Chapitre 5

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Loïc reprit le travail le lundi matin en ignorant totalement de quoi allait être fait sa semaine. Il avait déjà reçu sur son téléphone, depuis qu’ils s’étaient quittés la veille, une vingtaine de messages texte de la part de Maxine, dont les trois-quarts étaient arrivés entre deux et quatre heures du matin. Il était évident qu’en temps ordinaire dans cette tranche horaire, il dormait. Mais exceptionnellement, il avait essayé de répondre avec plus ou moins de retard à ces messages.

Il semblait que pour Maxine, les textos étaient identiques à une conversation normale. Tout y passait, de la question « à quelle heure tu finis ? » à celle concernant la marque de la meilleure sauce mayonnaise à acheter. Loïc n’avait jusque-là jamais envisagé d’utiliser ce mode de communication ainsi. Mais s’il le fallait, il s’y habituerait.

Vers dix heures, dès l’instant où elle s’était réveillée et avant qu’elle ne reprenne son travail, Maxine lui envoya une nouvelle escadrille de messages pour savoir : ce qu’ils allaient manger ce soir, quand est-ce qu’elle pouvait aller le rejoindre, et tout un tas d’autres questions qui laissaient à penser qu’ils étaient ensemble depuis plusieurs mois au minimum. La chose la plus importante dans le classement des priorités de Maxine : il lui fallait un porte-serviette. La serviette posée sur la vitre de la porte de douche pour la faire sécher, ce n’était pas efficace et c’était surtout déplaisant qu’elle soit en permanence toujours un peu humide. Promis, elle passait au magasin de bricolage et lui ramènerait l’ustensile dès ce soir.

Loïc apprit donc qu’il aurait une invitée et un peu de bricolage à faire, en rentrant du boulot. D’aucuns auraient trouvé que Maxine exagérait et devenait passablement envahissante. Mais du côté de Loïc, la perception était assez différente. Il vivait cette invasion de son espace personnel comme quelque chose de positif. C’était ainsi qu’il concevait le partage dans un couple. Il comprenait que cela puisse peut-être amener à certaines crispations mais sincèrement, pour lui, ce qui relevait de la logistique du quotidien, n’était pas un enjeu suffisant pour commencer à se plaindre.

Et puis, Maxine avait une technique bien rôdée, elle n’arrivait pas avec uniquement le problème. Elle venait aussi avec une solution. Certes c’était la sienne, mais au moins, elle proposait quelque chose. Loïc appréciait cela et il appréciait d’autant plus qu’il avait été habitué à devoir deviner le problème. Comme il disait : il n’était ni télépathe, ni voyant et si sa partenaire persistait à le croire, elle conduisait leur relation dans l’impasse.

« Je vais essayer de sortir pour dix-sept heures trente, ça te va ?

— Parfait, je passe te chercher. Faut qu’on passe voir un ami avant de rentrer. »

Loïc relut le message. Un ami ? Pourquoi ne passait-elle pas le voir avant ? Peut-être un problème de timing. Oui. C’était sûrement quelque chose comme ça.

*

À dix-sept heures trente tapantes, Maxine se gara en double file en enclenchant les feux de détresse pour éviter de se faire klaxonner. Elle sortit de la voiture et vint attendre Loïc à la porte de son travail. Elle était vêtue d’un chemisier, d’une jupe et d’un chapeau qui, mis ensemble, lui donnaient la silhouette d’une friandise ou d’une glace à l’Italienne. Autant dire qu’elle ne passa pas inaperçue, et que plusieurs collègues plus ou moins proches de Loïc la remarquèrent. Les mieux renseignés ou les plus physionomistes la reconnurent facilement et en moins de cinq minutes, Loïc reçut un appel sur le téléphone de son bureau pour savoir si par hasard, la jolie fille qui attendait à la porte, n’était pas là pour lui. Loïc tomba un peu des nues, il n’imaginait pas à quel point chaque détail de sa vie était scruté par des personnes qu’il n’avait souvent que vaguement connues que le temps d’une réunion. Mais bon, il ne pouvait pas y faire grand-chose. Il se contenta donc de se presser pour aller rejoindre Maxine. Hasard de la vie ou non, au moment où il l’embrassa goulûment, il vit du coin de l’œil, Pauline sortir de l’établissement, regarder dans sa direction puis vite se retourner et s’éloigner en faisant comme si elle n’avait rien vu. Maxine ne manqua pas de remarquer l’expression suspecte sur son visage. Elle se retourna et vit Pauline s’échapper dans une ruelle adjacente.

« C’était ton ex ? fit-elle en fronçant les sourcils.

— Oui, répondit Loïc sans trop savoir ce que signifiait cette expression sur son visage.

