Chapitre 42

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Après de longues explications avec la juge et d’autres personnes dont Loïc n’avait aucune idée du rôle qu’elles jouaient dans le Palais de Justice, Sarah et lui furent autorisés à quitter les lieux. Comme dans toute entreprise humaine qui se respecte, un incident tel que celui provoqué par Maxine devait trouver son coupable et la chasse était donc ouverte. Reporter la faute sur le justiciable était une option intéressante puisqu’elle permettait de dédouaner la totalité de l’institution, il était donc normal que la piste fût creusée longuement et avec une insistance frisant presque le ridicule.

Lorsqu’ils se retrouvèrent sur le parvis du Palais, Sarah respira un bon coup.

« Purée, j’ai bien cru qu’on allait y passer la nuit. »

Loïc resta silencieux, ne répondant pas aux paroles de Sarah. Cette phrase avait été lancée par Sarah dans l'espoir de susciter une discussion. Depuis leur arrivée au tribunal, et encore plus après l'incident impliquant Maxine, elle n'avait pas réussi à échanger le moindre mot avec Loïc. Cette situation devenait de plus en plus gênante pour Sarah, qui se sentait impatiente de pouvoir enfin s'exprimer et partager toutes les idées qui bouillonnaient dans sa tête.

« On fait quoi alors ? Tu n’as plus besoin de moi ? Je rentre ? »

À ces mots, Loïc sembla revenir d’une galaxie lointaine.

« Nous allons rentrer chez moi. Je ne vais pas te jeter comme une vieille chaussette.

— Merci pour cette gentille attention, tenta-t-elle de plaisanter.

— Pas la peine de te forcer, tu sais, dit Loïc. Si t’as envie de dire quelque chose, tu peux. Je t’ai embarqué dans ce… Je ne sais même pas trouver les mots. Ce grand n’importe quoi ? Et tu ne t’es pas enfuie en courant à la première occasion. C’est quelque chose. Je suis plutôt mauvais pour remercier les gens mais là, ce serait vraiment une insulte de ne pas le faire. Quand je t’ai rencontrée la première fois, je n’ai jamais pensé qu’on pouvait se ressembler autant. Tu vas me dire, à l’époque il y avait certaines informations que Maxine ne m’avait pas dévoilées à ton propos.

— Cela ne m’étonne pas d’elle. »

Sarah se sentit hésitante malgré l'approbation tacite que Loïc venait de lui accorder. La première question qui lui brûlait les lèvres demeurait en suspens, mais finalement, elle rassembla son courage et se lança :

« Il va se passer quoi pour Maxine, maintenant ? Au final, je n’ai même pas compris comment elle s’est retrouvée hospitalisée de force. C’est elle qui y est allée elle-même, ou elle est vraiment partie en vrille après que le médecin lui a dit qu’elle était enceinte ?

— Je crois qu’elle est vraiment partie en vrille. Elle a paniqué et elle a appelé sa mère. À partir de là, je peux juste imaginer la scène. Je pense qu’au départ, elle ne s’est pas interrogée sur qui était le père. Je suppose que rien que l’idée de devenir mère était déjà beaucoup. Et puis, elle ne le montre jamais, mais elle connait sa maladie. Elle sait que c’est loin d’être un atout. Et je te passe la statistique qui prévoit un risque de dix à vingt-cinq pour cent de transmission génétique. Tout ça pour dire que je pense que tout n’a pas été falsifié de A à Z. »

Sarah écoutait Loïc. Elle avait une sensation étrange à l’entendre parler de Maxine sur un ton détaché et presque analytique. Il ne parlait pas d’elle au passé mais le fait qu’il connaisse les chiffres d’hérédité du trouble bipolaire montrait qu’il avait fouillé très loin le sujet.

« Tu penses qu’elle va avoir des problèmes ? Avec les fugues qu’elle a faites ?

