Chapitre 29

9 minutes de lecture

Maxine mit une bonne heure pour se rétablir complètement. L’infirmière profita de ce laps de temps pour enrubanner ses deux bras dans des bandages quasi intégraux, ne lui laissant que l’extrémité de ses doigts libres de leurs mouvements. On eût dit d’immenses mitaines.

« Mais je ne vais jamais pouvoir faire quoi que ce soit avec ces choses, se plaignit Maxine.

— Je confirme, répondit Loïc. Je vais devoir t’assister vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Car c’est sûr qu’avec ça, tu vas être très limitée dans tes activités.

— Mais faut qu’ils fassent quelque chose. » commença-t-elle en s’agitant.

Loïc ne put réprimer un rire.

« Pourquoi tu rigoles, toi ? fit Maxine en fronçant les sourcils.

— Je suis désolé, Max. Je sais que ce n’est vraiment pas drôle mais quand tu bouges comme ça. Tu fais penser à un Playmobil.

— Tu sais ce qu’il te dit, le Playmobil ?

— Au moins on sait que ton majeur fonctionne. »

En vérité, même si Loïc en plaisantait, dans sa tête, il était assez préoccupé par ce que la semaine à venir allait pouvoir donner. Maxine n’allait pas pouvoir tenir deux heures, entravée comme elle l’était avec ses deux bras. Mais quelle solution y avait-il ? La seule option qu’il voyait était de prendre sa semaine. En espérant qu’en fin de semaine, les bandages soient plus légers.

« Je vais aller me renseigner.

— À propos de quoi ? Je veux qu’ils m’enlèvent ça !

— Max ! T’as confiance en moi ? »

Maxine tourna la tête sur le côté comme si, en faisant ça, sa réponse avait moins de valeur.

« Oui.

— Laisse-moi faire. »

Loïc partit alors dans les couloirs à la recherche de l’infirmière. Il finit par la trouver en pleine discussion entre collègues vers la machine à café.

« Excusez-moi, fit-il en s’approchant.

— J’allais vous dire que pour les demandes en mariage, il fallait contacter mon agent, mais j’ai l’impression que ce n’est pas pour ça que vous venez me voir.

— Pas vraiment. J’ai juste besoin que vous m’expliquiez deux ou trois trucs à propos des bandages que vous avez faits à Maxine. »

Ils discutèrent alors des inquiétudes de Maxine, des siennes, ce qu’il allait falloir faire pour que la cicatrisation fonctionne, et surtout du temps maximum qu’il allait falloir attendre avant de pouvoir rendre à Maxine un peu plus de degré de liberté.

« Vous êtes consciente que quand Max est en crise, ce n’est pas une simple colère d’enfant gâtée, oui ? »

L’infirmière hocha la tête mais haussa en même temps les épaules.

« Écoutez. Prenez votre semaine si vous le pouvez. Cela lui sera toujours profitable à votre petite amie. Les crises, ça ne se règle pas toujours à coup de médocs. En fait, son plus gros médicament à votre copine, c’est vous. Donc si vous voulez la tenir à flot, tâchez de garder cette confiance qu’elle vous renouvelle sans cesse. Je l’ai observée à son réveil et je dois dire que je ne l’avais jamais vue avec cette énergie. C’est très bizarre.

— Une dernière chose. Le médecin, il passe quand la voir ? Depuis que nous sommes arrivés à part vous, elle n’a eu personne pour l’ausculter. Cela commence à faire long et avec la nuit qui avance, sans vouloir être désobligeant, c’est la viande saoule qui est en train d’investir les lieux. J’aimerais mieux que Maxine n’y soit pas confrontée.

— Elle est dans une salle et pas dans le couloir. C’est peu probable. Je ne vous promets rien, les urgences sont faites pour les urgences mais je vais voir ce que je peux faire. »

Loïc retourna dans la chambre. Maxine ronchonnait toute seule dans son coin, en listant tout ce qu’elle ne pourrait pas faire tant qu’elle aurait ces deux espèces d’appendices en lieu et place de ses bras. Loïc tenta alors d’expliquer l’échange qu’il avait eu avec l’infirmière et comment, ils allaient pouvoir si elle y mettait un peu du sien, faire en sorte que sa période d’incapacité soit la plus courte possible.

« Mais… Tu es sûr que tu vas pouvoir prendre tes congés comme ça ? Ils ne vont pas gueuler à ton boulot ?