— Elle est plutôt jolie dans son genre. Pas mon type. Mais jolie. Faut qu’on décolle, tu viens ?

— Attends une minute. Tu as un type de fille ? C’est ce que tu viens de me dire ?

— Bah… Oui. J’ai le droit d’avoir mes goûts, non ?

— Oui, fit Loïc. Je vais clarifier ma question. Vu que j’ai déjà eu vent de l’histoire d’un mec qui se faisait larguer par son ex pour se mettre en couple avec sa meilleure amie, je me renseigne sur cette éventualité.

— Si je dis oui et que je te propose un plan à trois, tu vas me dire quoi ?

— T’es bête !

— N’empêche, tu n’as pas dit non ! Au secours ! Je suis en couple avec un pervers !

— D’accord, d’accord, j’ai perdu ! fit Loïc riant en lui mettant un doigt sur les lèvres. T’es douée pour retourner les choses à ton avantage. Faut que je me méfie. »

Maxine lui mit une pichenette sur l’arête de son nez.

« Allez, on file. On va être en retard ! »

*

« Je peux te poser une question ? fit Loïc, une fois assis dans la voiture.

— Vas-y.

— C’est qui l’ami chez qui nous devons passer ? Et pourquoi, ce soir ? »

Maxine ne répondit pas tout de suite.

« Timothée. C’est mon meilleur ami. Il m’a prêté un objectif pour mon appareil photo, il y a un certain temps, et il fallait que je lui rende. Il en a besoin pour cette semaine. Du coup, je lui ai donné rendez-vous au café près de la gare. »

Loïc hocha la tête et changea de sujet. Comme elle l’avait été une bonne partie du week-end, Maxine semblait sur des charbons ardents. Contrairement à ce qu’il avait supposé, bien qu’elle lui ait envoyé des messages en pleine nuit, elle ne s’était pas reposée jusqu’à dix heures. Elle était sortie pour se rendre aux abords de la forêt des Asturies à une vingtaine de kilomètres de là, pour prendre des photos. Elle ne précisa pas le genre de clichés mais, a priori, la lumière et les paysages convenaient parfaitement à ce qu’elle voulait obtenir. Loïc n’était pas sensible aux nuances dans tout ce que lui racontait Maxine, mais la manière dont elle le faisait était séduisante. On voyait et on entendait la passion, l’entrain dans ses gestes, dans ses mots. Un tourbillon de lumières qui ne semblait jamais vouloir s’arrêter. Loïc repensa au samedi soir où le manège Maxine semblait avoir baissé le rideau durant quelques heures : peut-être était-ce de cette manière que se manifestait la contrepartie de cette espèce d’ébullition permanente.

Quand ils arrivèrent au niveau du café, le fameux Timothée qui était déjà installé en terrasse, aperçut Maxine et lui fit de grands signes.

« Timothée, enchanté de faire ta connaissance. Max m’a beaucoup parlé de toi. J’étais plutôt impatient de te rencontrer.

— Enchanté. » fit Loïc qui lui aussi, aurait bien voulu en dire de même, sauf que de son côté, il venait à peine de découvrir son existence.

Depuis quand Maxine lui avait-elle parlé de lui, pour que ce Timothée estimât que cela fut beaucoup ? Loïc supposa par la suite que cela remontait à bien avant ce week-end et il en acquit la quasi-certitude quand il réalisa qu’en fait, ce rendez-vous n’était ni plus, ni moins qu’une espèce d’entretien d’évaluation pour savoir s’il était digne d’être le petit ami de Maxine. La chose ne fut pas dite explicitement mais à plusieurs reprises, Loïc repéra des sortes de mises en garde assez bien emballées pour lui signifier qu’il était en période d’essai. Pas du point de vue de Maxine mais de celui de Timothée.

Au lieu de considérer ces éléments comme de potentiels perturbateurs de sa relation avec Maxine, Loïc trouva l’information rassurante. La personnalité de sa toute fraîche petite amie était telle qu’il était plutôt souhaitable qu’elle fût bien entourée. Surtout si la déception venait à pointer son nez. Loïc imaginait très bien les dégâts sur une personnalité comme celle de Maxine.

« Max, merci pour m’avoir rendu mon objo. Et je te donne ma bénédiction pour tu sais quoi. On tâche de se faire une soirée, un de ces quatre ? »

Fait exprès ou non, Loïc ne trouva pas ce final à la hauteur de la subtilité dont Timothée avait fait preuve durant tout le reste de la conversation. Cela dit, il avait passé l’examen d’entrée. Il fut tenté un instant de demander à Maxine quand avait-elle programmé l’épreuve écrite, mais il préféra s’abstenir.

Il était presque vingt heures. Ils devaient rentrer car il fallait préparer le dîner et s’occuper d’installer le fameux porte-serviettes.

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