La rose et le monstre
Rose ouvrait la bouche pour répondre, mais je la coupai, une vague de panique me submergeant. J’avais besoin de réponses, et vite. Elle leva une main, mais je l’interrompis de nouveau, ma voix montant d’un ton.
Elle ne se laissa pas faire cette fois. Une claque retentit, vive et nette, me ramenant brutalement à la réalité. « Tais-toi et laisse-moi parler, enfin ! » sa voix était ferme, autoritaire. « Tout d’abord, sache que rien ne vit en toi. Ce n’est pas une entité qui t’habite… c’est plutôt… toi qui abrites une enveloppe charnelle qui ne t’appartient pas. »
Mon corps se crispa à ces mots. Une vague de nausée me prit à la gorge.
« Je ne… je ne suis pas sûr de comprendre… »
« Tu es le fils de Iarish », reprit Rose, la voix grave, posée, comme si elle énonçait un fait aussi banal que la couleur du ciel. « Un monstre… qui vivait il y a dix-sept ans. »Le silence qui suivit fut lourd, oppressant. L’information, brute et terrible, s’installait lentement, gravant ses griffes dans mon esprit. Rose continua, sa voix douce mais ferme, peignant un tableau macabre et cauchemardesque.
« Iarish… il était attiré par la haine, se nourrissant de l’énergie des êtres aux âmes les plus sombres. Il se déplaçait la nuit, une silhouette monstrueuse aux longues pattes fines, soutenant un corps massif, une gueule béante parsemée de milliers de dents acérées. »
Elle fit une pause, laissant le récit macabre imprégner mon être. L’image était vivide, horriblement réelle.
« Il résistait au feu, à la plupart des armes… mais les villageois… ils ont fini par le tuer, à coups de fusil. »
Un frisson me parcourut l’échine. L’histoire semblait si réelle, si palpable…
« Mais avant de mourir… il a frappé une femme… lui envoyant sa queue sur le ventre. Un mois plus tard… elle découvrit qu’elle était enceinte… Cette femme… c’était ta mère. »
Le choc était brutal, une vague de nausée me submergea. Je suis né de l’union d’une humaine et… de ça. Je suis la progéniture d’un monstre. L’horreur de cette vérité m’écrasa. Je suis Iarish. Une partie de lui vit en moi.Ce n’est pas tout… Comment ce n’est pas tout ? Rose avait raison, l’horreur ne faisait que commencer. Ses mots, chuchotés comme un secret funeste, continuèrent à me hanter. « Lorsque tes parents ont découvert qu’il y aurait un bébé Iarish… ils ont pris peur. La population voulait tuer ta mère pour ne pas prendre de risques, mais… cela était impensable pour ton père. Ils ont fui, se sont réfugiés dans une montagne isolée… là, ils ont rencontré des sorciers. »
Un frisson glacial me parcourut le corps. Des sorciers… L’image de Rose, douce et fragile, racontant une histoire aussi sombre et extraordinaire, était surréaliste.
Elle continua, sa voix presque un murmure. « Ils ont arraché une rose… une rose magique, paraît-il… et ils lui ont donné une forme humaine… à la fois à ta mère et à toi. »
Une rose… Moi… transformé en humain grâce à une rose ? L’absurdité de la situation se heurtait à la réalité glaciale de ma propre nature monstrueuse.
« La seule condition pour qu’ils puissent vous garder… était que vous ne deviez jamais vous séparer. » Une malédiction liée à une fleur, à une promesse impossible à tenir. Mes parents, constamment hantés par la peur de me perdre, de perdre ma mère transformée, par cette fragilité de notre existence… C’était ça, la raison de leur inquiétude constante, de leur regard apeuré, de leur silence étouffant. Leur amour pour moi, un amour terriblement fragile, était lié à cette rose, à cette transformation magique, à la peur d’une séparation qui signifierait notre destruction.
Je suis Iarish, oui, mais je suis aussi… Malik. Une partie de moi, une partie de ce monstre, est liée à cette fleur magique, une fleur qui pourrait être la clé de ma survie, mais aussi la source de ma damnation. Je devais les retrouver. L’idée, aussi absurde qu’elle paraissait, prenait forme dans mon esprit. Rose… la rose… Et si Rose était… la rose ? L’image de Rose, son visage, sa douceur, ses cheveux… Tout s’emboîtait soudainement. La rose magique, transformée en humaine. La condition pour notre survie… ne pas nous séparer. Si je la perdais, si je la blessais assez pour qu’elle saigne ou perde connaissance… je redeviendrais Iarish, sans aucun doute. La peur, froide et glaciale, serrait mon cœur. L’horreur de cette vérité était insupportable. Mais il y avait une lueur d’espoir. Trouver les sorciers. Ils étaient notre seul salut. Ils avaient le pouvoir de transformer, de changer les choses… peut-être de défaire cette malédiction.
« Mes parents… ils doivent savoir où les trouver », murmurai-je, la voix tremblante. L’idée que la séparation de Rose puisse me condamner était terrible, mais l’idée de la perdre, de la voir disparaitre à cause de ma propre survie… me laissait anéanti. Me sacrifier pour le bien de tous ? La ville, le monde, seraient en sécurité sans la menace d’Iarish. Et pourtant… l’idée de disparaître… de ne plus être moi… était insupportable. Mais Rose était là, à mes côtés. Elle comprenait, elle partageait mon fardeau. Son regard, habituellement si lumineux, était maintenant teinté d'une détermination sombre, d'une acceptation presque résignée. Il y avait un lien profond entre nous, un lien plus fort que ma peur, plus puissant que le danger qui nous attendait. C’était cela notre force. Ensemble, même face à l’abîme, nous allions chercher ces sorciers. Et peut-être, juste peut-être, trouver un espoir, un moyen de survivre, tous les deux. Le chemin serait long, dangereux, et l’issue incertaine, mais nous avancerions, main dans la main, face à un destin inéluctable.

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