— Je pense plutôt que ce sont les personnels médicaux qui devraient en avoir. »

Sarah hocha la tête. Une autre question la taraudait et elle n’osait absolument pas la poser. C’était ce que Loïc comptait faire désormais de sa relation avec elle. Il semblait évident qu’il n’était pas possible que Loïc ne tienne pas compte de ce qui s’était passé. Même si elle n’avait aucun intérêt à ce que cette relation perdure, si ce n’est si elle voulait simplement soutenir son amie, sans introduire la variable de ses propres sentiments, il y avait cette fois une évidence. Sauf si Maxine y avait été contrainte, elle avait fauté vis-à-vis de Loïc et d’une manière indéfendable. Qu’est-ce qui avait pu la conduire à faire cela ?

« Tu veux manger quoi ? demanda Loïc en ouvrant la portière de la voiture de Sarah. Moi, je te proposerais bien Japonais mais je ne sais si tu es adepte du poisson cru ou pas. »

*

La journée du lendemain fut nettement plus tranquille que les précédentes. Sarah rentra enfin chez elle en fin de matinée. Elle et Loïc ne surent pas exactement comment ils devaient se quitter. Fallait-il qu’ils se disent à bientôt, au revoir ou adieu ? Les choses qui les avaient réunis étaient si peu naturelles qu’il était pratiquement impossible que les mêmes choses se reproduisissent une seconde fois. Étaient-ils des amis désormais ?

Après cela, l’appartement de Loïc retrouva son calme d’antan. Ce ne fut qu’aux environs de dix-neuf heures qu’il reçut sur son portable un appel provenant d’un numéro qu’il ne connaissait pas. Lorsqu’il décrocha, il eut la surprise de se voir proposer de prendre l’appel en PCV. Cela pouvait être un canular mais jugeant la chose peu probable, il accepta l’appel.

Au départ, il crut que l’opération de transfert d’appel avait échoué mais il finit par tendre l’oreille et distinguer une respiration.

« Allo ? » finit par demander une petite voix à l'autre bout du fil.

Loïc reconnut instantanément la voix de Maxine. Il fit de son mieux pour contenir l'excès d'émotion que cette simple question provoquait en lui.

« Loïc, c'est toi ? »

Il laissa passer la quinzaine de secondes nécessaire pour retrouver une certaine maîtrise de sa respiration.

« Oui, c'est moi. »

Même si la tension était toujours palpable, il entendit le soulagement de Maxine. Il pouvait l'imaginer sans problème en train de réfléchir à chaque mot qu'elle allait vouloir prononcer.

« Je sais que je dois être la dernière personne à laquelle tu aurais envie de parler mais voilà, je voulais te dire que j’étais vraiment désolée pour tout. Ce que j’ai fait et sûrement ce que je n’ai pas fait…

— Quand et pourquoi ? demanda Loïc.

— Quoi ?

— Quand as-tu couché avec lui et pourquoi ?

— La semaine avant qu’on aille voir ta sœur.

— Et pourquoi ? »

Maxine resta silencieuse. Il se passa une bonne minute avant qu’elle ne se décide à répondre dans un sanglot :

« Je ne sais pas… Je ne veux pas te raconter des choses inventées pour l’occasion.

— C’est venu de toi ou de lui ? »

Il y eut de nouveau un long silence.

« Il est venu un après-midi. Il voulait qu’on se parle. Jusqu’à ce jour, j’avais toujours refusé de le re-rencontrer. Comme je t’avais dit, cela faisait plusieurs mois que l’on ne s’était pas vus. Il avait déjà, à de multiples reprises, tenté de m’intercepter chez moi, mais j’avais toujours réussi à l’esquiver. Je ne sais pas trop comment, il a su pour la morsure de vipère et que j’étais en arrêt. »

Loïc ferma les yeux. Il n’était pas certain de vouloir continuer à écouter l’histoire mais il voulait savoir. Il ne comprenait pas pourquoi. Cela n’avait rien de salvateur de s’infliger cela. Pourtant, il avait besoin d’entendre ce que Maxine avait à en dire.