— Cela se peut, répondit Loïc. Mais honnêtement ça ne changera pas ma décision. Au pire, je poserai du sans solde.

— Mais moi, fit Maxine d’un seul coup en prenant une petite voix. Moi je ne veux pas que tu aies des problèmes à cause de moi.

— Des problèmes ? Mais ce n’est pas un problème de vouloir s’occuper de toi. Ce n’est pas comme si rien n’était arrivé.

— Je ne voulais pas t’énerver.

— Je ne suis pas énervé. Juste ne crois pas que c’est toi le problème. C’est… Tout ça, le problème, fit-il en montrant tout ce qui l’entourait. Il n’y a rien qui est fait ni pour toi, ni pour nous. Alors que nous, nous sommes faits l’un pour l’autre. Alors s’il n’existe pas d’espace pour nous, ici. On va se le créer. »

Maxine resta bouche bée et en même temps, au bout d’une minute à tout vouloir contenir ce qu’il se passait en elle, elle ne put se retenir de rire et de pleurer de joie simultanément. Elle tenta de se redresser pour se jeter dans les bras de Loïc mais les attaches qui soutenaient ses bras en suspension, la renvoyèrent en arrière.

« Purée, Loïc, viens par là que je t’embrasse ! Même ça, j’y arrive plus mais faut qu’on le fasse sinon je crois que je vais imploser. »

*

Le médecin finit par se présenter vers deux heures du matin. Il n’apporta aucune nouveauté, ni dans le diagnostic, ni dans la prescription. Il se contenta d’amender ce qui avait été fait. Il rajouta juste un arrêt de travail de deux semaines à la demande de Loïc.

« Je ne vais pas avoir à me balader avec mes grosses mitaines pendant deux semaines quand même ? s’inquiéta Maxine.

— Non, mais il est évident que vu vos blessures, il faudra tout de même contrôler que tout se cicatrise correctement. Vous n’avez peut-être pas vu l’état de vos bras, mais ce n’était vraiment pas joli à voir. »

Maxine ne dit rien. Effectivement, elle n’avait aucune idée quant à l’état de ses blessures. Elle n’avait aucun souvenir entre le moment où elle avait vu l’étagère s’effondrer sur elle et celui où elle s’était réveillée à l’hôpital. Elle n’avait pas trop interrogé Loïc sur ce point. Elle ne savait même pas comment il en était arrivé à être là pour faire son admission. C’est ce qu’elle avait compris quand elle l’avait entendu discuter avec l’infirmière.

« Tenez, voilà votre bon de sortie. Si vous avez besoin d’un taxi pour rentrer, demandez les numéros à l’accueil et si vous n’avez pas de téléphone, ils peuvent les appeler à votre place. Rentrez bien. Je ne vous serre pas la main… » fit le médecin pour plaisanter mais il vit très vite que la blague n’était pas très appréciée de Maxine, alors il s’éclipsa.

*

« Comment je vais faire pour dormir ? demanda Maxine. Je ne peux même pas plier les bras. Il faut que je dorme en mode étoile de mer ? Je vais prendre toute la place dans le lit. »

Loïc réfléchit. Elle n’avait pas tort. Autant à l’hôpital, le lit et le système de suspensions s’adaptaient bien, autant à la maison, les choses ne semblaient pas simples.

« Bah s’il faut… J’essaierai de dormir sous toi.

— Cela va être fun. » fit Maxine avec un rire un peu nerveux.

Et en effet, une fois à la maison, devant le lit, ce fut un petit casse-tête pour trouver leur position respective. Ils essayèrent en quinconce.

« Non mais là, je ne vais pas pouvoir résister, fit Maxine en partant dans un fou rire alors qu’elle avait la tête au niveau du caleçon de Loïc.

— Bah tu peux faire quoi sans y mettre les bras ?

— M’en fiche ! j’y vais avec les dents !

— Fais gaffe, j’ai une vue imprenable de mon côté et de quoi organiser une contre-attaque ! »

Il était presque quatre heures du matin, ils étaient tous les deux pas loin du mode hors-service, tellement ils étaient fatigués. Ils se mirent à rire. Finalement, ils trouvèrent une solution en faisant en sorte que Maxine en se mettant légèrement en diagonale, utilise le torse de Loïc comme un oreiller. Elle pouvait ainsi étendre ses bras de chaque côté mais plus important, Loïc pouvait l’enlacer au niveau de sa poitrine. Elle conservait donc un peu ce contact et cette chaleur qu’elle recherchait toutes les nuits. Et dès que ce fut le cas, sa respiration devint paisible et elle s’endormit dans la minute entraînant Loïc dans son sillage.

