indilk ne réapparaisse. Gec-Nüj a sans doute raison. Il vaut mieux laisser ces deux-là imbiber pendant un temps. L'héritier d'or ne réfléchit pas longtemps sur un moyen de mettre Tahiya sur les nerfs. Il était clair que le cousin était la clé. Il sourit en respirant l'air à plein poumons. Si j'avais su que c'était aussi marrant de foutre la merde, je l'aurais fait plus tôt.