« Il m’a surprise au moment où je suis allée chercher le courrier à la boîte aux lettres. Cela m’a paru étrange qu’il apparaisse subitement à cet instant précis. Je pense que cela faisait plusieurs jours qu’il devait surveiller l’appartement. Il est de l’équipe de nuit, ce n’était donc pas impossible. Après je m’ennuyais à l’appartement. Je t’envoyais plein de messages et j’essayais de te joindre chaque fois que c’était possible. Mais tu bossais alors fallait que je trouve autre chose. Mais chaque fois, j’y retournais, à toi. »

Loïc se souvenait parfaitement bien de la période et l’état des choses que décrivait Maxine correspondait à son souvenir.

« Il m’a parlé de lui, puis de moi, qu’il me comprenait et puis, au bout de quelques minutes, il a fallu que je remonte pour me poser. Et il est venu pour prendre le café. »

Maxine fit une pause. Même si Loïc ne l’avait pas sous les yeux, il la voyait très bien en train de commencer à se balancer d’avant en arrière, comme elle le faisait systématiquement dès qu’un trop-plein d’émotion l’emplissait.

« Il a continué de parler. Et puis… fit-elle alors que sa voix se mit à vaciller. Tu sais que… Tu étais ma première fois ? »

Elle laissa un silence pour entendre une réponse de Loïc. Celui-ci fut pris un peu de court par cette soudaine confidence, qui n’était plus un secret pour lui depuis que Sarah le lui avait confirmé. Mais il n’allait pas lui dire cela.

« Je m’en suis douté, finit-il par répondre. Cette nuit-là, j’avais retrouvé du sang sur la couverture du canapé. C’était l’explication la plus plausible. »

Loïc entendit un mélange de surprise, de gêne, en même temps, qu’une sorte de satisfaction vis-à-vis du fait qu’il ait gardé ceci pour lui.

« Ah, oui ? »

Au son de sa voix, Loïc savait que Maxine avait bifurqué de son histoire initiale à cette marque de délicatesse qui réveillait en elle toute son affection. Cependant, bien qu’il fût heureux de réentendre de la couleur dans ses mots, il voulait toujours sa réponse.

« Et donc ?

— Et donc ? répéta Maxine mécaniquement le temps de comprendre que Loïc voulait qu’elle raconte la suite. Bah voilà, je ne sais pas dire comment ça s’est fait exactement, je sais juste qu’il est redevenu un instant comme il l’avait été quand on s’est fréquentés la première fois, et moi, dans ma tête, j’avais encore ma première fois avec toi, et je me suis demandé si ce truc que j’avais ressenti avec toi, c’était exclusif à nous, ou si, un jour ça se terminait entre nous, je pourrais retrouver ce… truc… Tu vois ? »

Loïc se pinça les lèvres et leva les yeux au ciel.

« Je vois.

— Du coup, dans ma tête, c’est devenu comme une sorte de bonne idée. »

C’est devenu comme une sorte de bonne idée. Loïc se répéta cette dernière phrase, plusieurs fois dans sa tête. Il avait l’impression que son cerveau était en train d’imploser sous le poids de ce fichu sentiment qui le ramenait constamment vers Maxine et à vouloir la comprendre, la protéger, comme s’il avait une sorte de lien parental indéfectible avec elle.

« Ok. »

Loïc se surprit lui-même en s’entendant prononcer ce « Ok », comme si cela n’avait été qu’un réflexe conditionné. Mais bon, il ne pouvait plus revenir en arrière alors il enchaîna pour éviter de rester dans cette sorte d’embarras.

« Mais je suppose que ce n’était pas pour ça que tu voulais m’appeler ?

— Non. » répondit Maxine, déstabilisée par l’enchaînement un peu brutal dans la conversation.

Une nouvelle fois, elle laissa un silence qui parut durer une éternité entre eux.

« C’est demain. L’opération. Et j’ai demandé au médecin parce que je ne veux pas… être seule. Alors je voulais… Que tu… Enfin, je me suis demandé si tu pourrais être là ? »

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