*

Les jours qui suivirent furent comme c’était prévisible, longs et compliqués à vivre. La présence de Loïc pour assister Maxine dans la quasi-totalité des gestes du quotidien fut alternativement une source d’états euphoriques à certains moments et une source de crises extrêmes à d’autres.

La toilette par exemple était pour Maxine l’occasion de tenter des « trucs » comme elle disait pour lesquels Loïc ne se faisait pas prier. En revanche, pour le reste, c’était nécessairement plus pénible car, soit Maxine n’acceptait pas d’être reléguée au stade d’observateur ou d’inspecteur des travaux finis et cela partait en crise, soit elle l’acceptait mais ressassait en boucle tous les inconvénients à conduire les choses ainsi. Dans cette dernière configuration, c’était un défi que de garder son calme.

Et puis il y eut aussi un moment particulier. Celui où Maxine demanda à Loïc ce qu’il s’était passé réellement le soir de l’accident. La question ne vint pas de nulle part car en réalité, cela fit suite à la réception d’un message texte de la part d’Orson sur le portable de Maxine. Celui-ci tomba le troisième jour. Comme elle ne pouvait toujours pas prendre son téléphone dans sa main et encore moins taper sur les touches, c’était Loïc qui le faisait.

« Pourquoi Orson me dit qu’il suppose qu’on ne m’a pas fait le message de lui donner des nouvelles ? Et surtout, si je comprends entre les lignes, est-ce que c’est lui qui est venu lorsqu’ils ont appelé les secours ? Cela veut dire que… Vous vous êtes rencontrés ? »

Loïc se mordit les lèvres. Il n’avait pas voulu cacher l’information à Maxine explicitement mais la vérité était que cela lui était complètement sorti de l’idée. Alors avec une Maxine pendue à ses lèvres, il s’attela à lui raconter la soirée telle qu’elle s’était déroulée. Il s’excusa d’avoir oublié de lui dire.

« Ne va pas croire que j’ai fait exprès de ne pas en parler. Cela aurait été débile de toute manière, car tu l’aurais su tôt ou tard, vu que Sarah te l’aurait dit. »

Maxine ne répondit pas dans la foulée, mais se contenta de regarder Loïc en scrutant le fond de ses yeux. Son expression était complètement énigmatique. Puis elle finit par sortir la question qui la préoccupait :

« Mais de quoi avez-vous parlé dans le camion jusqu’à l’arrivée aux urgences ? Du coup, il sait qui tu es pour moi ? »

Autant la première question ne surprit pas Loïc, autant la seconde, oui.

« Il ne savait pas qui j’étais ? fit-il en écarquillant les yeux.

— Bah. Je n’en sais rien en vrai, répondit Maxine d’un ton embarrassé qui paraissait sincère. Depuis que nous nous sommes rencontrés et qu’il s’est passé ce qu’il s’est passé, je ne lui ai pas parlé directement. Juste des SMS pour lui dire que je ne voulais pas discuter avec lui pour le moment. Que j’avais besoin d’air. Mais je ne sais pas ce qu’il en a déduit. Il m’avait juste répondu : ok. »

Maxine se tut, perdue dans ses pensées.

« Tu es fiancée avec lui ? » lui demanda Loïc qui, à la base, ne voulait pas remettre cette question sur le tapis mais vu l’échange qu’il avait avec elle, se dit qu’il n’était pas inopportun de poser la question. Maxine sursauta.

« Qui t’a dit ça ?

— C’est l’infirmière qui l’a laissé entendre par inadvertance quand on est arrivés aux urgences. »

Maxine soupira.

« C’est une connerie mais c’est vrai. »

Le « c’est une connerie mais c’est vrai » résonna dans la tête de Loïc comme une sorte d’évidence. Comment avait-il pu imaginer d’autre réponse que celle-ci ? Dans le monde magique de Maxine, ce genre de vérité contradictoire ne l’était pas. Tout comme le fait qu’elle se demandât si Orson savait pour eux et leur relation. Elle l’avait emmené voir ses amis, sa mère, son père et consort : comment pouvait-il être possible qu’Orson ne soit pas au courant ?

« Ne crois-tu pas qu’il va être temps de jouer cartes sur table avec lui ? » demanda Loïc.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Eric Laugier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0