Souvenir
J’avais dix ans, Pauline six. Je voulais faire plaisir à nos parents pour leur anniversaire de mariage. J’avais préparé un petit goûter surprise dans la cuisine : des biscuits que nous avions décorés ensemble, et je me sentais fière de mon idée.
— Regarde, Pauline ! Ils vont adorer ! dis-je en lui tendant une assiette de biscuits colorés.
Mais elle fronça les sourcils, les lèvres tremblantes. Ses petites mains se crispèrent sur le bord de la table.
— Non ! C’est pas toi ! hurla-t-elle soudain, les yeux brillants de colère.
J’étais surprise.
— Quoi ? C’est pour maman et papa…
— Oui, mais toi, tu ne leur donnes pas, c’est moi ! s’écria-t-elle, le visage rouge de frustration. C’est mon cadeau pour eux !
Je restai bouche bée. Ce mélange de jalousie et de possessivité me coupait le souffle. Elle tapait des mains, piétinait presque, et refusait de se calmer.
— Pauline… calme-toi, murmurai-je en essayant de la prendre par les épaules.
Elle se dégagea brusquement. Son regard lançait des éclairs.
— Tu ne comprends jamais rien ! cria-t-elle. Je veux que ça soit moi qui leur donne, toute seule !
Je l’ai laissée, incapable de la faire changer. Et pourtant, malgré sa colère, je me suis accroupie près d’elle, j’ai pris ses mains dans les miennes et je lui ai dit doucement :
— Pauline, je t’aime ! Pourquoi veux-tu leur donner ces gâteaux toi seule ? Tu trouves ça juste ? Je les ai préparés avec toi, nous les avons faits toutes les deux…
Ses yeux s’humidifièrent. Quelques secondes plus tard, elle se laissa tomber contre moi, petite boule de colère et de tendresse mêlées. Nous restâmes là, un long moment, à nous tenir l’une l’autre, jusqu’à ce qu’elle murmure :
— D’accord… Louison, pardon, je ne comprends pas ma tête, tu as raison, on y va toi et moi…
Ce jour-là, j’ai compris que l’amour pouvait être compliqué, que la colère et la jalousie pouvaient surgir même entre nous, et que malgré tout, nous pouvions nous retrouver après une tempête. Que dans la tête de ma petite sœur, c’était compliqué…
J’étais également surprise par ses changements d’humeur si rapides. Une seconde, elle pouvait être colérique ou triste, et la suivante, joyeuse et rieuse. Je ne savais pas encore, à cette époque, que ma sœur était finalement bipolaire…
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